Samy Chaar (Lombard Odier) : “Pour la Fed, les jeux ne sont pas faits”

Samy Chaar
Samy Chaar, chief economist de la banque privée genevoise Lombard Odier. © D.R.
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Comme l’explique Samy Chaar, chief economist de la banque privée genevoise Lombard Odier, l’avenir de la Réserve fédérale américaine dépendra étroitement du choix de Donald Trump pour sa présidence.

Un profil idéologique pourrait provoquer un désastre sur les marchés, tandis qu’une figure consensuelle rassurerait les investisseurs. Mais pour l’instant, rien n’est joué et il est encore trop tôt pour paniquer.

Quel regard portez-vous sur ce qui se passe actuellement autour de la banque centrale américaine, la Fed ? Faut-il vraiment s’inquiéter au sujet de son indépendance ?

Tout dépendra vraiment des nominations et du nom du successeur de Powell. Mais rien que le fait que l’on ait à se poser la question n’est pas bon signe. C’est vraiment un pas dans la mauvaise direction, c’est sûr. On ne devrait pas avoir à se poser la question.

Parce que la Fed est une institution clé ?

De manière générale, on assiste à l’affaiblissement des institutions américaines qui ont fait l’Amérique, en tout cas l’Amérique économique. Certaines de ces institutions comptent plus que d’autres, et la Fed pèse énormément. 

Pourtant, les marchés ne semblent pas encore s’alarmer. Pourquoi ?

Parce qu’il faut nuancer : Trump procède à des nominations très contrastées. Parfois idéologiques, parfois beaucoup plus consensuelles. Regardez Kennedy à la Santé, Lutnick au Commerce ou Hegseth à la Défense, il a nommé des profils très idéologiques, presque extrêmes. Si un tel profil devait arriver à la Fed, ce serait un désastre. Mais il faut aussi reconnaître qu’il a aussi choisi des personnalités beaucoup plus rassurantes. Pensez à son ministre des Finances du premier mandat, Steven Mnuchin, ou à son actuel secrétaire au Trésor, Scott Bessent, qui est très bien reçu par les marchés, parce qu’il modère et contrôle les dégâts.

La stabilité des marchés dépendra donc, en grande partie, du profil que Donald Trump choisira pour diriger la Fed ?

Trump a déjà nommé des gouverneurs comme Michelle Bowman ou Christopher Waller, qui sont issus du sérail de la politique monétaire et absolument pas disruptifs. Il a même renommé Powell lors de son premier mandat. S’il venait à nommer quelqu’un de très idéologue à la tête de la Fed, je peux vous assurer que les marchés réagiront. Mais s’il venait à choisir quelqu’un comme Waller, qui est à la Fed depuis quasiment huit ans, je pense que les marchés seraient rassurés. Il y aura peut-être une forme d’influence politique, mais que celle-ci sera minimisée. 

Vous allez jusqu’à parler de “désastre” : que craignez-vous concrètement ?

Si la politique monétaire est perçue par les investisseurs étrangers ou domestiques comme n’étant plus en lien avec le mandat de la Fed – par exemple, baisser les taux pour stimuler l’économie, même quand elle ne doit pas l’être – les acteurs de marché exigeront une prime de risque pour détenir des actifs américains. En gros, cela se traduira par un dollar plus faible et des taux d’intérêt plus élevés. Aujourd’hui, on constate déjà un dollar plus bas et des taux qui restent élevés, mais cela reste encore raisonnable. Mais si jamais les marchés des acteurs de marché venaient à douter du modus operandi de la prochaine Fed, je peux vous assurer qu’on aura une tension sur les marchés obligataires et une tension sur le dollar à la baisse.

Mais nous n’en sommes pas encore là, selon vous, heureusement ?

Exactement. Il y a des nominations un peu folles et il y a des nominations très acceptables. Aujourd’hui, pour la Fed, les jeux ne sont pas faits. Donc, c’est trop tôt pour paniquer en quelque sorte. Il faut rappeler que le président américain, quand il s’agit de business, se montre généralement moins idéologique. Dans d’autres domaines comme la sécurité, la santé ou le commerce, c’est différent : on sent beaucoup plus d’idéologie. Mais sur les sujets économiques, il a déjà montré qu’il pouvait s’entourer de personnalités en qui les marchés ont confiance.

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