“Trump est un fin stratège qui fait bouger les lignes, mais attention à ne pas aller trop loin…” 

Doald Trump connait-il les limites de sa brutalité? (Sipa USA)
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Avocat d’affaires, David Blondeel voit un parallèle entre la brutalité de la négociation de Trump et l’évolution des rapports dans le monde commercial. Cette clarification des enjeux n’est pas forcément négative, dit-il. Le tout est de savoir ce que l’on en fait et d’éviter d’aller jusqu’à la rupture complète ou à l’humiliation de l’autre. Un entretien qui fait réfléchir.

David Blondeel est avocat d’affaires, spécialisé dans les achats et ventes d’entreprises ou les litiges entre actionnaires. Particulièrement attentif à l’évolution vertigineuse de l’actualité internationale, il nous répond au sujet des parallèles à faire entre les deux univers, dans ce monde devenu brutal, sujet à la loi du plus fort. 

Le monde est-il devenu fou? 

Cela bouge bien et cela bouge vite. Notre ami Trump nous apprend à accélérer les choses et à arrêter de tourner autour du pot. 

C’est brutal et sans concessions, non? 

Oui, c’est brutal et sans concessions, mais les Européens ont trop souvent tendance à ne pas avancer, à ne pas dire les choses et à ne pas être assertifs. Peut-être ne doit-on pas être trop clivants ou avoir une approche trop négative de Trump, du moins tel que c’est le cas dans certains médias. Outre Atlantique, il est tout de même fort apprécié pour certaines choses, ce n’est pas un va-t’en guerre comme on l’a vu lors de son premier mandat. Il cherche des compromis, surtout dictés par son intérêt propre. C’est une approche transactionnelle, brutale c’est vrai, au départ de celui qui est le plus fort. 

Ce rapport transactionnel s’inspire-t-elle des rapports commerciaux? 

Oui, certainement, c’est une approche brutale de négociation. Il n’a pas la même approche que ses prédécesseurs. Il joue de la pression, voire de l’intimidation comme on a pu le voir dans son dialogue avec Zelensky. C’est: ‘Tu fais ce que je dis ou je veux quelqu’un d’autre à sa place’. Le premier deal sur les minerais était de la spoliation pure et dure. Au fur et à mesure, on voit qu’il sait proposer des deals plus équilibrés. Son approche fait de tout de même bouger les lignes. La suspension de l’aide militaire à l’Ukraine est dans le même registre: il part de sa position de force en estimant que ses intérêts réclament un arrêt de la guerre ici et maintenant. 

Ce type d’approche brutale se pratique-t-elle effectivement dans les affaires? 

Aux Etats-Unis, clairement, mais je le vois aussi dans ma pratique au quotidien. Oui, il y a désormais une approche beaucoup plus clivante avec des positions plus dures dans les rachats d’entreprises, les litiges entre actionnaires ou les négociations commerciales. Il y a toujours un vendeur ou un acheteur qui est en position de force et qui peut utiliser cette position. On le voit d’ailleurs aussi au niveau politique, avec le positionnement agressif de Georges-Louis Bouchez et Paul Magnette, la polarisation entre PS et MR. Ce n’est pas forcément négatif, là encore. Le gros défaut dans les litiges entre actionnaires ou les conflits commerciaux, jusqu’ici, c’est que les gens n’en parlaient pas. Dans un couple, quand on a une dispute, on ne divorce pas systématiquement. Au contraire, on essaye de trouver une solution et de réaligner une vision à long terme. Quand il y a des conflits, nous devrions être davantage assertifs. 

Cela se fait désormais sans filtres et sans tabous? 

On prend moins de pincettes, c’est vrai. On constate beaucoup plus qu’avant que les lignes de négociations sont assez figées, que les gens restent davantage sur leurs positions. Ils peinent à adopter le point de vue de l’autre qu’auparavant. Nous sommes moins dans la recherche d’un compromis durable ou la volonté de préserver la relation sur le long terme. Il s’agit en permanence de vérifier ses alternatives pour ne pas être contraints d’accepter un accord dans les pires conditions. 

Au bout du compte, cette approche brutale rend-elle plus difficile la recherche d’un compromis durable? 

C’est tout le défaut de l’approche de Trump qui est directe, parfois déroutante. Il parvient à déstabiliser son adversaire avec des informations contradictoires, affirmant un jour que Zelensky est un ‘dictateur’ avant de revenir le lendemain en affirmant qu’il ne pensait pas avoir dit ça. C’est déstabilisant et brutal. Mais la limite de son approche, c’est qu’elle est trop court-termiste. Dans le cas des droits de douane sur le Canada et le Mexique, l’objectif de limiter le trafic de Fetanyl ou de freiner la migration peut être louable, mais derrière, cela peut impliquer de l’inflation ou des boycotts anti-US. Il a tendance à oublier les possibles conséquences à long terme. Les conséquences de cette brutalité transactionnelle, c’est également la rupture de l’humain, du lien relationnel, de l’humour – il n’y a pas beaucoup d’humour chez Trump… C’est bien de vouloir gagner un maximum, mais le risque est de générer une perte de confiance chez le partenaire. Je le dis dans mes négociations entre entreprises: à un moment, il faut savoir lâcher prise et faire des concessions. Si on s’accroche à son gain, on ne résout pas la situation et le lien humain est cassé pour l’avenir. Le résultat peut être aussi que des alternatives se dessinent pour celui qui est déçu: si celui qui est face de moi ne me respecte pas ou me domine, je vais me tourner vers un autre partenaire commercial. 

C’est ce que l’Europe peut faire en négociant avec l’Inde ou en s’accommodant avec la Chine? 

Exactement. On peut assister à un shift, comme c’est le cas dans le business. Le risque en étant trop brutal, c’est aussi de générer une rupture des négociations. Pour l’instant, Trump n’a toujours pas son accord sur les minerais avec l’Ukraine, par exemple. Dans les achats ou ventes de négociations, c’est la même chose: si une personne a le sentiment d’être lésée, elle peut rompre les négociations. Je ne sais pas si une attitude aussi forte est tenable à long terme. Mais ce qu’il y a de positif dans l’approche de Trump, je le répète, c’est que cela fait bouger les lignes. 

Cela provoque un sursaut européen, comme on vient de la voir avec le Sommet de Londres ou le plan Von der Leyen pour la défense… 

Voilà et dans ce cas, on peut se poser la question de savoir si Trump n’est pas un fin tacticien et un stratège puisque c’est ce qu’il veut depuis le début: que l’Europe se bouge et se dote les moyens de sa propre défense. C’est lui qui a fait bouger les lignes. Ses propres électeurs pourront constater qu’il obtient des résultats, ce qui est le propre de tout négociation. Cela dit, il n’y a pas que la victoire immédiate qui compte, il faut aussi se soucier du monde que l’on veut demain et ce que l’on veut pour nos enfants. Même chose pour les accords commerciaux: comment est-ce que je veux travailler à long terme avec mon partenaire? 

Il faut savoir jusqu’où ne pas aller trop loin, en fait? 

C’est cela. Les Etats-Unis ont un rapport de forces important et le nouveau monde se dessine sur ces bras de fer. Cela fait du bien pour la jeune génération d’arrêter le politiquement correct. Nous étions arrivés à un stade où tout était lisse, tout était plat, les compromis n’étaient pas clairs, on ne voyait plus bien où se trouvait la gauche ou la droite. A titre personnel, je trouve cette évolution bienvenue, cela clarifie les positions. Dans mon métier, je rappelle d’ailleurs que c’est OK d’avoir une dispute avec ses associés. Mais si l’on doit évaluer vers cette assertivité et vers cette communication décomplexée, il faut le faire avec plus de respect et moins d’agressivité permanente.

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