Philippe Vlerick et Christian Salez apportent un nouveau dynamisme à Europalia : “L’art et la culture sont nos armes pour l’instant”
La semaine prochaine, l’exposition L’Avant-garde en Géorgie (1900-1936) ouvrira la 29e édition du festival culturel Europalia. Cette 29e édition sera aussi la première pour le nouveau duo à la tête d’Europalia : Philippe Vlerick et Christian Salez, respectivement président et directeur. Ils souhaitent remettre l’accent sur les valeurs de connexion et d’échanges interculturels et intergénérationnels du festival, afin de créer ainsi un impact durable.
Ce n’est pas en échangeant du charbon et de l’acier que l’on apprend à se connaître, voilà ce que pensaient les créateurs d’europalia, en 1969. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), embryon de l’Union européenne actuelle, assurait une coopération économique entre les pays, mais le sentiment européen n’existait pas encore. Europalia a voulu changer cela en exposant les arts et les cultures des pays européens en Belgique. Le premier festival a lieu en 1970 et était consacré à l’Italie. L’ASBL europalia est créée dans la foulée en 1970.
“On ne connaît vraiment les gens qu’à travers leur art et leur culture, et au travers les valeurs qui se cachent derrière cet art et cette culture. C’est la raison d’être d’europalia, et c’est toujours notre mission”, déclare Christian Saleze , le nouveau directeur général du festival culturel. Il est en poste depuis le mois d’août, succédant ainsi à Koen Clement.
“On ne connaît vraiment les gens qu’à travers leur art et leur culture, et au travers les valeurs qui se cachent derrière cet art et cette culture. C’est la raison d’être d’europalia, et c’est toujours notre mission” – Christian Salez, directeur général d’europalia
Pour ceux qui ont un peu suivi le parcours de M. Salez, cette décision peut sembler singulière. Christian Salez a commencé sa carrière dans la publicité, puis a été directeur chez bpost. En 2005, il devient le PDG de Delvaux, l’entreprise belge de maroquinerie de luxe, avant de prendre la tête d’Apple Europe, il y a quatre ans. Pourtant pour lui, ce n’est pas si étrange d’avoir échangé Apple contre europalia : “Je me suis toujours efforcé d’avoir un impact. Et le moyen d’y arriver est la création, l’art. J’ai toujours travaillé pour des marques fortes, c’est donc pour moi une étape très logique”.
Pourtant, en mai dernier, lorsqu’il a succédé à la présidence d’europalia à Georges Jacobs, ancien CEO d’UCB et ancien président de la FEB, Philippe Vlerick n’a pas directement pensé à Christian Salez lorsqu’il était à la recherche d’un nouveau directeur. “Nous avons fait un tour, c’est comme cela”, raconte Philippe Vlerick.”Nous cherchions quelqu’un qui avait déjà réalisé beaucoup de choses dans le monde des affaires, mais qui ait aussi suffisamment de sensibilité pour tout ce qui touche à la culture et à l’art. En effet, nous avions besoin de quelqu’un qui ait l’art à cœur et qui soit conscient de son importance. Nous avons discuté avec plusieurs personnes, mais lorsque je me suis retrouvé face à Christian, le déclic s’est produit immédiatement. Je pense que la complémentarité entre les personnes est essentielle pour former une bonne équipe. Et c’est ce que j’ai trouvé avec Christian.”
La jeunesse
La communication est l’un des talents recherchés par Vlerick. En effet, europalia veut s’adresser et toucher un public plus large et plus jeunes, et ne pas s’adresser uniquement à ceux que l’on trouve habituellement dans les musées et autres temples de la culture. “Je pense vraiment qu’Europalia a un rôle à jouer dans la curiosité et l’ouverture des jeunes”, déclare M. Vlerick.
Selon M. Salez, europalia n’a pas besoin de changer grand-chose pour cela. “Nous avons une équipe brillante, mais le contenu que nous proposons a parfois dépassé la marque europalia. Le public a été voir Brancusi et Trains et voies, sans savoir qu’il s’agissait d’expositions d’europalia. Nous avons touché beaucoup de gens depuis 1969, nous avons fait connaître l’inconnu, c’est et cela reste notre rôle. Maintenant nous devons encore mieux faire connaître le nom d’europalia, afin que les gens sachent qu’il s’agit d’un label de qualité et d’une offre variée. Et avec cette offre variée d’art et de culture que nous proposons, nous voulons atteindre le public le plus large possible, afin que les gens se familiarisent avec ce qui leur était inconnu auparavant. Car l’inconnu n’est pas seulement mal-aimé, il peut aussi être source d’angoisse parfois. Nous vivons dans un monde violent ; depuis un certain temps, l’art et la culture sont nos armes pour essayer de rassembler les personnes.
En fait, Salez voudrait faire vivre aux visiteurs d’europalia une expérience similaire à celle qu’il a lui-même vécue ces derniers mois. Car, au départ, avoue-t-il, il n’a pas vraiment pensé qu’on lui faisait un cadeau lorsqu’il a appris que la Géorgie serait le pays hôte et donc le thème central du festival, qui débute mercredi prochain.
“J’ai hérité de ce projet”, explique-t-il. “Mais mon scepticisme initial était en fait le résultat d’un parti pris et d’un manque de connaissances. Et c’est un cocktail dangereux. Ces derniers mois m’ont ouvert les yeux. Ce scepticisme a fait place à l’émerveillement et à l’admiration. L’exposition principale, consacrée à l’art d’avant-garde et à son impact sur les autres, est incroyable. La musique polyphonique, très différente de notre polyphonie flamande, est merveilleuse. Ou encore le fait que la Géorgie possède une très ancienne et riche tradition viticole. J’ai appris beaucoup de choses au cours de ces derniers mois, ce qui est un véritable enrichissement. Et j’espère que les visiteurs d’europalia vivront la même expérience”.
Je pense vraiment qu’europalia a un rôle à jouer à cet égard” – Philippe Vlerick, président d’europalia
Salez a déjà évoqué ses trois moments préférés de cette 29e édition consacrée à la Géorgie (voir encadré). “Ceux qui les verront auront de toute façon envie d’en voir d’autres. En fait, il faut assister à 15 ou 20 événements pour se faire une idée complète de la richesse de la culture géorgienne”, estime M. Salez. La palette d’activités est riche, et les artistes flamands s’associent également à leurs collègues géorgiens. Ainsi, le multi-instrumentiste et compositeur, Dijf Sanders, s’est rendu en Géorgie pour y effectuer des enregistrements sur le terrain; ceux-ci vont servir de base à son nouvel album et à la tournée qui l’accompagne.
Pays à l’honneur
Une équipe permanente de 15 à 20 personnes travaille sur europalia : des historiens de l’art, mais aussi des techniciens, ainsi qu’une équipe de communication et de marketing. Pour chaque édition, l’équipe est complétée par des spécialistes belges, mais aussi du pays mis à l’honneur. Cette édition, par exemple, s’associe étroitement avec le recteur honoraire de l’Université de Liège, le professeur Bernard Coulie. Pendant le festival, le nombre de personnes employées indirectement peut atteindre 700 à 800 personnes. Si le festival ne communique pas son chiffre d’affaires, on sait qu’en fonction du nombre de projets et d’événements, une édition peut coûter entre 8 et 9 millions d’euros, selon des sources bien informées. En général, un tiers de ce budget provient de partenaires institutionnels, comme le Lotto et de sponsors, un tiers est issu de partenaires privés et le dernier tiers vient de la billetterie. Ce ratio peut fluctuer d’un festival à l’autre.
L’une des petites frustrations d’europalia est que l’attention portée au pays hôte diminue à nouveau après le festival. “C’est un peu comme un défilé de mode. On y travaille très dur, et puis, un soir, c’est fini. Chaque europalia demande deux à trois ans de travail acharné, car c’est aussi une énorme opération de logistique que de réunir tous ces chefs d’oeuvre ici”, explique Christian Salez. “Toutes les œuvres d’art ne proviennent pas du pays mis à l’honneur. Lorsque nous avons exposé Brancusi, seules quelques pièces provenaient de Roumanie”, ajoute Philippe Vlerick. “Pour les oeuvres les plus importantes, nous avons dû négocier avec le Centre Pompidou, avec le MoMa, avec des propriétaires suisses de collections privées. Mais au final, nous avons réalisé la deuxième plus grande exposition jamais consacrée à Brancusi”.
Pour créer encore plus d’impact, Salez aimerait garder quelque chose de permanent de chaque édition : une œuvre d’art, une intervention architecturale, ou peut-être un projet numérique. “Les événements du festival resteront évidemment le point d’attraction. Mais nous voulons réfléchir à la manière de rendre tout ce savoir-faire, ce patrimoine qu’europalia a construit, plus permanent. Nous pourrons ainsi devenir un véritable label de qualité, un peu à l’image du National Trust au Royaume-Uni. Ou encore, pensez à toutes ces oeuvres qui sont restées après l’exposition universelle de 1958. Il serait bon qu’après chaque festival, nous puissions laisser quelque chose de permanent dans l’une de nos villes.
Chaque édition d’europalia demande deux à trois ans de travail acharné, car c’est aussi une énorme opération de logistique que de réunir tous ces chefs-d’oeuvre ici” – Christian Salez, directeur général d’europalia
M. Salez a constaté que la marque europalia n’avait rien perdu de sa force au cours des derniers mois. Quatre pays ont déjà demandé s’ils pouvaient être le pays hôte de l’une des prochaines éditions. Ce choix est précédé d’un jeu diplomatique subtil, précise Vlerick, dans lequel, par exemple, les Affaires étrangères jouent également un rôle. “Non pas que le choix du pays hôte soit décidé au sein du cabinet, mais nous sommes à l’écoute. Tout comme nous sommes ouverts aux recommandations de tous les gouvernements. Nous jouons un rôle important dans la diplomatie culturelle au sens large. Nous veillons, par exemple, à ce que ce ne soit pas toujours le même type de pays qui soit sélectionné.”
Le nombre de visiteurs des expositions d’europalia oscille entre 600.000 et 1,7 million de personnes. Cela s’explique par le fait que certains festivals proposent beaucoup plus d’événements que d’autres. C’est pourquoi M. Salez n’aime pas se fixer d’objectif chiffré. “Nous voulons avant tout toucher un public plus diversifié possible. Et je veux que les plus petites activités reçoivent suffisamment d’attention en plus des grands événements. Il y a de l’architecture, des expositions de photographie, de la musique électronique, un festival du film, des podcasts, etc. Ces petits événements ne pourraient jamais avoir lieu sans les plus grandes attractions. Si nous parvenons à enthousiasmer les gens pour cette diversité culturelle, alors nous pourrons parler d’un festival réussi”.
Europalia Georgia, du 4 octobre au 14 janvier 2024
8 à 9 millions d’euros pour organiser une édition d’europalia, selon des sources bien informées.
Les conseils de Christian Salez
– L’Avant-garde en Géorgie (1900-1936): l’avant-garde géorgienne a connu une période enchanteresse juste avant et pendant l’indépendance de la Géorgie ; celle-ci a duré de 1918 jusqu’à l’invasion russe de 1921. Mais il y a également eu une autre parenthèse enchantée avant et après cette période, avec un mélange d’influences orientales et occidentales couplées aux traditions géorgiennes.
Du 5 octobre au 14 janvier à Bozar, Bruxelles.
– Géorgie : une histoire de rencontres:une exposition riche en patrimoine, illustrant comment la Géorgie a toujours été un point de connexion, favorisant les échanges culturels, entre l’Orient et l’Occident. Situé sur les routes commerciales liées aux Routes de la Soie, le pays a été entouré de superpuissances aux ambitions expansionnistes qui le convoitaient. L’exposition accorde une grande attention à la culture du vin, la plus ancienne au monde et vieille de quelque 8000 ans, ainsi qu’à la cuisine et la culture alimentaire raffinées qui y sont associées.
Du 27 octobre au 18 février au Musée d’art et d’histoire de Bruxelles.
– Triple Bill : Basiani Ensemble, Gori Women’s Choir, State Chamber Choir: la musique polyphonique occupe une place importante dans la culture musicale géorgienne. Cette soirée illustre la grande variété des musiques chorales géorgiennes. L’ensemble Basiani interprète de la musique folklorique ancienne et des hymnes chrétiens des XIe et XIIe siècles, tandis que le Gori Women’s Choir et le State Chamber Choir interprètent des œuvres modernes de compositeurs géorgiens. Tous ces ensembles peuvent également être vus et entendus dans les autres lieux de l’exposition.
Le 25 octobre 2023 au Concertgebouw, Bruges.
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