“Trump n’a vidé que 5% de ce qu’il a dans son sac”

© (Photo by Anna Moneymaker/Getty Images)
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour Christopher Mesnooh, avocat d’affaires américain établi depuis 30 ans en Europe, nous n’avons pas encore vu le gros des décisions programmées par le nouveau Président américain.

Christopher Mesnooh est un avocat d’affaires américain, diplômé de Yale et de la Columbia University, partenaire d’un cabinet britannique (Fieldfisher) où il travaille depuis quinze ans,  et établi depuis une trentaine d’années sur le territoire européen, plus spécialement en France. Autant dire que l’homme, habitué des voyages transatlantiques, a une connaissance approfondie de la vision des Européens sur les Américains, et réciproquement.

Nous l’avons interrogé à Paris, à l’occasion d’une rencontre organisée par l’association des journalistes économiques et financiers.

  1. Trump n’a pas changé en 40 ans

« Puisque nous allons inévitablement parler du président actuel des États-Unis, je vous recommande vivement d’aller sur YouTube et de taper Trump eighties, conseille d’emblée l’avocat. Vous allez tomber sur un certain nombre de vidéos qui remontent à près de 40 ans, et ce qui est frappant est qu’il n’a pas changé: ni son côté néo-autoritaire, ni le message selon lequel les étrangers profitent des États-Unis de manière indécente. A l’époque, son obsession était le Japon, dont les produits avaient monté en gamme et inondaient le marché américain. Il disait déjà qu’il fallait ériger un système de droits de douane suffisants pour encourager l’investissement  dans l’industrie américaine et décourager la destruction du tissu industriel américain. Près de 40 ans plus tard, c’est la même chanson. On peut critiquer Donald Trump sur de nombreux sujets, je ne le ferai pas forcément ici parce qu’il reste mon président,  néanmoins, il y a un reproche qu’on ne peut pas lui faire, c’est de changer de message.

Alors c’est vrai, ajoute-t-il, l’idéologie de Trump n’est pas l’idéologie de Reagan, mais Trump est l’expression extrême de ce que Ronald Reagan avait planté dans les années 80, c’est à dire une indifférence croissante envers les classes moyennes. J’ai commencé ma carrière à New York à la fin des années 80. Il y avait une ambiance, de l’argent partout, des limousines noires vous ramenaient de votre cabinet d’avocats ou de votre banque d’affaires à 3 heures du matin pour vous permettre d’aller vous doucher chez vous avant de retourner travailler. On brassait des sommes d’argent qui à l’époque étaient phénoménales. Donc ce retour aux années 80 est plutôt, je dirais, une perte de pudeur envers le sujet de l’argent ».

  • Un animal blessé

Christopher Mesnooh s’arrête aussi sur les racines de la personnalité de Donald Trump. « On dit que Donald Trump souhaite ramener les États-Unis aux années 50. Je pense qu’on se trompe de décennie, dit-il. Il a plutôt envie de ramener les États-Unis à l’époque qu’il connaissait très bien, celle des années 80. C’était le début d’une époque dorée pour la finance aux États-Unis, c’était l’époque de Ronald Reagan et Margaret Thatcher et les deux pays des deux côtés de l’Atlantique marchaient main dans la main. Les États-Unis restaient le pays dominant, avec un début des problèmes qu’on voit aujourd’hui en termes d’appauvrissement d’une partie de la population américaine et une destruction partielle du tissu industriel. C’était l’époque  de « son New York », quand il a construit sa Trump Tower et commencé à investir dans l’immobilier, à Manhattan notamment. C’est un homme issu de l’immigration allemande, qui est la première communauté aux États-Unis (ce ne sont ni les Anglais, ni les Irlandais). Mais l’homme est profondément désintéressé de tout ce qui se passe à l’étranger, sauf dans la mesure où cela peut servir les intérêts du pays. C’est quelqu’un qui croit profondément en son pays. Et une dernière chose pour comprendre la psychologie de l’homme : c’est un animal blessé. Il est né dans le Queens – moi je suis né dans le quartier voisin, à Brooklyn. Et il a été entouré de gens avec l’accent très lourd, très new-yorkais, avec une certaine vulgarité… Ce n’est pas Manhattan. Ce sont les quartiers autour, qui sont habités par un sentiment d’infériorité. Il est issu d’une famille riche, mais avec ce sentiment que tant que vous n’arriverez pas à Manhattan, vous êtes un New-Yorkais de deuxième zone. Et en arrivant à Manhattan, il n’a jamais eu le respect des élites. On dit que sa tour est d’une vulgarité affligeante. Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2017, ce n’est pas avec le vote populaire (une majorité s’était prononcée pour Hillary Clinton), mais grâce au jeu des grands électeurs. En 2024, il l’emporte en termes de vote populaire avec 49,8% des voix, donc même pas la majorité absolue, mais avec un peu plus de 2 millions de voix : sur un pays de 335 millions d’habitants, c’est très peu. Encore une chose : dire, comme on l’entend en Europe que ce pays est en train de devenir un truc facho-nazi parce que nous avons cet homme à la tête des États-Unis, est très réducteur. Il faut être beaucoup plus nuancé quand on aborde le sujet. »

  • Nous n’en sommes qu’au début

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« J’étais aux États-Unis les deux dernières semaines de janvier, poursuit l’avocat. J’avais visité Boston, New York et Washington en grande partie pour prendre la température. Il y avait quand même un peu d’optimisme. Les grands cabinets d’affaires, sur la côte Est et sur la côte Ouest sont largement démocrates, et la majorité des gens à qui j’avais parlé n’étaient pas du tout des gens qui ont soutenu Trump, mais ils se disaient : «  OK, ce qui est arrivé est arrivé, mais on pense qu’il va être bon pour le business ». Un mois plus tard, à travers toutes les conversations que j’ai eues, une grande partie de cet optimisme n’existe plus. Parce les problèmes de guerre sur les droits de douane, l’altercation avec Zelensky et d’autres actes agressifs de Trump et de son administration ont fait basculer dans la tête de beaucoup l’idée que cette administration Trump allait être une administration républicaine classique, un peu plus « hard » certes au début, mais que les choses allaient rentrer dans l’ordre et que nous allions avoir une administration orientée business. L’optimisme est retombé aujourd’hui. L’état des marchés américains en est le reflet.

Mais ce qui est sûr, c’est que nous ne sommes qu’au début de tout ce que lui et son administration comptent faire. Il a peut-être vidé seulement 5% de ce qu’il a dans son sac. » Et dans ce sac, ajoute Christopher Mesnooh, il y a certainement de nouveaux tarifs douaniers, notamment contre l’Europe et sa TVA, ainsi que la mise en œuvre des mesures de son conseiller financier,  Stephen Miran. Des mesures qui visent à faire baisser le dollar pour donner de l’air aux exportations américaines et en parallèle à obliger les pays étrangers, sous menace de rétorsion via notamment des tarifs douaniers,  à continuer à acheter de la dette américaine.

  • L’impact sur les affaires

« Nous sommes bien positionnés au cabinet pour voir l’impact de tout ceci sur les affaires, observe Christopher Mesnooh. En moyenne, nous recevons deux ou trois appels par an de nouveaux clients qui nous demandent de les aider à s’installer aux États-Unis. Depuis le 15 novembre, nous en avons eu une dizaine. Ce n’est pas un tsunami, mais ce sont des gens qui appellent poliment et souhaitent acheter une boîte aux États-Unis parce qu’ils prennent très au sérieux ces barrières protectionnistes que Trump veut ériger ; et désirent être du bon côté du mur douanier. Vous le voyez notamment dans tout ce qui est start-up et « French Tech ». Il y avait déjà auparavant un intérêt pour les États-Unis du fait de la profondeur du marché : quand vous gagnez le jackpot aux États-Unis, c’est sans commune mesure avec le jackpot que vous pouvez toucher en Europe. Il y donc un début de rush vers les États-Unis de la part des entreprises européennes. Cela a du sens parce que si vous voulez vendre aux États-Unis dans ce climat de grande instabilité politique, économique et douanière, le plus logique est de s’installer dans le pays. Un pays dont le président dit : si vous êtes étranger, mais vous souhaitez fabriquer vos produits aux États-Unis, vous êtes les bienvenus. Je ramène le taux d’impôt sur les sociétés à 15 %, si vous êtes sur le sol américain, vous allez pouvoir bénéficier de ce taux réduit. Mais je vois aussi que différents pays européens, dont la France  l’Allemagne, et peut-être la Belgique, – le Royaume-Uni, au vu de la proximité linguistique, est peut-être le mieux positionné – sont en train d’essayer d’encourager chez eux des scientifiques américains qui se sentent lésés ou menacés par ces coupes budgétaires.

Donc il y aura un peu d’échange, avec quelques réfugiés économiques et scientifiques en provenance des États-Unis qui iront en Europe, mais avec une partie de l’industrie européenne qui estime que c’est dans son intérêt de s’installer aux États-Unis ».

5. La justice, dernier rempart

Pour conclure, nous avons demandé à Christopher Mesnooh quelle confiance peuvent avoir encore les investisseurs européens dans un pays qui connaît, quand même, des dérives autoritaires. « Entre 2017 et 2021, quand on me posait la question, je répondais que je croyais profondément en la société civile américaine, qu’on avait des institutions extrêmement solides, que nous respections un ordre constitutionnel, que l’on nous apprenait le fair play, la séparation des pouvoirs – grâce à Monsieur Montesquieu et Monsieur Tocqueville.. Aujourd’hui, Trump va-t-il respecter l’ordre constitutionnel et la séparation des pouvoirs? Pour répondre à la question, il faut regarder le système de justice et les décisions des juges. La vraie barrière aujourd’hui, c’est moins le Congrès qui est entre les mains des Républicains,. Le Cour suprême penche à droite aussi. La seule opposition légitime, et de taille, qui existe aujourd’hui, ce sont les tribunaux. Et si Trump et son administration décident de ne pas respecter les décisions de justice, qu’elles soient orientées politiquement ou pas (parce que la justice américaine est politiquement orientée), c’est le troisième pilier du gouvernement américain, le seul qui reste indépendant, qui est menacé. Et si c’est le cas, les scénarios plus inquiétants seront permis ».

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