Voyages à l’étranger: les tensions géopolitiques rebattent les cartes du tourisme

Egypte
Un seul pays voisin d’Israël tire très bien son épingle du jeu : l’Égypte. © Getty

La guerre en Ukraine, les conflits au Moyen-Orient et la polarisation politique aux États-Unis modifient les comportements de voyage des Belges. Si nous continuons à voyager, nos choix de destinations évoluent par rapport aux années précédentes.

Selon le Holiday Barometer 2025 d’Europ Assistance, 57 % des Européens considèrent les conflits armés comme un facteur décisif de rejet dans leur choix d’une destination de vacances. En Belgique, ce chiffre est tout aussi élevé. Il y a deux ans, il n’était encore que de 21 %.

« Les voyageurs prennent aujourd’hui des décisions conscientes en fonction de la situation politique ou sécuritaire d’un pays, indépendamment de son attrait touristique », explique Vicky Steylaerts, de la Haute École Thomas More, qui a analysé des études internationales sur les comportements de voyage. Des destinations comme Israël, l’Ukraine, la Russie ou la Syrie sont ainsi systématiquement évitées.

L’effet Trump

Les tensions politiques ont également un impact dans d’autres régions du globe. Les États-Unis, longtemps considérés comme une valeur sûre pour les touristes d’Europe de l’Ouest, figurent désormais parmi les trois destinations les plus évitées dans 10 des 23 pays étudiés.

« À ce jour, les États-Unis sont la seule destination pour laquelle nous observons un effet clairement perceptible d’évitement », constate Koen Vandenbosch, CEO de l’Association des agences de voyages flamandes (VVR). « Jusqu’en février, les chiffres restaient positifs, mais depuis, on note un léger recul. Il s’agit d’une forme d’effet Trump. »

Même constat chez Tim van der Wel, fondateur d’Avila Reizen, une agence spécialisée dans les voyages sur mesure : « Depuis l’élection de Trump au début de cette année, nous constatons une baisse de la demande vers les États-Unis. En parallèle, l’intérêt pour l’Amérique latine et l’Afrique a augmenté. »

Les États-Unis perdent du terrain, mais cela ne signifie pas que les gens voyagent moins. Ils se tournent simplement vers d’autres destinations.

Le Maroc et les pays baltes gagnent du terrain

Ce basculement vers d’autres destinations est encore plus marqué au Moyen-Orient. « Les voyages vers Israël sont quasiment à l’arrêt, et la Jordanie connaît elle aussi une nette baisse de fréquentation », indique Van der Wel. Cependant, un seul pays voisin d’Israël tire très bien son épingle du jeu : l’Égypte. « L’Égypte reste extrêmement populaire », souligne Vandenbosch. « Lorsque la guerre en Israël s’est déclarée, nous avons observé un léger recul (du flux de voyageurs vers l’Égypte, ndlr), mais celui-ci n’a pas duré très longtemps », ajoute Van der Wel.

Les pays du Golfe semblent également largement épargnés. « Oman, et surtout la ville très prisée de Dubaï (aux Émirats arabes unis, ndlr), n’ont pratiquement pas été affectés », précise Van der Wel. Selon le CEO d’Avila Reizen, cela s’explique en partie par l’image de la destination et le profil des voyageurs qui s’y rendent.

En Afrique du Nord, c’est le Maroc qui résiste particulièrement bien. « Nous avons observé une augmentation du nombre de passagers à destination du Maroc », indique-t-il. « La situation au Moyen-Orient ne semble pas avoir d’influence sur cette destination. »

Ces données offrent une vue d’ensemble quant à l’évolution des comportements de voyage à l’échelle mondiale. Les changements observés chez les voyageurs belges s’inscrivent dans cette dynamique. L’Espagne reste la destination la plus populaire, bien qu’en recul de 4 %. Le plus fort déclin est enregistré aux États-Unis : une baisse de 8 % depuis le début de l’année, période correspondant au retour de Donald Trump à la présidence. La Belgique enregistre une hausse de 6 %, et l’Égypte se distingue par une envolée de +40 %. © Source : TravelNote Trends

L’image du danger joue un rôle clé

Ces redistributions des cartes ne sont pas liées uniquement aux risques objectifs. La perception du danger s’avère tout aussi déterminante pour les voyageurs. Une couverture médiatique omniprésente et marquée par l’actualité amplifie le sentiment d’insécurité chez les voyageurs, selon une étude menée par Panagiotis Grigoriadis, enseignant à l’Université de Macédoine à Thessalonique. « Même lorsque la situation se stabilise, ces pays restent mentalement étiquetés en rouge pour de nombreux voyageurs », constate Steylaerts.

Certaines destinations tirent au contraire profit de leur image. « Des territoires, comme les États baltes, gagnent en popularité, note Vandenbosch. Et ce malgré leur proximité avec la Russie, ils sont perçus comme calmes, sûrs et bien organisés. »

La redécouverte de l’agent de voyage

C’est surtout la perception qui joue un rôle déterminant. Un conflit armé ou une guerre dans une région donnée influence aussi les pays voisins, même si la situation y reste très stable. « Même dans des régions considérées comme sûres, la perception a un impact majeur », affirme Dan Richards, CEO de l’entreprise spécialisée dans la gestion de crise et l’évacuation Global Rescue. « Un simple conflit à proximité suffit à faire chuter la demande dans toute une région. »

Tous les voyageurs ne réagissent pas avec la même émotivité non plus. « Pour le grand public, la sécurité joue incontestablement un rôle », constate Frank Bosteels, CEO de la Belgian Travel Confederation. « Pour de courts citytrips, les gens réservent souvent eux-mêmes. Mais pour les voyages lointains ou plus complexes, ils cherchent de plus en plus la sécurité auprès d’un professionnel du voyage. »

Cette redécouverte de l’agent de voyage est directement liée à cette quête de certitude. En période de conflit ou de perturbation, le professionnel du voyage redevient un filet de sécurité. « Autrefois, il vendait des formules toutes faites. Aujourd’hui, il agit comme un coach qui élabore un programme sur mesure avec le client », explique Bosteels. « Réserver soi-même, c’est aussi devoir gérer seul les problèmes éventuels. Depuis le covid, beaucoup de personnes en ont pris conscience. »

« Les gens voyagent plus souvent et dépensent davantage »

Cette évolution se vérifie dans les chiffres, selon Koen Vandenbosch. « Après le covid, la part des voyages organisés est passée de 30–32 % à 37 %. Les voyageurs en perçoivent la valeur ajoutée : non seulement pour gagner du temps, mais surtout pour avoir un interlocuteur en cas de problème. » Celui qui réserve tout lui-même se retrouve souvent seul face aux imprévus. « Si, par exemple, un avis négatif de voyage est soudainement émis ou que les vols sont annulés, celui qui a tout réservé par ses propres moyens – via Ryanair ou Booking.com, par exemple – doit tout résoudre lui-même », fait remarquer Bosteels.

Le secteur du voyage s’adapte à cette nouvelle réalité. Les compagnies aériennes ajustent plus rapidement leurs itinéraires en fonction des risques géopolitiques. « Elles continuent à planifier, mais réagissent désormais de manière bien plus rapide », observe Van der Wel. Les tour-opérateurs suivent souvent la situation en temps réel, en concertation avec les Affaires étrangères. Certaines agences de voyages élargissent aussi leurs conditions d’annulation et de modification, afin de permettre aux voyageurs de réagir rapidement en cas de changement brutal.

Malgré tous ces éléments, l’envie de voyager reste remarquablement forte. « Les gens voyagent plus souvent et dépensent davantage », constate Van der Wel. « Les préoccupations sécuritaires modifient leurs destinations, mais ne les retiennent pas à la maison. »

D’après le baromètre d’Europ Assistance, c’est même le pouvoir d’achat qui constitue aujourd’hui le principal frein, davantage que la peur.

Vers un impact durable des tensions géopolitiques ?

Reste la question de savoir si ces turbulences géopolitiques auront un impact durable. Pour Vandenbosch, ce n’est pas encore le cas. « Pour l’instant, je ne constate pas de changement structurel. Des destinations comme l’Égypte restent populaires. D’autres, à forte dimension culturelle comme le Liban ou la Syrie, ont en revanche disparu de l’écran radar depuis des années. »

Van der Wel adopte également une position nuancée. « Si les conflits prennent fin rapidement, je n’anticipe pas d’impact durable. Par contre la Russie conservera sans doute une image négative pendant longtemps. Mais je m’attends à ce qu’Israël réintègre assez vite le centre de la carte touristique, surtout pour des raisons religieuses. La rapidité de la reprise du tourisme dépend largement de l’image : un attentat dans une destination populaire est plus rapidement ‘pardonné’ que dans un lieu dont la réputation est plus fragile. »

Pour garantir l’afflux de touristes, il faut aller au-delà du simple vernis de la communication, prévient Steylaerts. « Celui qui souhaite conserver la confiance du voyageur doit miser sur la transparence, une communication de crise professionnelle et une gouvernance de qualité », affirme-t-elle. « Une couverture médiatique négative ne mène pas nécessairement à une catastrophe, mais si la perception négative persiste ou est mal gérée, elle peut durablement peser sur la réputation d’une destination. »

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