Pour le maire de Kiev, “la guerre peut se terminer d’un moment à l’autre”

© PRYZM - Lobet - Rostovikova
Olivier Mouton

Maire de Kiev, Vitali Klitschko insiste sur l’importance de préparer l’avenir alors que les signaux montrent que Poutine est plus fragile qu’on ne le dit. Il salue les soutiens européens, tandis qu’un Forum d’investisseurs est organisé par la Ville de Bruxelles. “Préserver notre force économique, c’est vital!”

Vitali Klitschko, maire de Kiev, est l’une des figures marquantes de la guerre en Ukraine. La stature imposante et la détermination de cet ancien champion du monde de boxe impressionnent, alors que son pays résiste héroïquement à l’agression russe.

Lorsqu’on le rencontre à l’hôtel de ville de Bruxelles, vendredi 25 août, il est en pleine tournée pour recueillir des soutiens et préparer le deuxième Forum destiné à obtenir des investissements pour la reconstruction de Kiev qui se déroulera le 16 novembre prochain à l’hôtel de ville de Bruxelles.

L’initiative, lancée par le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close (PS), avait permis de récolter 1,1 milliard d’euros l’an passé. Voix rauque, regard perçant, conviction chevillée au corps: Vitali Klitschko est une bête de communication et un combattant.

TRENDS-TENDANCES. Avant toute chose, comment allez-vous?

– VITALI KLITSCHKO. Je suis toujours en vie. Pas de blessure. Je suis heureux d’être à Bruxelles pour rencontrer mon collègue Philippe Close, après être passé par Paris.

– Vous sentez le soutien de ces villes européennes?

– Je le ressens et c’est fondamental, comme il est vital de rester uni: c’est une clé pour la paix et la liberté de tous les Européens. Nous devons être forts.

– Avez-vous le sentiment que la guerre va être longue?

– Elle pourrait être longue, oui. C’est comme en boxe: tout le monde attend un knock-out au deuxième round mais il faut parfois attendre le douzième round et la décision aux points. Mais qui sait? On perçoit les signaux selon lesquels tout n’est pas calme en Russie.

La mort de Prigojine est un signal?

– Incontestablement, cela démontre que tout ne se passe pas de façon sereine à Moscou.

C’est comme une mafia au sein de laquelle les clans se combattent?

– Exactement.

– Vous êtes en Belgique pour parler de la reconstruction de Kiev. Cela signifie qu’il est important de préparer l’avenir?

– Si vous êtes faibles, les Russes en profiteront. Militairement, politiquement, mais aussi économiquement, nous devons être solides! De nombreux experts ne pensaient jamais que nous tiendrions aussi longtemps. Le plus important dans toute bataille, c’est la volonté de gagner.

– Quand vous entendez l’ancien président français Nicolas Sarkozy affirmer qu’il faut un dialogue de paix, quitte à faire des concessions, vous vous dites que c’est une position marginale?

– Tout le monde souhaite la paix. Le tout est de savoir à quel prix. Il ne peut être question de faire des compromissions. Nous devons nous battre pour notre intégrité territoriale. L’Ukraine est un pays pacifique, nous n’avons jamais agressé personne. Mais nous n’avons pas d’autre choix que de défendre notre futur.

La reconstruction, c’est une partie de ce combat pour le futur?

– Absolument. La force économique, c’est vital. Nous sommes très reconnaissants à nos partenaires à Bruxelles, Paris, Berlin ou Madrid, qui nous permettent de tenir bon. Mais nous devons préserver notre économie. La reconstruction, c’est l’avènement d’une nouvelle Ukraine. Cela donne de l’emploi à des millions de personnes, cela rapporte des moyens financiers, cela relève les standards de vie…

Le premier Forum a permis de recueillir plus d’un milliard d’euros: comment mener un tel chantier alors que la guerre continue?

– Le Forum nous permet d’expliquer aux investisseurs les nombreux potentiels qui existent en Ukraine. Certains ne peuvent pas être exploités dès à présent, il est vrai que cela reste risqué durant la guerre, mais nous devons être prêts pour le premier jour après la fin des combats. De nombreuses fenêtres d’opportunités vont s’ouvrir et nous devons tout faire pour encourager les gens à investir. Je suis prêt, à titre personnel, à être le garde du corps de ces investissements parce que ma carrière politique en dépend.

Quels sont les potentiels les plus importants?

– Nous avons tous les potentiels. Nous détruisons actuellement le système soviétique du passé et nous construisons le nouveau à partir de rien.

Il s’agit de faire de l’Ukraine un pays digital?

– Nous le sommes déjà. A Kiev, avec notre département IT, nous offrons de nombreux services au départ des téléphones, que ce soit pour payer l’eau ou votre parking, voire pour lancer une pétition.

Quelles sont vos principales demandes?

– Elles concernent les infrastructures, les soins de santé… Tant de domaines! Nous avons des jeunes bien éduqués, nous nous trouvons au cœur de l’Europe.

Pourquoi la solidarité des autres villes européens est-elle importante?

– Nous voulons faire partie de la famille européenne. Ce réseau de villes européennes nous permet de nous entraider les unes les autres. Le temps passe si vite… Je suis certain que la guerre peut s’arrêter à tout moment, pour différentes raisons.

Vous l’espérez ou vous y croyez?

– Je ne suis pas Nostradamus mais je prédis qu’un jour, Poutine mourra. Et tous ceux qui se trouvent dans son entourage affirmeront qu’ils ne sont pas responsables de ce conflit et que tout est de sa faute. Cela peut tout changer. Ce n’est pas pour rien que Poutine veille tant à sa sécurité, jusqu’à avoir des sosies participant à certains événements publics. Nous recevons énormément de signaux que tout ne va pas si bien. Prigojine était l’un d’entre eux. Nous avons besoin d’un plan pour la reconstruction, prêt à être lancé à tout moment.

Que dites-vous pour rassurer les investisseurs privés?

– Je l’ai dit, je suis leur garde du corps. C’est comme cela que j’avais commencé mon discours lors du premier Forum l’année passée. La sécurité, la prévisibilité et les garanties sont des clés pour le business. Nous préparons bien les projets. Par exemple, nous avons aujourd’hui un million et demi de voitures et nous construisons de grands parkings souterrains qui seront également une source de revenus. C’est la guerre mais nous préparons l’avenir et nous comptons bien nous conformer aux législations européennes.

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L’Ukraine a bien des cités martyres, comme Marioupol ou Bakhmout notamment. La reconstruction s’envisage-t-elle là-bas aussi?

– Kiev est la capitale du pays, c’est la clé pour entrer en Ukraine. Mais nous aidons évidemment toutes les régions à se développer. Vous ne pouvez pas être riche si vous avez des voisins pauvres.

La reconstruction de Kiev se fera-t-elle selon de nouveaux standards, notamment en matière de transition écologique?

– Bien sûr, tout se fera selon les règles européennes. Nous sommes déterminés à suivre les mêmes standards que l’Union.

Cela nécessite bien du travail législatif?

– C’est en cours. La reconstruction de l’Ukraine passe avant tout par ces réformes suivant les règles européennes. Tous les investisseurs doivent être rassurés à cet égard. Nous ne voulons pas être le Wild East.

Cela signifie aussi lutter contre la corruption?

– Nous avons besoin de règles très claires pour lutter contre la corruption. Le plan est prêt. C’est un combat que nous menons dès à présent.

Comment est-ce possible de faire tout cela durant une guerre?

– Vous devez être entourés de gens déterminés. C’est une mission de la société ukrainienne tout entière. Kiev veut être un exemple pour tout le pays.

Vous dites que la guerre peut changer en un moment. Mais l’hiver arrivera bientôt, les élections américaines peuvent changer la donne et la lassitude pourrait l’emporter. Cela vous inquiète parfois?

– Nous devons être prêts à tous les défis, mais si nous ne croyez pas en vous-même, personne ne croira en vous. C’est la même chose qu’en boxe: si vous montez sur le ring en pensant que vous allez perdre le combat, vous ne le gagnerez jamais. Il faut se battre pour ses rêves et pour son pays.

Est-ce important pour vous de voyager en Europe pour chercher des soutiens?

– C’est fondamental. Il faut se connecter avec nos alliés pour être plus forts ensemble.

Et comment vous sentez-vous hors de Kiev?

Je suis très nerveux. Je surveille en permanence mon téléphone, par crainte qu’il ne se passe quelque chose. Je suis responsable de la sécurité de la ville si des missiles russes détruisent des bâtiments et tuent des habitants.

Au niveau personnel, comment cette guerre vous a-t-elle changé?

– C’est une bonne question. (Il réfléchit longuement) Ce sont des défis et des responsabilités immenses. Je suis toujours le même qu’avant, mais je suis devenu plus âpre: avant, je cherchais davantage le compromis, je prends aujourd’hui des décisions plus claires. Je suis devenu peut-être plus tranché. Et chaque jour me semble interminable, tant j’aspire à la fin de la guerre.

Philippe Close: “A Bruxelles, tout le monde est là!”

Après le début de la guerre en Ukraine, Philippe Close (PS), bourgmestre de Bruxelles, a mis le Heysel à disposition pour accueillir les réfugiés fuyant le pays. “J’essayais de trouver des solutions, dit-il. L’ambassade d’Ukraine m’a contacté pour me proposer d’avoir une conversation avec Vitali Klitschko.” Entre les deux maires, ce fut un coup de foudre amical!

“Vitali m’a invité à Kiev mais je ne voulais pas venir les mains vides, continue Philippe Close. J’ai réuni du matériel hospitalier. On en a envoyé pour 2 millions d’euros à ce jour. Entre nos hôpitaux, cela se passe bien. Nous allons, par exemple, les aider à gérer la question des femmes violées, ce qui reste un tabou difficile à aborder en Ukraine. Je lui ai alors proposé l’idée d’organiser ce Forum des investissements pour la reconstruction parce qu’à Bruxelles, tout le monde est là! Si on veut toucher les industries, les fédérations d’entreprises, etc., c’est l’endroit idéal. On ne se rend pas compte de la puissance de notre capitale.”

Sans cynisme, souligne le bourgmestre, c’est le moment de se positionner pour la reconstruction de l’Ukraine. Des entreprises belges, comme Solvay, l’ont déjà fait. Mais cela reste insuffisant. “Nous sommes un pays de cocagne mais les gens n’ont pas faim! L’Angleterre n’a eu aucun scrupule à lancer ‘Reborn Ukraine’. Les Etats-Unis envoient des aides militaires, mais c’est leur complexe militaro-industriel qui en profite et ils vont mettre en œuvre un plan Marshall de dingue. Avec ce Forum, j’ouvre une porte et je profite de mes contacts parmi les villes. Mon rôle dans le cadre de ce conflit est minime, mais nos actions sont très concrètes.”

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