En voulant désigner d’ici quelques semaines le nouveau patron de la Réserve fédérale américaine, le président américain fragilise encore un peu plus le dollar, les obligations mais aussi les actions américaines.
Face à l’euro et aux autres grandes devises internationales, le dollar a atteint aujourd’hui un plancher qu’il n’avait plus touché depuis trois ou quatre ans. La devise américaine ne vaut plus désormais que 0,85 euro, une chute causée par des informations, notamment du Wall Street Journal, indiquant que Donald Trump envisageait d’annoncer dès cet été ou à la rentrée en septembre le nom de celui qui devrait succéder à l’actuel président de la Réserve fédérale américaine Jerome Powell, dont le mandat se termine normalement en mai 2026.
Powell, la bête noire
Jerome Powell est depuis longtemps la bête noire du président américain, qui le qualifie de « too late » (la Fed maintient ses taux directeurs alors que la BCE est entrée dans un cycle baissier), voire, comme cette semaine, de « très stupide ».
Dans la tradition américaine, l’annonce du successeur du patron de la Fed intervient trois ou quatre mois avant la fin du mandat. On attendait donc le nom du successeur de Jerome Powell aux alentours du mois de février ou mars 2026. Mais Donald Trump semble tellement frustré par son incapacité à dicter la politique monétaire américaine qu’il envisage donc d’anticiper cette annonce avec l’effet paradoxal que cela fait chuter le dollar, ce qui induit donc une hausse des prix des produits importés, déjà frappés par les droits de douane, ce qui devrait faire monter l’inflation et donc retarder encore la baisse des taux que le Président américain appelle de ses vœux. « Je connais trois ou quatre personnes parmi lesquelles je vais choisir », a affirmé Donald Trump mercredi, lors du sommet de l’OTAN à La Haye. Dans les options de Donald Trump, on cite le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent (qui a gardé encore la confiance des marchés), l’ancien gouverneur de la Fed, Kevin Warsh ou le directeur du Conseil économique national, Kevin Hassett.
Dollar fragile
Les marchés apprécient moyennement cette intrusion de la Maison Blanche dans la politique monétaire, et l’a donc fait savoir en poussant le dollar à la baisse. En soi, ce mouvement a des côtés positifs puisqu’il soutient les entreprises exportatrices américaines dont les produits, libellés en devises étrangères seront moins chers. Mais cela pousse en revanche les produits importés aux Etats-Unis à la hausse. Et surtout, cela fragilise la crédibilité des bons du Trésor américains qui sont de moins en moins intéressants à acheter pour les investisseurs étrangers qui se trouvent soumis à un risque de change grandissant.
Déjà, pour les investisseurs européens, si l’on tient compte du coût de la couverture contre la baisse du dollar, il vaut mieux acheter de la dette européenne que de la dette américaine. Les investisseurs asiatiques aussi semblent être beaucoup moins friands de dette américaine.
Responsable de la recherche sur le marché des changes auprès de la Deutsche Bank à Londres, Georges Saravelos souligne dans une note à quel point le moment est crucial : « Les États-Unis sont confrontés à un défi économique majeur : une combinaison de déficits budgétaires élevés, d’un important déficit extérieur et d’une position nette d’actifs étrangers négative, rendant le pays de plus en plus dépendant du financement étranger. Cette situation précaire menace non seulement la stabilité économique de l’Amérique, mais aussi sa souveraineté, comme en témoigne l’arrêt soudain des flux de capitaux étrangers il y a quelques semaines, qui a forcé un revirement dans la politique commerciale de l’administration », dit-il, en faisant référence notamment à l‘accord vague conclu avec la Chine et au report des tarifs douaniers imposés à l’Europe.
Vers un été chaud ?
« Un resserrement budgétaire serait la solution la plus directe, mais les réalités politiques le rendent improbable, poursuit le financier. Une proposition alternative, le « Mar-a-Lago Accord », suggère une restructuration mondiale de la dette pour résoudre ces déséquilibres. Cependant, un tel plan est irréalisable sans s’attaquer aux déficits sous-jacents ».
Les investisseurs mondiaux ne vont pas acheter de la dette américaine qui apparaît de moins en moins soutenable. On voit d’ailleurs qu’ils privilégient désormais la dette américaine à court terme plutôt qu’à long terme. Georges Saravelos estime qu’une approche plus viable serait un plan qui mettrait l’accent sur la réduction de la dépendance aux acheteurs étrangers de la dette américaine (qui est encore détenue à 25% par l’étranger) et sur l’augmentation de l’absorption domestique des émissions de bons du Trésor.
L’administration américaine pourrait par exemple exempter les banques de devoir mobiliser des fonds propres supplémentaires si elles achètent des bons du Trésor américain. Elle pourrait forcer les plans d’épargne des Américains et les fonds de pension du pays à détenir une certaine proportion de bons du Trésor, ou créer des incitants pour pousser l’épargne américaine vers le marché obligataire domestique et moins vers les actions.
Cette stratégie entraîne des implications significatives pour la politique monétaire, les rendements américains, le dollar et la bourse. « En se tournant vers le financement domestique, les États-Unis peuvent réduire leur vulnérabilité aux pressions extérieures, mais au prix de rendements plus élevés et d’un dollar potentiellement plus faible », souligne Georges Saravelos. D’une manière ou d’une autre, avec des investisseurs étrangers qui se détournent des actifs en dollars et des investisseurs américains qui seraient poussés à acheter des obligations plutôt que des actions, Wall Street se prépare des mois difficiles. L’été financier pourrait être très chaud.