Le ballon espion chinois et le piège de Thucydide
Les Américains se sont réveillés vendredi dernier en apprenant qu’un ballon chinois survolait leur pays en toute impunité. Pékin a indiqué que l’engin était une sonde météorologique égarée. Autant dire que cela n’a pas fait sourire les Américains qui ont bien compris qu’il s’agissait d’un instrument d’espionnage. Washington a néanmoins gardé son sang-froid avant de l’abattre. Le ballon avait la taille de plusieurs autobus et le Pentagone craignait qu’en tombant, les débris ne blessent ou ne tuent quelqu’un.
L’autre raison du sang-froid de nos amis américains, c’est qu’ils savent que la Chine utilise déjà des satellites en orbite basse pour surveiller les Etats-Unis. En réalité, le ballon en question n’avait qu’une utilité: photographier les silos de missiles et les centres de recherche mais sous un autre angle que lesdits satellites, selon Les Echos.
Cet épisode digne d’un James Bond n’est qu’un rebondissement dans la guerre froide que se livrent les deux premières puissances mondiales. Bien entendu, la Maison-Blanche a montré sa mauvaise humeur et la visite du secrétaire d’Etat Antony Blinken en Chine a été reportée. Vous remarquerez que j’écris bien “reportée” et non pas “annulée”. La nuance est de taille car dans leur course à la prééminence mondiale, les deux pays usent de la communication partisane comme d’une arme de guerre. Des exemples? Le 31 janvier dernier, c’était l’ambassade de Chine a Paris qui, via quelques tweets, accusait les Etats-Unis d’avoir non seulement déclenché la guerre en Ukraine mais aussi d’avoir alimenté le conflit en fournissant des armes lourdes aux Ukrainiens. Sans doute était-ce une réponse à un soi-disant mémo confidentiel d’un général américain ayant fuité dans les médias et qui stipulait que la Chine et les Etats-Unis pourraient se déclarer la guerre en 2025.
Etats-Unis et Chine sont très imbriqués économiquement. En principe, cette réalité devrait les éloigner de toute tentation de guerre physique. En principe…
Restons zen: tout cela fait partie de la propagande classique en temps de guerre froide ou chaude. En réalité, le conflit a déjà commencé mais, heureusement, seulement sur le plan économique. Sous la direction de Joe Biden, les Américains sont aussi durs que Donald Trump à l’égard des Chinois, moins bruyamment mais beaucoup plus efficacement. La preuve? Ils sont en train de relocaliser leur industrie à coups de milliards de dollars, prenant d’ailleurs le risque de déstabiliser l’Europe. Et cette même administration Biden est en train d’interdire le transfert des technologies de pointe aux entreprises chinoises.
Mais les Chinois ne sont pas démunis.Le pays vient encore de rappeler qu’il contrôle 90% de la production des terres rares nécessaires à la fabrication de produits électroniques et de batteries. Et ne l’oublions pas, le premier créancier des Etats-Unis, c’est la Chine: Pékin détient la plus grosse partie de la dette publique américaine, ce qui s’apparente à une arme de destruction massive sur le plan financier. En d’autres mots, les deux pays sont très imbriqués économiquement.
En principe, cette réalité devrait les éloigner de toute tentation de guerre physique. En principe… C’est l’historien Thucydide (5e siècle avant J.C.) qui racontait comment la montée en puissance d’Athènes avait inspiré la peur à sa rivale Sparte. Une peur si mauvaise conseillère qu’elle avait conduit à la guerre du Péloponnèse. Remplacez Athènes par la Chine et Sparte par les Etats-Unis et vous avez le même scénario. Espérons que cet épisode de l’histoire soit connu de Washington et Pékin. Sinon, qu’ils commandent le livre du politologue Graham Allison: Vers la guerre: L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide. Il paraît que c’est un best-seller aux Etats-Unis.
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