Une forte odeur de pétrole autour des tractations Trump-Poutine

pétrole russe
Illustration. © belga image
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Nerf de la guerre pour la Russie, instrument de pression politique et secteur stratégique pour les intérêts des proches de Donald Trump, le pétrole est un enjeu majeur dans les négociations américano-russes.

Lorsque, le 15 août, Vladimir Poutine et Donald Trump se sont rencontrés à Anchorage,  le sujet était tout autant le retour à un marché pétrolier apaisé que la paix en Ukraine.

Aujourd’hui, on le sait, la Russie, dont les recettes dépendent pour un tiers des hydrocarbures, souffre énormément, à la fois des sanctions occidentales contre son industrie pétrolière et des frappes ukrainiennes sur ses raffineries qui, par manque de pièces occidentales, peuvent être difficilement réparées.

Certains experts observent que les récentes frappes ukrainiennes ont réduit de 17% les capacités de raffinage russes. Il est de plus en plus difficile de s’approvisionner en essence lorsque l’on vit en Russie. Les pompes qui ont encore du carburant voient se former des files parfois de plusieurs kilomètres d’automobilistes assoiffés.

Trou budgétaire

Mais, on s’en doute, le sens social de Vladimir Poutine étant limité, ce qui inquiète le maître du Kremlin n’est pas l’indigence de la population. C’est plutôt le trou budgétaire que trois années de guerre en Ukraine ont creusé.

Idéalement, la Russie a besoin d’un baril à 115 dollars pour équilibrer son budget, alors que le baril se négocie aujourd’hui sur les marchés à 65-70  dollars, et que, pour ce qui touche plus précisément le pétrole russe, cible directe des sanctions occidentales, le prix de vente tourne entre 38 et 50 dollars le baril. Les revenus pétroliers de la Russie continuent donc de se réduire. Ils ont chuté de 27 % en juillet 2025 par rapport à l’année précédente, et le « Fonds national », le bas de laine de l’Etat russe, qui pesait encore 135 milliards de dollars en 2022, n’était plus que de 35 milliards en mai, et devrait être épuisé d’ici fin 2025. Les sanctions occidentales contre la Russie ont mis du temps à faire effet, mais elles pèsent désormais de tout leur poids.

Forcing russe

Vladimir Poutine fait donc le forcing pour alléger le joug qui pèse sur le secteur pétrolier. Selon des sources proches de Moscou, Poutine a offert de geler les lignes de front en Ukraine (y compris dans les régions de Kherson et Zaporijia) en échange du retrait ukrainien du Donbass et de l’annulation des sanctions pétrolières, et surtout de la fin du plafonnement des prix (actuellement autour de 60 dollars). Trump a qualifié les discussions de « productives ». Le jour  même du sommet d’Anchorage, Poutine a émis un décret autorisant le retour d’investisseurs étrangers, dont l’américain ExxonMobil, dans le gigantesque projet pétrolier Sakhalin-1, qui a des réserves estimées de 2,3 milliards de barils. Ce n’est pas vraiment une surprise. Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, ExxonMobil a repris, selon le Wall Street Journal, des négociations très discrètes avec le groupe russe Rosneft.

 Dès février dernier, le vice-président d’Exxon Neil Chapman  a rencontré le pdg de Rosneft Igor Sechin, à Doha, en s’asseyant donc au passage sur les sanctions qui frappent personnellement Igor Sechin. Et l’on sait que le PDG d’Exxon, Darren Woods, a discuté du sujet avec Donald Trump au cours de ces dernières semaines. L’enjeu pour la « major » pétrolière américaine est de se réapproprier les 30% du projet Sakhalin qu’elle détenait avant la guerre en Ukraine.

Equation difficile

Mais, côté américain, l’équation n’est pas simple à résoudre. D’un côté, Donald Trump salive à l’idée de resserrer les liens entre Washington et Moscou, notamment au travers de vastes partenariats énergétiques. L’objectif est triple :  couper les liens actuels entre la Chine et la Russie, faire plaisir à ses amis pétroliers  et contrôler le prix du baril, qui est un sujet très sensible pour le consommateur américain moyen.

Mais les sanctions sur le pétrole russe sont aussi un outil très pratique à manier pour faire plier ses partenaires commerciaux. L’administration américaine vient de porter les tarifs douaniers sur de nombreux produits indiens à 50% en arguant que l’Inde « blanchit » l’or noir russe et profite éhontément de la situation. Ce n’est pas faux : Mukesh Ambani, l’homme d’affaires indien le plus riche d’Asie et dirigeant de Reliance Industries , a engrangé un bénéfice de 787 millions de dollars  sur les importations et le raffinage de pétrole russe à prix bradé au cours de l’année fiscale 2024-2025.

Quel prix d’équilibre

Donald Trump menace aussi la Chine de porter ses droits de douane 200%, voire 500%, en brandissant aussi le prétexte de l’utilisation de pétrole russe  par les entreprises chinoises.

L’équation se complique encore un peu car sur le marché pétrolier, personne n’est d’accord sur ce que devrait être le « prix d’équilibre ». Pour les producteurs de pétrole de schiste canadiens et américains, la fourchette de rentabilité, selon les puits et les régions, est de 40-70 dollars le baril. Le prix actuel de 65-70 dollars est donc un seuil en dessous duquel il ne faut pas tomber. Pour la Russie, on l’a vu, il faudrait 115 dollars. Et pour l’Arabie saoudite, leader des  producteurs de pétrole classique, le prix qui lui permettrait d’équilibrer son budget est estimé à environ 90 dollars.

On en est loin, et, pour la Russie comme pour l’Arabie, les perspectives ne sont pas brillantes : l’Agence internationale de l’énergie estime, en raison notamment du ralentissement de l’économie mondiale causée par la guerre commerciale, que le secteur pétrolier devrait connaître un surplus d’offre par rapport à la demande cette année, ce qui devrait pousser les prix à la baisse. A moins, bien sûr, d’une nouvelle « trumperie », comme un conflit avec le Venezuela, grand producteur d’or noir lui aussi. Depuis une dizaine de jours, une flotte américaine croise au large des côtes vénézuéliennes. La Maison Blanche, via la porte-parole Karoline Leavitt, a affirmé que le Président américain est « prêt à utiliser tous les éléments de la puissance américaine » pour stopper les drogues et « amener les responsables devant la justice ». Les responsables, c’est le régime vénézuélien actuel : il est qualifié par la Maison Blanche de « cartel narcoterroriste illégitime ». On entend déjà les majors américaines se pourlécher à la perspective de mettre la main sur les réserves vénézuéliennes.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire