“Un plan de capitulation ukrainienne”, résume Alain de Nève, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense, à propos du plan en 28 points proposé par Trump. Exclue des négociations, l’Europe se voit imposer un nouvel ordre de sécurité défini par Washington et Moscou, tout en devant en assumer seule les coûts.
Qu’obtiendrait concrètement Moscou avec ce plan ?
L’attribution de la région de Donetsk entièrement à la Russie serait totalement inespéré. La Russie obtiendrait la reconnaissance internationale de l’annexion de la Crimée, du Donetsk et du Louhansk, le gel de facto de Kherson et Zaporijia, la limitation de l’armée ukrainienne à 600.000 hommes et l’engagement de non-extension de l’OTAN. Elle parviendrait à obtenir, sans concessions équivalentes, ce qu’elle n’a jamais réussi à obtenir par les négociations avant 2022, ni même par invasion.

Vous parlez d’un “nouvel accord de Yalta”. Qu’entendez-vous par là ?
Ce plan procède à une redéfinition des frontières à l’intérieur du continent européen à la suite d’une agression armée. Depuis 1990, avec la Charte de Paris de l’OSCE, on avait considéré qu’il n’y aurait plus la possibilité d’engager des modifications de frontières suite à une agression armée. Les seules possibilités de redéfinition des frontières devaient être liées au choix souverain du pays. Si ce plan devait vraiment aboutir, on serait face à un rétropédalage énorme en matière de sécurité paneuropéenne, pour la première fois depuis 1990.
Si ce plan devait vraiment aboutir, on serait face à un rétropédalage énorme en matière de sécurité paneuropéenne, pour la première fois depuis 1990.
Le plan prévoit un groupe de travail “paritaire” USA-Russie pour la sécurité européenne. Qu’-est ce que cela signifie concrètement ?
La sécurité européenne serait désormais définie par un duo Moscou-Washington. Les principales puissances européennes ont été écartées à la fois de la construction de ce plan en 28 points et de l’annonce qui en a été faite. Et ce n’est pas tout : le plan propose que l’Europe soit vassalisée, avec des choix bridés dans un contexte complètement dérégulé où l’ensemble des régimes de sécurité et de contrôle des armements sont en train de s’effondrer. On lui ligote les mains.
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C’est un point vraiment problématique en matière de politique étrangère américaine. On peut avancer plusieurs hypothèses. La première, c’est la preuve d’une sorte d’amateurisme de la politique étrangère américaine qui s’appuie sur des hommes et des administrations qui ont une vision complètement biaisée et inexpérimentée des relations internationales et des rapports avec la Russie. Deuxième hypothèse : l’administration américaine s’est dit qu’elle allait essayer de produire un électrochoc pour les Européens. Elle va très loin dans l’outrance dans ses propositions pour les forcer à discuter selon son propre timing. Force est de constater que cette stratégie porte ses fruits puisqu’en moins de 24 heures, les principaux dirigeants européens se sont activés pour créer une position politique commune.
Quels sont les risques économiques pour les Européens ?
Ce plan comporte un volet économique de coopération avec la Russie. L’idée est d’injecter des liquidités dans l’économie russe pour qu’elle ne s’effondre pas. Cela se ferait au détriment des économies européennes qui, elles, seraient très certainement en charge de devoir reconstruire l’Ukraine.
La facture financière pour les pays européens risque d’être assez salée.
Il faudra non seulement soutenir économiquement l’Ukraine, mais il faudra également la soutenir militairement. Qu’il s’agisse de 600.000 ou de 800.000 hommes autorisés à être sous les drapeaux en Ukraine, il faudra les former, leur donner des équipements, les préparer à la perspective d’une autre agression potentielle. La facture financière pour les pays européens risque d’être assez salée. Et tout ça dans un contexte où tout est à reconstruire en matière de sécurité européenne.

Les Européens ont préparé une contre-proposition. Mais la Russie ne gagne-t-elle pas simplement du temps ?
La situation militaire sur le terrain est figée depuis un grand nombre de mois. Les derniers chiffres que j’ai : un contrôle russe de 18,5% du territoire ukrainien en novembre. Les Russes comptent déjà près d’un million de pertes (morts et blessés), c’est au-delà du nombre total de pertes américaines et russes depuis la Seconde Guerre mondiale dans tous les conflits. Et à partir du moment où vous avez de telles pertes, vous comptez différemment.
Avec ce plan, la Russie a encore réussi à gagner du temps.
Avec ce plan, la Russie a encore réussi à gagner du temps. On peut penser que son but est de passer l’hiver en donnant un os à ronger aux chancelleries occidentales, en donnant l’impression d’être à l’écoute de toute proposition de paix, mais de laisser pour l’instant les Occidentaux négocier entre eux la nature exacte du plan.
Face à cette situation, quelles options stratégiques reste-t-il aux Européens ?
Les Européens se sont déjà lancés dans le plan de réarmement, à la fois au niveau national et au niveau européen. Mais d’ici cinq ou dix ans, il ne suffira pas. On sera sur une ligne de crête en matière de sécurité, puisque la stabilité d’un éventuel cessez-le-feu ou accord de paix ne serait que très fragile et très provisoire. Le rapport de force serait particulièrement délicat et risqué pour des Européens qui se verraient moins soutenus par les Américains que par le passé.
La seule grande puissance qui déterminerait alors la sécurité européenne, ce serait la Russie.
Avec ce plan, les Américains auraient trouvé un moyen de se désengager politiquement et peut-être même militairement, à moyen ou à long terme, du continent européen. Et la seule puissance avec suffisamment de capacité de nuisance qui déterminerait la sécurité européenne, ce serait la Russie.