Pourquoi le travail en Italie est-il moins payé qu’il y a 30 ans?

Italie drapeau
Illustration. © Getty Images

En Italie, les salaires stagnent depuis plus de trente ans. Tandis que les rémunérations progressaient en France, en Allemagne ou aux États-Unis, le pouvoir d’achat des travailleurs italiens s’est érodé. À tel point qu’un salarié moyen a aujourd’hui perdu près d’un mois de salaire en termes réels depuis 2021.

Parmi les économies développées, l’Italie fait figure d’exception: les salaires en prix constants ont régressé entre 1991 et aujourd’hui, là où ceux des Français et des Allemands ont pris un tiers et ceux des Américains 50%.

En cause, des entreprises trop petites, trop d’importance donnée aux secteurs à faible valeur ajoutée comme le tourisme et le BTP, et un système de négociation syndicale défaillant, explique Andrea Garnero, économiste à l’OCDE et co-auteur en avril d’un livre à ce sujet, “La Questione salariale” (“La Question salariale”).

QUESTION: Que se passe-t-il avec les salaires italiens?

REPONSE: C’est un phénomène qui passait sous les radars jusqu’à émerger dans le débat public l’an dernier: le moteur des salaires en Italie s’est bloqué dans les années 90, alors que les autres pays continuaient de progresser tant bien que mal, creusant l’écart avec l’Italie.

Il s’est encore accru avec la vague inflationniste post-Covid, l’Italie étant le pays de l’OCDE qui a le moins répercuté sur les rémunérations la hausse de coûts.

Les Italiens ont donc perdu presque 7,5% de leur salaire en valeur réelle entre 2021 et 2024, presque un mois de paye par an.

Il n’y a pas de salaire minimum au niveau national en Italie, mais là où le pays se démarque, c’est surtout qu’il y a vraiment peu de hauts salaires, car il y a peu de postes de direction et ils sont moins bien payés qu’ailleurs.

Moins de 10% des salariés gagnent plus de 40.000 euros brut à l’année (environ 2.200 nets mensuels, NDLR). Il y a peu d’inégalités entre les rémunérations tant elles sont tassées.

Q: Est-ce dû à une productivité trop faible?

R: En fait, lorsque l’on compare la productivité en Italie par taille d’entreprise avec ses semblables européens comme la France et l’Allemagne, elle est tout à fait similaire, sauf celles des petites et très petites entreprises.

Or en Italie, ces dernières pèsent bien davantage dans le paysage, et font donc chuter la moyenne.

C’est une faiblesse structurelle de l’Italie. Ces entreprises innovent moins, ont beaucoup de mal à être compétitives, ont peu de compétence managériale, etc.

Tout ceci fait qu’elles ont peu de marge pour accroître leur productivité, et donc les salaires. De surcroît, la carrière y est limitée, il y a peu de postes de direction.

Q: Elles sont également présentes dans des secteurs à faible valeur ajoutée?

R: Oui, cela rejoint un problème général: en répétant que “la construction est le moteur de l’économie” et que “le tourisme est le pétrole de l’Italie”, – des arguments infondés -, nous nous condamnons à une faible croissance de la productivité et donc des salaires.

Ce n’est pas avec le tourisme et le BTP que l’on fait la richesse d’un pays. Les marges y sont restreintes, et les postes sont souvent saisonniers, ce qui donne de faibles rémunérations annuelles.

C’est un problème de politique publique, d’économie, mais aussi de narratif. On a toujours la vision de l’industrie à la Charlie Chaplin, éreintante et sale, alors que le problématique des bas salaires y est moins prégnante.

Dans le même temps, les émissions de cuisine font rêver du métier de chef, faisant oublier que la restauration, c’est surtout des bas salaires, parfois au noir.

Q: Vous rappelez également les problèmes de négociations avec les syndicats.

R: La négociation collective a le monopole de la fixation des salaires depuis 70 ans, cela ne fonctionne plus pour couvrir tout le monde efficacement.

D’abord, parce que cela crée des retards considérables, un tiers des salariés ont leur accord collectif qui a expiré, parfois depuis de nombreuses années.

Aussi parce que les syndicats-partis se sont montrés trop attentifs au monde politique et pas assez à ce qui était réalisable au sein des entreprises.

Q: Le salaire minimum national a été enterré par le gouvernement de Giorgia Meloni, était-ce la solution?

R: Le problème ne sera pas résolu avec une seule loi.

Sur ces 30 dernières années, on s’est trop concentré sur l’assouplissement du marché du travail.

Mais il faut agir ailleurs. Sur la taille des entreprises, de nombreuses normes découragent encore les regroupements.

Il y a également un problème de formation. Les diplômés sont trop peu nombreux et les investissements en recherche trop faibles. On émet moitié moins de brevets en Italie qu’en France, cinq fois moins qu’en Allemagne.

Pour finir, le gros de l’imposition repose sur les salariés du privé et du public, alors qu’il existe de nombreuses réductions pour les indépendants et les rentiers, sachant que l’immobilier est en Italie un moyen important pour compenser les bas salaires, mais qui n’incite pas à produire.

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