“C’est une véritable catastrophe”: l’armée russe a réussi à franchir une ligne de défense ukrainienne majeure. Alors que les présidents américain et russe doivent discuter du sort du pays, le 15 août, ce contretemps pourrait forcer à des concessions plus importantes. Dans tous les cas de figure, trois scénarios sont envisageables, selon l’expert Alain De Nève.
Le reporter de guerre Cyrille Amoursky, qui travaille notamment pour LCI, s’étranglait, lundi soir: “C’est une véritable catastrophe. Les Russes ont réussi à franchir la ligne de défense majeure et principale de la région de Donetsk. Ils sont désormais plus proches que jamais de Kramatorsk, ville clé de la région. La pression du sommet en Alaska ce vendredi sera gigantesque.”
Et d’ajouter: “C’est l’axe principal de l’invasion russe. Leur objectif principal depuis 2022 – prendre le Donbas en entier. Si Kramatorsk tombe, ce qui semblait inimaginable, l’Ukraine n’aura pas le choix que de négocier dans les pires termes possibles.”
L’information a été documentée par des experts qui scrutent de près la cartographie militaire du conflit et pourrait en effet avoir des conséquences importantes sur le sommet Trump – Poutine, qui se déroulera vendredi 15 août en Alaska.
“Disproportion de forces”
Le corps d’armée Azov a été déployé près de Dobropillia pour contrer les forces russes ayant franchi la défense dans le secteur, précise le reporter. “Pour l’heure, il s’agit d’une infiltration, et non d’une occupation durable. La situation demeure critique et nécessite une réaction urgente.”
Gérard Araud, diplomate et expert français, s’inquiète. “Arrive ce qui était prévisible: laissée seule face à son agresseur, l’Ukraine ne peut surmonter la disproportion des forces en présence et recule malgré son courage. Dans ce contexte, refuser une négociation serait de l’inconscience. Et l’Europe? Elle agite un sabre de bois…”
Il ajoute: “Les Européens n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes de la perspective d’une rencontre entre Trump et Poutine pour mettre un terme à la guerre en Ukraine. Ils ont été incapables soit de soutenir fermement ce pays soit de présenter une position de négociation réaliste.”
Après avoir campé sur une position ferme, le président ukrainien Volodymyr Zelensky serait désormais prêts à des concessions territoriales, selon le journal britannique Telegraph citant des sources européennes.
Trois scénarios… du pire
“Pourquoi penser, aujourd’hui, que les positions jusque-là tenues par Poutine pourraient connaître un infléchissement soudain à l’approche de sa rencontre avec Trump le 15 août prochain?, demande Alain De Nève, spécialiste de l’Institut royal supérieur de défense. Rien ne nous conduit à le penser.”
Selon lui, trois scénarios sont à envisager :
“1. Un accord en faveur de Moscou : céder des territoires ukrainiens reviendrait à entériner le fait accompli territorial par la force. Le coup porté au droit international et à l’ordre mondial hérité de 1945 et de l’après la guerre froide serait fatal. Mais au-delà de ça, comment imaginer l’opérabilité d’un tel transfert à l’encontre de la volonté ukrainienne ? Qui assurerait l’”enforcement” : la Russie ? Les États-Unis ? Quelle reconnaissance internationale pourrait émerger ?
Un tel scénario permettrait confirmerait Vladimir Poutine dans sa stratégie. Les États-Unis projetteraient alors l’Europe dans une dynamique parfaitement incontrôlable, tout en révélant l’incapacité de l’administration Trump à percevoir son intérêt bien compris : ce précédent renforcerait la légitimité des ambitions chinoises sur Taïwan et pousserait certains États, à l’image du Danemark, à redouter plus que jamais les prétentions américaines sur le Groenland, puisque Washington ne ferait plus grand cas des positions européennes.
2. Un statu quo conflictuel. L’absence d’accord prolongerait le conflit, mais paradoxalement, ce scénario laisserait davantage de temps aux Européens pour se préparer à une menace russe accrue dans les années à venir, tout en intégrant la perspective d’un désengagement stratégique américain que certains qualifient déjà d’”US abandonment”. Un gros “hic” : la Russie a pleinement conscience de cette fenêtre d’opportunité qui pourrait s’ouvrir pour les Européens et mettra tout en œuvre pour la refermer. Moscou cherchera à prendre les capitales européennes de court afin de limiter toute montée en puissance capacitaire. Elle dispose pour cela d’atouts concrets : une économie de guerre désormais assumée, une production d’armements relancée et modernisée – le stock hérité de l’ère soviétique étant désormais épuisé – et surtout, une expérience opérationnelle forgée par plus de deux années de combats intensifs. Face à cela, il sera difficile pour l’Europe de mettre rapidement en ligne des capacités suffisamment robustes pour dissuader ou contrer des actions russes.
3. Un accord équilibré mais fragile. Un compromis associant garanties de sécurité et retrait progressif des troupes pourrait sembler séduisant, mais il risquerait de se heurter à une défiance mutuelle profonde, à la volatilité des engagements et à la difficulté de mise en œuvre sur le terrain.”
Sa conclusion tombe sans appel: “Chaque issue mène au péril.”