Parler d’un âge d’or, c’est accepter qu’il est révolu. Celui dont parle Diane Mazloum dans son nouveau roman est libanais. La romancière nous décrit un Liban de la fin des années 1960 en paix avec lui-même, presque insouciant. Indépendant depuis 1943, le pays et la jeunesse de sa capitale Beyrouth se montrent confiants en l’avenir, alors que le spectre de la guerre gronde à nouveau à ses frontières. Les relations entre Israël et ses voisins sont conflictuelles, la cause des Palestiniens mobilise l’attention mondiale et l’exil forcé de nombre d’entre eux a bousculé l’équilibre politique et démographique déjà instable de la région.
Diane Mazloum nous raconte l’histoire du pays à travers un couple authentique et mythique, celui formé par Georgina Rizk et Ali Hassan, ” parce qu’il incarne toute la diversité et les contradictions de cette époque, nous dit-elle. Elle est Libanaise, chrétienne, reine de beauté et la seule Miss univers que le pays ait connue. Elle incarne la jeunesse, la légèreté et la frivolité. Lui est un Palestinien exilé, musulman, bras droit de Yasser Arafat. Terroriste de la pire espèce pour les uns, héros pour les autres, il est accusé d’être à la tête des attentats de Munich en 1972 et de l’organisation terroriste Septembre noir. Recherché par le Mossad et seul contact de la CIA, il incarne la cause, la guerre et la violence. ”
On ne peut plus continuer à se penser comme une île.
Tous les deux sont des archétypes concentrant les arcs historiques, politiques et romanesques de ce roman s’étirant sur 13 années et qui, en arrière-fond d’une histoire d’amour et d’amitié, voit se succéder ambiance presque flower power, guerre des Six jours et conflit civil libanais. ” Avec ce livre, je voulais essayer de comprendre comment un pays aussi insouciant a pu basculer dans la pire des guerres qui soit, c’est-à-dire celle qui oppose les civils entre eux. J’avais envie de remonter la chaîne de réactions, de comprendre cet engrenage. ” Mais la romancière prend aussi ses distances avec l’Histoire, inventant le personnage de Roland, premier amour de Georgina, qui porte en lui les espoirs d’une jeunesse chrétienne ouverte sur le monde. Son rôle : fermer le triangle amoureux qu’il forme avec la jeune mannequin et Ali Hassan. A la rigueur des trois années de recherches pour aboutir à ce roman, Diane Mazloum ajoute donc un espace fictionnel, voulant échapper à tout tentative de jugement sur la réalité des événements. ” J’ai parlé avec beaucoup de journalistes et d’historiens. Personne n’était d’accord sur le rôle joué par Ali Hassan. Je n’ai moi-même pas pu aboutir à une vérité. Et en fin de compte, cela m’arrangeait. Je voulais remplir à ma guise ces trous et ces béances. Je voulais écrire un roman tissé de mes propres sensations et de mes propres fantasmes. ”
L’auteure se reconnaît d’ailleurs davantage dans le personnage de Micky, jeune frère de Roland qui rassemble dans ses carnets ” les preuves infimes et minuscules d’un pays mirage qui n’existe presque pas “. ” Micky m’a donné l’opportunité de raconter le Liban de manière plus basique, en empilant les couches de la complexité, nous confie Diane Mazloum, pour pouvoir l’expliquer à un public qui ne sait peut-être pas aujourd’hui ce qu’est le Liban. ” Elle-même n’a appris à le connaître qu’à travers les souvenirs de ses parents et de ses grands-parents, générations brisées par le spectacle offert par leur pays, qu’ils ne s’attendaient pas à voir s’effondrer si vite.
Ayant grandi entre Rome et Paris, Diane Mazloum a d’abord fréquenté le Liban lors de visites à la famille pendant les vacances, avant de venir y étudier, à l’université américaine de Beyrouth. Appartenant à cette jeunesse motivée par l’idée de reconstruire un pays enfin sorti des conflits, elle a quelque peu déchanté après les événements de 2005, l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri et les tensions avec la Syrie. Dans un premier roman choral Beyrouth, la nuit, l’écrivaine nous avait fait part de sa relation ” sensuelle ” à une ville ” à la fois tournée vers l’Occident mais organique, chaotique et colorée à l’orientale “. Dans L’âge d’or, elle porte un regard plus détaché sur ce pays. ” Je ne juge pas. Je me contente d’un regard tantôt contemplatif, tantôt plus scientifique. ” Cette saga, instructive et passionnante, laisse transparaître toutefois un attachement indéfectible à cette terre brisée. Diane Mazloum garde l’espoir pour celles et ceux qui s’attacheront à la relever.
Diane Mazloum, ” L’âge d’or “, éditions JC Lattès, 416 pages, 19 euros.