Une dette cachée risque-t-elle d’exploser à la figure des maîtres du Kremlin?
Craig Kennedy est un ancien banquier de Morgan Stanley. Il travaille désormais au Davis Center de Harvard en tant qu’analyste spécialisé sur la Russie. Et Craig Kennedy, qui fait aussi partie du groupe de travail international sur les sanctions contre la Russie, prévoit qu’une dette cachée risque d’exploser bientôt au visage des « maîtres du Kremlin ».
Hors budget
En surface et selon les données officielles, le budget militaire russe semble raisonnable pour une économie de guerre, dit-il. Mais en réalité, l’ampleur réelle des dépenses russes pour la guerre est bien plus grande que les chiffres officiels. Depuis le second semestre 2022, Moscou a mis en place un système de financement hors budget. Le pouvoir russe par exemple fait pression sur les banques commerciales pour qu’elles accordent des prêts préférentiels aux entreprises liées à la guerre. Et le pouvoir fixe lui-même les taux en vigueur sur ces prêts.
Si l’on se penche sur les chiffres, on constate que la dette des entreprises russes a augmenté de 71 % ces 30 derniers mois. Elle atteint 415 milliards de dollars, soit un peu plus de 20% du PIB du pays, et davantage que les revenus totaux du pétrole et du gaz sur cette période (des revenus qui vont d’ailleurs baisser cette année en raison des nouvelles sanctions qui touchent la flotte fantôme de pétroliers russes et la fermeture depuis ce mois de janvier du principal pipeline gazier qui alimentait encore l’Europe occidentale). C’est davantage aussi que les dépenses du budget de la défense sur la période. Selon Craig Kennedy, plus de la moitié de ces 415 milliards de dollars sont des prêts qui alimentent directement l’industrie de guerre.
Dettes toxiques
Et c’est ce schéma qui commence à peser lourdement sur l’économie russe, car ces prêts forcés sont comme une planche à billets qui tourne, créant de l’inflation et forçant la banque de Russie à relever constamment ses taux (le taux directeur russe est à 21%). Cela dans un contexte où les rentrées de devises en Russie sont de plus en plus faibles. Cela pourrait mener à une « crise systémique du crédit », avertit Craig Kennedy.
Car avec des taux directeurs à 21 %, les entreprises tirent la langue. Les sociétés surendettées sont désormais menacées de faillites, en ce compris Gazprom, le géant gazier, qui a emprunté énormément pour couvrir ses pertes liées aux sanctions. Gazprom vient d’ailleurs de licencier la moitié des 4.500 personnes qui travaillent à son siège de Saint-Pétersbourg.
Le risque systémique, toutefois, prend sa source dans la fragilité des banques : les prêts à taux préférentiel imposés par le gouvernement pour soutenir l’industrie de guerre vont souvent à des entreprises non solvables, qui risquent de s’effondrer dès que les commandes militaires ralentissent. Cela laisse les banques russes avec beaucoup de « dettes toxiques » qui pourraient provoquer une crise de crédit, avertit Craig Kennedy.
Levier de négociation
Certes, l’État russe pourrait intervenir, mais pour Craig Kennedy, cette fragilité financière devrait servir de levier pour forcer le Kremlin à faire des concessions dans les négociations qui, un jour ou l’autre, doivent être entamées pour faire cesser la guerre en Ukraine.
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Si l’Ukraine et ses alliés savent que l’économie de Poutine fonctionne à crédit, ils peuvent entrer dans les pourparlers de cessez-le-feu avec une résolution renforcée, surtout si les sanctions ne sont pas levées et que le soutien à l’Ukraine est maintenu, souligne l’analyste.
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