Roland Gillet: “Les Américains eux-mêmes deviennent le principal ennemi de Trump”

ROLAND Gillet. "Les Etats-Unis jouent un jeu musclé, mais risqué." © Renaud Callebaut
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Professeur d’économie financière à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB Solvay, Roland Gillet revient sur la récente dégradation de la note américaine qui, selon lui, est loin d’être catastrophique. Elle sonne surtout comme un rappel salutaire. “La confiance, même pour une superpuissance, a un prix”, dit-il.

Comment interprétez-vous la décision des agences de notation concernant les États-Unis ?

C’est, à mon sens, une décision logique de la part des agences de notation. Ce n’est pas tant la performance économique actuelle des États-Unis qui est en cause, mais plutôt la volatilité croissante qui entoure cette performance. On sait que pour les investisseurs, une hausse de la volatilité équivaut à une hausse du risque. Or, qui dit risque accru dit prime de risque plus élevée. Pour un pays émetteur de dette comme les États-Unis, cela se traduit par un coût de financement plus important.

La responsabilité de cette volatilité est donc clairement attribuable à Trump ?

Oui. Trump fonctionne comme un bulldozer. Il avance avec des annonces-chocs, souvent contradictoires ou irréalistes, qui déstabilisent les marchés. On l’a vu avec les tarifs douaniers. Il a donné un coup de pied dans la fourmilière, pour ensuite faire volte-face. Pourtant, de nombreux économistes américains, dont certains prix Nobel sont spécialisés dans la matière, ont alerté sur les dangers de ce type de politique commerciale. Même des figures comme Warren Buffett s’en sont publiquement offusquées.

En somme, cette dégradation reflète une méfiance croissante vis-à-vis de l’administration américaine ?

Exactement, davantage vers le président et son gouvernement que vers l’administration à proprement parler. Elle témoigne d’une perte de crédibilité. Trump promet de baisser les impôts sur le dos du reste du monde, c’est-à-dire en finançant ces baisses par des recettes issues de tarifs douaniers, mais il recule là-dessus. Il envisage désormais de taxer les plus riches, ce qui contredit ses engagements initiaux. Résultat : les marchés ne savent plus à quoi s’attendre. Et dans ce contexte, les agences de notation préfèrent agir proactivement au vu de l’ampleur de la dette américaine et du coût accru de son financement plutôt qu’attendre que la situation dégénère.

A vous entendre, cette perte du triple A américain n’a rien de catastrophique pour l’économie mondiale ?

Tout à fait. C’est même une très bonne chose pour l’équilibre mondial. Car soyons clairs : ce n’est pas un président, même Trump, qui va conduire à l’effondrement des États-Unis. Mais multiplier les signaux de volatilité sur la première économie mondiale a de plus en plus de conséquences sur les taux, la dette, et donc sur les créanciers internationaux. Il suffit de voir la réaction des Chinois. Ils sont parmi les premiers concernés, en tant que plus importants détenteurs de dette américaine après les Japonais.

Justement, quel rôle peuvent jouer les créanciers internationaux dans ce contexte ?

Un rôle crucial. Les Chinois, par exemple, voient leur portefeuille de bons du Trésor américains perdre en valeur en raison de la hausse des taux et de manière atypique de la baisse du dollar, toutes deux induites par un sentiment de méfiance qui s’accentue. Ils ne vont pas rester sans réagir indéfiniment. Lors des futures négociations commerciales, ils auront un levier important : “Nous voulons bien continuer à acheter votre dette, mais à condition que vous arrêtiez de la dévaloriser par votre imprévisibilité.” C’est un retournement de pouvoir subtil, mais réel.

En somme, cette dégradation est un avertissement utile, pas une alerte rouge ?

Exactement. C’est un message clair adressé aux investisseurs : “Restez attentifs à l’équation budgétaire”. On avait peut-être un peu oublié que l’argent n’est pas gratuit, même pour les États-Unis. Et on rappelle à Trump que la crédibilité d’un pays, c’est aussi sa capacité à rassurer les marchés. Les agences ne disent pas que tout s’écroule, mais elles posent des limites : vous ne pouvez pas éternellement jouer avec le feu sans conséquence. La confiance, même pour une superpuissance, a un prix.

Ce qui fait aussi désordre, c’est le sujet des universités américaines et notamment Harvard, un campus que vous connaissez bien et que Trump a visiblement dans le viseur…

Oui, et c’est encore un contresens majeur. Harvard, avec ses 55 milliards de dollars de dotation, peut se passer de financements publics pendant plusieurs années sans difficulté. Ce que Trump ne comprend pas, c’est qu’en attaquant ces institutions, il attaque aussi les fondements mêmes de la suprématie américaine en matière d’innovation, de recherche, de technologie. L’iPhone, ce n’est pas sa fabrication qui en fait un produit américain, c’est l’intelligence qui l’a conçu. Et cette intelligence sort de Californie et à partir le plus souvent de collaborations ou de collaborateurs issus des meilleurs campus américains.

Un paradoxe de plus, donc, pour un président “pro-business” ?

Un paradoxe, ou une erreur stratégique. Il tape sur les universités, mais aussi sur leurs donateurs qui sont, pour une partie, ceux qui l’ont soutenu politiquement. C’est un jeu dangereux. Et même les milieux d’affaires commencent à s’en éloigner. Beaucoup d’entreprises qui l’ont financé voient aujourd’hui leurs fonds propres reculer, leur image se détériorer à l’international. Ce n’est pas pour rien que certains d’entre eux tirent déjà la sonnette d’alarme.

La morale de l’histoire ?

On a ici un exemple clair d’un président qui a voulu transposer sa logique de dealmaker à la politique économique d’un État. Sauf que l’économie mondiale ne se gère pas uniquement comme une opération commerciale ou immobilière. Et que les marchés, reflet des anticipations des acteurs économiques que sont les entreprises et les ménages, finissent toujours par remettre les pendules à l’heure. Bref, à moins qu’il ne change sa manière de décliner et rationaliser ses actions et réactions, les Américains eux-mêmes deviennent le principal ennemi de Trump.

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