Pompéi renaît-elle (vraiment) de ses cendres?

Musée à ciel ouvert déployé sur 63 hectares, le site reste en manque chronique de personnel. © Photos Renaud Callebaut
Antoine Moreno Journaliste

On la disait moribonde. Au terme de 10 ans de travaux et 100 millions d’euros, la cité antique a retrouvé la forme. Une opération d’envergure couronnée par la restauration de la flamboyante maison des Vettii. Le site archéologique star est donc requinqué. Mais la question de son avenir, menacé par le surtourisme, est loin d’être réglé. Visite un jour ordinaire d’affluence…

Comme s’ils s’étaient donné le mot, les touristes se retrouvent par grappes entières ce matin du mois de mai devant les guichets du sous-sol de la gare de Naples. Leur programme de la journée ne fait guère de doute. “Pompéi, two tickets please, confirme un porteur de sac à dos à l’employée des chemins de fer qui voit défiler sans passion le monde entier derrière son hygiaphone. La cohue ambiante donne une idée de ce qui attend le badaud qui se rend pour la première fois dans un lieu d’exception plébiscité chaque année par 3,5 millions d’êtres humains. La chute vertigineuse de la fréquentation du domaine archéologique durant le covid est un lointain souvenir. Après 50 minutes de tortillard, la petite gare de Pompéi Scavi est enfin en vue. L’intégralité des voyageurs ou presque descendent des wagons comme s’il s’agissait du terminus. De l’air, enfin! La Porta Marina, principal accès pour pénétrer dans l’enceinte sacrée, n’est qu’à une minute à pied. On longe les cyprès, les cars et les stands de ravitaillement qui proposent cannettes, expressos en gobelets et parts de pizza. “Vente seulement à emporter!”, aboie un écriteau. Cela tombe bien, on ne comptait pas siroter un spritz sur le parking.

63 hectares

Déployée sur 63 hectares, la défunte ville antique ensevelie en l’an 79 sous des mètres de cendres, de terre et de lapilli projetés par un Vésuve en proie à une colère noire (dictée à n’en pas douter par les dieux) est le deuxième lieu le plus visité d’Italie, après le Colisée de Rome. Une place que le site est assuré de conserver avec la réouverture de la maison des Vettii au public après 20 ans de travaux maintes fois interrompus.

Chapelle Sixtine de Pompéi

Inaugurée en présence du ministre de la Culture, la vaste domus qui appartenait à deux frères, anciens esclaves affranchis vraisemblablement enrichis grâce au commerce du vin, a été édifiée au cours du deuxième siècle avant notre ère. Elle est considérée comme l’un des témoignages les plus précieux de la vie romaine. Un statut enviable qui lui vaut régulièrement le surnom de “chapelle Sixtine de Pompéi”. Rien que ça. Avec son double atrium, ses successions de pièces décorées de scènes mythologique, ses mosaïques, ses fresques érotiques et son hommage à Priape dont les caractéristiques phalliques sont assurées de battre tous les records de selfies, la Casa dei Vettii est le couronnement d’un vaste programme de rénovation entrepris en 2012. Sous le nom de Grande Progetto Pompei, ce “plan Marshall” s’est vu octroyer par le gouvernement italien et l’Union européenne une enveloppe de 105 millions d’euros dans le but de remettre sur pied le malade.

La maison des Vettii a été rouverte au public après 20 ans de travaux maintes fois interrompus.
La maison des Vettii a été rouverte au public après 20 ans de travaux maintes fois interrompus. © Photos Renaud Callebaut

Nuée d’opprobres

Il faut remonter en arrière pour comprendre que Pompéi n’est pas au meilleur de sa forme. Au fil du temps, le site archéologique a dû fermer au public des dizaines de maisons, faute d’entretien. Ce gigantesque musée à ciel ouvert manque de personnel. Les gardiens sont en constant sous-effectif. On reproche aux responsables du parc une gestion financière désastreuse sur fond de rumeurs de détournements orchestrés en sous-main par la mafia. Dans une région (la Campanie) où une famille sur trois peine à se nourrir, la corruption a la réputation d’être endémique. Rien de nouveau sous le soleil napolitain, donc.

Mais voilà, l’effondrement en 2010 de la maison des Gladiateurs, les restes d’une bâtisse de 80 m2 qui servait de centre équestre sur la Via dell’Abbondanza, l’artère principale de Pompéi, engendre un séisme. C’est une nuée ardente d’opprobres qui s’abat sur la classe politique italienne. L’indignation est internationale. L’Unesco menace de retirer son haut patronage, ce qui serait catastrophique en termes d’image. L’onde de choc se fait ressentir jusque sur les bancs du Parlement. Le ministre en charge des biens culturels est appelé à la démission par les partis d’opposition tandis que l’accusé désigne les administrateurs du site comme les grands ordonnateurs de la gabegie. Finalement, tout le monde semble d’accord: ce sont les intempéries qui se sont abattues sur la localité quelques jours avant le drame qui seraient à l’origine de l’éboulement fatal. L’imbroglio vire à la farce.

© Photos Renaud Callebaut

Dans un sursaut de lucidité, chacun s’engage à balayer devant sa porte. C’est la condition pour obtenir les fonds publics et européens afin de requinquer la vieille dame. En 2014, un surintendant spécial du site, Massimo Osanna, archéologue de formation, est nommé. Le décisionnaire commence par aspirer la poussière qui s’accumule sur les étagères avec des appels d’offre de chantiers qui mettent des années à être validés. “Nous sommes trop habitués en Italie à des temps bibliques”, dira-t-il plus tard à la presse.

Résultat: entre la nomination du surintendant en 2014 et son départ en 2020, une quarantaine d’édifices sont repris en main, dont la Casa del Frutteto, la maison du Verger, restaurée à grands frais et considérée comme l’une des merveilles de la ville martyre. La liste des travaux en cours n’est pas arrêtée pour autant. La mythique villa des Mystères, bien qu’éloignée du centre, était jusqu’ici un must dans le parcours. La voici reléguée en seconde catégorie. Sous perfusion depuis des années, elle est recouverte ici et là de bâches, hérissée d’échafaudages qui permettent aux couvreurs de s’atteler à la réfection de la toiture. Elle n’est plus accessible qu’en partie. C’est ainsi, les grues et les excavations font partie du décor pompéien.

Le chantier est perpétuel. La faute à Charles de Bourbon qui, le premier, en 1748, fait procéder à des sondages. Une décision qui ne doit rien au hasard. “Pompéi fut d’abord un outil politique, décrypte Marco Cavalieri, archéologue et professeur à l’UCLouvain. Il faut se remettre dans l’esprit du 18e siècle, au moment où le roi de Naples, ancêtre de Felipe VI, l’actuel roi d’Espagne, décide de fouiller Herculanum puis, 10 ans après, sa voisine Pompéi. C’est l’occasion pour le souverain de se mesurer aux grandes puissances que sont la France, l’Angleterre ou l’Espagne. Le petit royaume de Naples ambitionne de faire de la culture sa force principale. Les fouilles de Pompéi deviennent une affaire d’Etat qui, dans un premier temps, restent secrètes. Il faut imaginer que l’on accède au site seulement sur autorisation délivrée par le premier ministre du roi.”

Marco Cavalieri, archéologue et professeur à l’UCLouvain
Marco Cavalieri, archéologue et professeur à l’UCLouvain © PG
Les pratiques passées n’ont pas fait que du bien à la conservation mais elles ont le mérite de nous avoir fait découvrir Pompéi.” Marco Cavalieri, archéologue et professeur à l’UCLouvain

Jusqu’au début du 19e siècle, à moins de faire partie des rares savants habilités à établir des inventaires, les promeneurs foulant le saint des saints ne peuvent ni s’arrêter en cours de visite ni prendre de notes ou encore moins tenter un croquis à la volée. L’Etat, qui n’aime pas les regards indiscrets, ne prend pourtant pas toujours de gants pour ausculter son glorieux passé. Selon les méthodes d’exhumation en vogue à l’époque, les professionnels qui ignorent encore les procédés stratigraphiques creusent des tunnels jusqu’à rencontrer un mur qu’ils pulvérisent parfois à coups de pioche…

Un tiers toujours enseveli

“Les pratiques passées n’ont pas fait que du bien à la conservation mais elles ont le mérite de nous avoir fait découvrir Pompéi”, relativise Marco Cavalieri qui a participé à la fin des années 1990 aux fouilles dans la maison du Centenaire, l’une des habitations les plus spacieuses du domaine, du moins parmi celles que l’on a recensées à ce jour. Un tiers du site est encore et toujours enseveli sous la boue et les pierres ponces. “C’est très bien comme ça. Il ne faut pas fouiller à tout prix si l’on ne dispose des ressources suffisantes par la suite, recommande l’archéologue. A l’heure actuelle, il y une maintenance hors du commun assurée par le Grand Projet Pompéi mais on arrive tout doucement à la fin du programme. Il y a désormais la nécessité pour le gouvernement italien de trouver les moyens financiers afin de garantir une maintenance au quotidien, ce qui est la chose la plus difficile.”

Pompéi est le deuxième lieu le plus visité d’Italie, après le Colisée de Rome.
Pompéi est le deuxième lieu le plus visité d’Italie, après le Colisée de Rome. © Photos Renaud Callebaut

La billetterie qui tourne à plein régime peut-elle subvenir seule aux besoins? Les opérations commerciales à l’image du concert de David Gilmour au milieu des ruines sont-elles un chemin à suivre pour alimenter les caisses? En 2016, l’ancien chanteur du groupe Pink Floyd avait donné un show devant 5.000 personnes, retransmis en direct dans 2.000 cinémas dans le monde. La communauté scientifique n’avait guère apprécié l’initiative, inquiète de manière unanime sur les dangers du surtourisme. Pour alléger la pression, elle préconise, par exemple, la promotion d’autres destinations culturelles en Campanie, souvent moins connues mais non dénuées d’intérêt, comme le parc archéologique des thermes de Baia, au nord de Naples.

Une manière de diversifier l’offre pour alléger la pression. “Il faut avoir le courage de poser des limites en freinant ou en interdisant l’accès aux lieux les plus fragiles. La culture doit appartenir à tout le monde mais à condition qu’elle profite aussi à ceux qui vivront demain. Les sites archéologiques sont des magasins de porcelaine, des bijoux très délicats qu’un rien suffit à faire basculer de manière irréversible.”

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