La montre du pilote
Voilà 130 ans que Breitling demeure fidèle à ses racines. Depuis quelques années, le spécialiste des montres d’aviateurs haute technologie dispose aussi d’un calibre maison. Visite exclusive de Breitling Chronométrie, la manufacture située dans le Jura, pas loin de Neuchâtel.
L’histoire de Breitling débute en 1884. Dans la petite ville horlogère de Saint-Imier, Léon Breitling ouvre une usine qui se spécialise dans les chronomètres à usage scientifique et industriel. Quelques années plus tard, le fondateur de la marque transfère son entreprise à La-Chaux-de-Fonds, sa ville natale, à l’époque épicentre de l’horlogerie.
Léon Breitling ne s’intéresse pas à la montre ordinaire. Il désire fabriquer des instruments capables de mesurer le temps et de le diviser en unités. Breitling fait ainsi figure de pionnier dans le domaine du chronographe, une sophistication relativement récente. C’est l’époque du développement de l’aviation mais celle aussi où le monde se passionne pour un nouveau phénomène : le sport automobile. Léon Breitling entrevoit des débouchés pour ses chronographes et ses tachymètres dans les deux domaines. Les aviateurs, qui ont besoin de chronomètres fiables, se révèlent de grands amateurs de chronographes Breitling. La marque ne cessera de concevoir des montres en pensant à eux, même si la plupart des acheteurs ne songent pas particulièrement à leur faire quitter le sol ferme.
L’ASTUCE DU DEUXIÈME BOUTON
La première montre-bracelet fait son apparition au début du 20e siècle : il s’agit de la Cartier Santos qui aura un impact considérable sur le secteur horloger. Breitling perçoit rapidement le potentiel d’une montre-bracelet pour les aviateurs. En 1915, en pleine guerre, la marque est l’une des premières à en proposer une, dotée d’une fonction chronomètre.
Dans les années 1920, Breitling est aussi l’un des premiers fabricants à mettre au point un mécanisme automatique
A cette époque, Gaston Breitling a repris le flambeau, son père étant décédé. Le premier chronographe Breitling présente une innovation étonnante. Jusqu’alors, un chronographe n’était doté que d’un seul bouton poussoir pour commander toutes les fonctions. Sur ce premier chronographe-bracelet, Breitling introduit un deuxième bouton poussoir, disposé à deux heures, destiné à actionner les fonctions chronomètre. Enthousiasme général : la marque assoit une nouvelle fois sa réputation de spécialiste du chronographe.
Dans les années 1920, Breitling est aussi l’un des premiers fabricants, après Rolex, à mettre au point un mécanisme automatique : un atout supplémentaire pour les pilotes qui, sur les vols longue distance, peuvent compter sur la précision de leur montre.
Aujourd’hui, Breitling demeure avant tout la marque des montres d’aviateurs. Que l’on songe au Breitling Chronomat, la montre de pilote par excellence, mise sur le marché pour la première fois durant la Deuxième Guerre mondiale et ressuscitée quelques décennies plus tard. En 1984, alors que les montres à quartz dominent le marché, Breitling tentera en effet de remettre le chronographe mécanique à l’honneur en relançant le Chronomat. Pari réussi, le nouveau venu devient rapidement le best-seller de la marque. Il célèbre cette année son 30e anniversaire et, pour l’occasion, Breitling propose une édition spéciale : le Chronomat Airborne, hommage au modèle original de 1984, le nnn nnn Frecce Tricolori – du nom de l’équipe italienne d’acrobatie aérienne pour laquelle la marque développa la montre.
MANUFACTURE ET CALIBRE PROPRES
Au contraire de beaucoup d’autres marques de luxe qui ont été absorbées par de grands groupes tels que Swatch, Richemont ou LVMH, Breitling est resté indépendant. Mieux encore : depuis 2009, la maison possède sa propre manufacture, ce qui signifie qu’elle produit elle-même des calibres maison. Avant cela, elle achetait des ébauches et des composants réputés dont elle poursuivait l’assemblage elle-même. Mais en 1997, Breitling a racheté l’entreprise Kelek, spécialiste des chronographes mécaniques, ainsi que ses installations de production. Après la reprise, l’atelier de production de Kelek a été rebaptisé Breitling Chronométrie.
Aujourd’hui, la moitié de la production Breitling est équipée d’un calibre maison.
L’accès au savoir-faire de Kelek a marqué l’amorce du développement d’un premier calibre maison, le B01, prêt à l’emploi en 2009. Aujourd’hui, la moitié de la production Breitling est équipée d’un calibre maison. Quatre variantes sont venues s’ajouter au B01 : le B02 (avec remontoir manuel et cadran 24 heures), le B04 (avec un deuxième fuseau horaire), le B05 (indication des 24 fuseaux horaires) et le B06 (spécialement pour la marque Breitling for Bentley).
L’autre moitié de l’offre Breitling a encore recours à des calibres externes, dont le célèbre calibre Valjoux 7750 ETA du groupe Swatch – sans doute le mécanisme de chronographe automatique la plus populaire jamais produit -, utilisé par de nombreuses marques (IWC, Tudor, Panerai, Hublot, TAG Heuer…). Mais, depuis 2002, en concertation avec les autorités suisses, le groupe Swatch tente de restreindre la livraison de ses calibres et composants aux marques concurrentes. S’il est obligé d’approvisionner ses clients en composants et calibres jusqu’en 2019, il pourra, en principe, décider ensuite quelles mar-ques il souhaite continuer d’approvisionner.
Jean-Paul Girardin, vice-président et directeur technique de Breitling : ” Pour nous, la situation était plutôt inconfortable “. Raison pour laquelle la marque a pris les précautions nécessaires et commencé à développer ses propres calibres. ” Depuis un moment déjà, nous avions le sentiment de devoir le faire. Ce fut donc une décision industrielle plutôt que de marketing. Notre objectif n’était pas simplement de fabriquer un ixième calibre. Au contraire, nous voulions franchir un pas supplémentaire sur le plan de l’innovation. Nous voulons offrir au client les fonctionnalités dont il a besoin, combinées à une grande facilité d’emploi. De plus, notre qualité s’en est trouvée améliorée. Nous constatons que nos montres équipées d’un calibre maison rentrent beaucoup moins vite en réparation. Depuis 2012, nous avons donc prolongé la période de garantie de ces calibres, laquelle est passée de deux à cinq ans. “
Pour offrir cette qualité supérieure, Breitling s’inspire une fois de plus du monde de l’aéronautique. ” Dans ce secteur, tout, absolument tout est certifié. C’est aussi le cas chez nous. Depuis 1999, nous envoyons toutes nos montres au COSC (Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres) pour faire vérifier leur précision. “
SUR LA VOIE EXPRESS CENTRALE
Deux cents personnes travaillent sur le site de Breitling Chronométrie à La-Chaux-de-Fonds. L’atelier de production a été entièrement rénové et agrandi. Sa superficie est aujourd’hui de 6.000 m2 (capacité triplée). 40.000 mécanismes certifiés COSC y sont produits par an, la production annuelle totale de montres Breitling s’élevant, elle, à quelque 150.000 pièces (dont la moitié de chronomètres mécaniques).
Les calibres de la manufacture sont conçus à partir de 350 composants différents.
Lorsqu’on pénètre dans la manufacture, le lien entre Breitling et l’aviation apparaît d’emblée manifeste. Dans le hall central et les couloirs qui mènent aux ateliers, de gigantesques photos de scènes militaires en tons sépia décorent les murs. Et une table de salon en verre possède même un pied en forme d’hélice d’avion.
Les calibres de la manufacture sont conçus à partir de 350 composants différents. La marque fabrique elle-même une grande partie d’entre eux, faisant appel à des fournisseurs spécialisés pour quelques pièces seulement. Le niveau de précision et de minutie est impressionnant. Ainsi, une fois assemblés, les prototypes sont testés durant une année entière avant de retourner au labo pour une analyse détaillée et une nouvelle batterie de tests. Pour détecter les formes d’usure les plus infimes, les ingénieurs utilisent un microscope électronique, capable de grossir 40.000 fois chaque élément. L’assemblage des 350 minuscules composants en un seul mécanisme passe par une étape intermédiaire importante, le pré-assemblage, au cours de laquelle, ils sont transformés en 71 pièces préassemblées, lesquelles sont à leur tour transformées en calibre sur une chaîne d’assemblage ultra-moderne.
Jean-Paul Girardin : ” Nous l’appelons la “voie express centrale”. Elle se compose de 36 postes de travail, dont 28 opérant manuellement. Lorsque c’est possible, nous introduisons de la haute technologie, mais pour la majeure partie du travail, nous nous fions à nos horlogers. Leurs connaissances, leur métier et leur habileté surpassent les machines “.
Les cadrans sont ” emballés ” dans une ” navette “. Soit un étui en plastique fait sur mesure placé ensuite sur un tapis roulant. L’utilisation de ces navettes a pour avantage qu’aucune poussière ou empreinte de doigt ne peut venir affecter le fonctionnement du mécanisme. Les navettes font halte à chacun des 36 postes de travail, où les horlogers effectuent une série de manipulations. Dès que l’opération est terminée, la navette reprend sa place sur la voie express centrale et avance vers l’arrêt suivant. Pour éviter la monotonie, les horlogers changent régulièrement de poste, de manière à pouvoir effectuer d’autres tâches.
A l’issue des 36 étapes, le mécanisme est prêt à être mis dans un boîtier – l’étape suivante du processus. Ici, l’emploi d’air comprimé permet d’éviter que des poussières ne pénètrent dans le mécanisme. Après l’installation d’un contrepoids, la montre est testée durant 90 minutes afin de vérifier que le remontoir automatique fonctionne bien. Son étanchéité est également contrôlée. Une dernière étape consiste en une simulation du fonctionnement de la montre soumise au mouvement naturel du bras, pour vérifier la précision du mécanisme lors de son usage quotidien. Au total, chaque montre subit un millier de contrôles avant d’être mise en vente.
(KURT FOCQUAERT)
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