Sous-marin disparu: une plongée à 250.000 dollars qui se transforme en enfer
Des bruits ont été captés sous l’eau par des avions canadiens. Il y a donc encore de l’espoir pour les cinq personnes à bord du sous-marin qui partait découvrir l’épave du Titanic. Néanmoins ce genre d’excursion au prix astronomique pose question. Notamment en ce qui concerne la sécurité.
Une vaste opération de recherches est en cours dans l’espoir de sauver, d’ici jeudi, cinq passagers d’un sous-marin de tourisme descendu visiter l’épave du Titanic par 4.000 mètres de fond dans l’Atlantique nord en 1912.
Les grands moyens
Cette opération mobilise les forces armées américaines, épaulées par le Canada et la France. Ce genre de recherche serait aussi difficile qu’essayer de retrouver quelqu’un dans l’espace. On cherche un petit navire de 6.5 mètres de long dans une zone qui s’étale sur 20.000 mètres carrés et qui peut aller jusqu’à 4000 mètres de profondeur. Le tout dans une eau sombre et trouble. Minuscule dans l’immensité des profondeurs, le submersible a perdu le contact avec son navire de support dimanche moins de deux heures après son départ vers le Titanic. A l’origine l’expédition ne devait durer que de 8 à 10 heures.
L’artillerie lourde n’aura pourtant pas été vaine puisque “des avions P-3 canadiens ont détecté des bruits sous l’eau dans la zone de recherche. En conséquence, les opérations ROV (véhicule télécommandé, NDLR) ont été déplacées pour tenter d’explorer l’origine des bruits”, a annoncé le premier district des garde-côtes américains sur Twitter. Les recherches par ROV “ont donné des résultats négatifs, mais se poursuivent”, a-t-il ajouté. Selon le magazine Rolling Stone, un avion P-8 canadien engagé dans les recherches “a entendu des bruits de coups dans ce secteur toutes les 30 minutes. Quatre heures plus tard, un sonar additionnel a été déployé et les cognements étaient encore entendus.” Outre ces bruits de coups, “des signaux acoustiques supplémentaires ont été entendus et aideront à orienter les moyens de surface tout en maintenant l’espoir de retrouver des survivants”, a pour sa part affirmé la chaîne CNN, citant un document interne du gouvernement des Etats-Unis.
Course contre la montre
Conçu pour emmener cinq personnes dans les abysses, le Titan a entamé sa descente dimanche au large de la côte nord-est américaine. Ils ont des reserves d’oxygène jusque jeudi. C’est donc une véritable course contre la montre pour sauver ces cinq hommes.
Le Français Paul-Henri Nargeolet, 77 ans, spécialiste de la plongée à grande profondeur et passionné d’archéologie maritime. Explorateur des fonds marins, il a effectué la première partie de sa carrière comme officier de marine. Commandant du groupe de plongeurs-démineurs de Cherbourg (nord-ouest de la France), il devient ensuite pilote de sous-marins dans la Marine nationale française. Il passe ensuite à l’archéologie maritime, avec la fouille de plusieurs épaves. En 1986, il devient responsable des sous-marins d’intervention profonde de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Un an auparavant, une équipe menée par le scientifique américain Robert Ballard, en coopération avec l’Ifremer, a trouvé l’épave du Titanic. Dès 1987, Paul-Henri Nargeolet côtoie l’épave à bord du sous-marin français Nautile. S’ensuivront des dizaines de plongées ayant permis notamment de remonter plusieurs centaines d’objets. Les dernières remontent à l’été 2021.
L’homme d’affaires britannique Hamish Harding, 58 ans, est lui aussi familier des explorations extrêmes. A part ses aventures, qu’il raconte sur les réseaux sociaux, peu de détails sont connus sur le parcours et la fortune du PDG de l’entreprise de vente de jets privés Action Aviation, fondée en 2004. Diplômé de l’université de Cambridge en sciences naturelles et ingénierie chimique, Hamish Harding s’est rendu dans l’espace il y a un an, à bord de la fusée New Shepard de Blue Origin, pour un vol de dix minutes marquant la cinquième mission habitée réussie pour l’entreprise de Jeff Bezos, son “mentor”. Il détient plusieurs mentions dans le Guinness des records. Parmi ses exploits, il a plongé en mars 2021 avec un autre explorateur, Victor Vescovo, au plus profond de la fosse des Mariannes, la partie la plus profonde de l’océan connue à ce jour, à bord d’un submersible à deux places. Cette mission a été la plus longue passée à une telle profondeur (4 heures et 15 minutes) avec la plus longue distance parcourue (4.600 mètres). Avec son épouse Linda, il a deux fils dont Giles, qui à l’âge de 12 ans en 2020 est devenu la plus jeune personne à se rendre au pôle Sud, rapporte le Times.
Un important homme d’affaires pakistanais et son fils, a indiqué leur famille dans un communiqué. Il s’agit de Shahzada Dawood, 48 ans, vice-président du conglomérat Engro basé à Karachi, dans le sud du Pakistan, et de son fils Suleman, âgé de 19 ans, tous les deux citoyens britanniques. Engro a des investissements dans plusieurs secteurs d’activité: l’énergie, l’agriculture, la pétrochimie et les télécommunications.
La cinquième personne est Stockton Rush, le patron américain d’OceanGate Expeditions.
Une plongée à 250.000 dollars la place, mais une sécurité qui laisse à désirer
L’entreprise OceanGate Expeditions, organisatrice du voyage et dont le patron américain Stockton Rush est donc aussi à bord, a assuré “mobiliser toutes les options pour ramener l’équipage en toute sécurité”. Toujours en quête d’adrénaline, Stockton Rush a fondé l’entreprise OceanGate en 2009 dans l’espoir d’aller encore plus loin dans l’exploration sous-marine, organisant notamment des expéditions autour de l’épave du Titanic depuis 2021. En réalité, les expéditions vers le Titanic ont débuté bien plus tard que prévu, OceanGate ayant échoué à obtenir le permis nécessaire pour le navire accompagnant le projet. Mais il était hors de question de s’en passer pour des raisons marketing. “Si vous demandez aux gens de citer quelque chose sous l’eau, ils vous diront: +requins+, +baleines+, +Titanic+”, affirmait Rush au magazine Smithsonian. Décrit par le même magazine comme un “inventeur casse-cou”, Stockton Rush a toujours voulu repousser les limites de ce type d’exploration et s’était plaint des réglementations qu’il jugeait trop strictes. “C’est absurdement sûr en raison de toutes ces normes. Mais il n’y a pas d’innovation ou de croissance, en raison de toutes ces normes”, déclarait en 2019, dans une interview au Smithsonian, cet Américain à la mâchoire carrée, cheveux poivre et sel et mèche disciplinée.
En 2022, lors d’un reportage de CBS News, le fondateur d’OceanGate en vantait les mérites, balayant les critiques qui jugeaient que l’équipement semblait assemblé à la hâte. Tout en admettant que le submersible était contrôlé par une manette de jeux vidéo. “Le vaisseau pressurisé n’est pas du tout +MacGyver+”, insistait-il, en référence au héros de la série télévisée éponyme, qui semblait se sortir des situations les plus périlleuses avec seulement quelques outils faits de bric-à-brac. “Nous avons travaillé avec Boeing, la Nasa, et l’université de Washington” sur cet appareil, ajoutait-il alors. “Tout le reste peut faillir. Vos propulseurs peuvent casser, vos lumières peuvent casser, vous serez quand même en sécurité”, expliquait Stockton Rush à CBS. Pour lui, le risque de ces plongées se trouvait moins dans les profondeurs que dans l’inattendu. “Ce qui m’inquiète le plus ce sont les choses qui pourraient m’empêcher d’arriver à la surface”, comme des filets de pêche ou le relief sous-marin, déclarait-il fin 2022 au podcast “Unsung Science” de CBS. Il s’inquiétait aussi qu’un passager puisse glisser sur le pont verglacé du navire, ou qu’une porte claque et brise sa main. “C’est ça, selon moi, la partie dangereuse. Mais ce qui fait peur à la plupart des gens c’est de descendre jusqu’à 414 bars de pression”.
Visiblement, le verglas n’était pas vraiment le seul danger. Depuis que ce sauvetage semble passionner le monde, une plainte datant de 2018 a aussi émergé. Une plainte mettant en doute la sécurité même de l’expédition. Elle montre qu’un ex-dirigeant de l’entreprise OceanGate Expeditions, David Lochridge, avait été licencié après avoir émis de sérieux doutes sur la sûreté du sous-marin. David Lochridge, pilote de sous-marin et plongeur écossais, a commencé à travailler pour OceanGate en 2015 en tant que prestataire indépendant, avant d’être promu directeur des opérations marines, d’après des documents judiciaires. Il aura notamment été alarmé par “le refus d’OceanGate de procéder à des essais cruciaux et non-destructifs” concernant la coque du submersible. Selon l’ancien directeur des opérations marines, un hublot à l’avant du submersible a été conçu pour résister à la pression ressentie à 1.300 m de profondeur, et non à 4.000 m. L’entreprise “a refusé de payer le fabricant pour qu’il construise un hublot conforme à la profondeur requise de 4.000 m”, selon lui.
“Ce ne sont pas des vacances en autocar”
Lochridge n’est pas le seul à avoir émis des doutes puisque les membres du groupe Marine Technology Society, qui rassemble des spécialistes des technologies marines, avaient eux aussi fait part de leur “inquiétude unanime” à propos du Titan, dans une lettre envoyée à Stockton Rush en mars 2018, selon le New York Times. Ils disaient craindre que “l’approche expérimentale” d’OceanGate n’ait “des conséquences négatives (allant de mineures à catastrophiques) qui auraient de graves répercussions sur tous les acteurs du secteur”.
Les passagers du Titan ne semblaient par contre pas ignorer les risques. Selon le scénariste américain Mike Reiss, producteur de la célèbre série “Les Simpson”, chacun est parfaitement conscient des dangers encourus. Il est déjà parti trois fois avec OceanGate Expeditions, dont une fois en 2022 à bord du même submersible que celui qui a disparu, a-t-il raconté lundi sur la BBC. D’après lui,: “Il faut signer une décharge avant de monter et la mort est mentionnée à trois reprises en page une. Ce ne sont pas des vacances en autocar, ça peut mal tourner”.
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