L’attaque de Trump contre les universités pourrait lui coûter cher

HARVARD Pour l’instant, la seule à vraiment opposer une résistance à Trump. © Getty Images

Donald Trump a lancé une attaque contre les universités d’élite américaines. Pourtant cela pourrait lui coûter cher, ainsi qu’au pays. Car pas de MAGA sans universités indépendantes. Ce sont elles qui ont fait des États-Unis le pays leader du monde.

C’est une révolution économique et nous allons gagner.” La déclaration de Donald Trump à propos de ses tarifs douaniers ressemble à quelque chose que Robespierre ou Friedrich Engels aurait pu dire. Et comme tout révolutionnaire le sait, il ne suffit pas d’augmenter les droits de douane pour balayer l’ordre ancien. Il faut aussi réformer les institutions qui contrôlent la culture. En Amérique, cela signifie reprendre le contrôle des universités prestigieuses de l’Ivy League (groupe de huit universités privées du Nord-Est des États-Unis), qui jouent un rôle démesuré dans la formation de l’élite. Le plan MAGA (Make America Great Again) pour redessiner les Ivy pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’enseignement supérieur, l’innovation, la croissance économique, voire pour la nature même du pays qu’est l’Amérique. Et ce que nous voyons aujourd’hui n’est que le début.

Une cible soigneusement choisie

Au cours de la dernière décennie, les universités d’élite ont perdu le soutien qu’elles recevaient autrefois des deux camps opposés. C’est en partie leur propre faute. Trop souvent, elles ont cédé à la pensée de groupe sur les discriminations réelles ou supposées, elles ont eu peur de leurs étudiants-consommateurs, et ont refusé des intervenants pour des raisons de sécurité. En même temps, la politique américaine est devenue plus polarisée selon le niveau d’éducation. Kamala Harris a perdu l’élection présidentielle de 2024, mais parmi les Américains titulaires d’un diplôme postdoctoral, elle a obtenu 20 points de pourcentage de plus que Donald Trump. Cette combinaison a rendu les Ivy vulnérables.

Clé de la prospérité

Mais le changement le plus substantiel s’est produit au sein du parti républicain. Les conservateurs considéraient déjà les universités d’élite comme des territoires hostiles avant même que William F. Buckley ne publie God and Man at Yale en 1951. Pourtant, ils respectaient aussi l’accord fondamental entre les universités et le gouvernement fédéral : que les contribuables financent la recherche scientifique et octroient des bourses aux étudiants issus de familles pauvres, et qu’en échange, les universités mènent des recherches qui changent le monde.

Certains chercheurs ont sans doute toujours eu des idées qui déplaisaient à la Maison Blanche. Beaucoup sont étrangers. Mais, en fin de compte, leur travail profite à l’Amérique. C’est pourquoi le gouvernement a financé en 1962 un accélérateur de particules, même si certaines personnes qui allaient l’utiliser avaient les cheveux longs et détestaient la politique étrangère américaine. Et plus tard dans cette décennie, des chercheurs d’universités américaines ont inventé l’internet, avec un financement militaire.

Cet accord a été la source du pouvoir militaire autant qu’économique. Il a contribué à presque chaque bond technologique en avant, de l’internet aux vaccins à ARNm, en passant par les agonistes GLP-1 et l’intelligence artificielle. Il a fait des États-Unis un aimant pour les personnes talentueuses et ambitieuses du monde entier. Il a constitué la clé de la prospérité des États-Unis, et non les usines automobiles de la Rust Belt. Et aujourd’hui, le gouvernement Trump veut déchirer cet accord.

Taxe sur les donations

Son gouvernement a utilisé les subventions fédérales pour se venger des universités. Les recteurs de Princeton et Cornell ont critiqué le gouvernement et, immédiatement, plus d’un milliard de dollars de subventions ont été retirés ou gelés. Le gouvernement a arrêté des étudiants étrangers qui avaient critiqué la guerre israélienne à Gaza. Il a menacé d’augmenter la taxe sur les donations : JD Vance, ancien élève de la Yale Law School, a proposé de faire passer la taxe sur les grosses donations aux universités de 1,4 à 35%.

Jusqu’à récemment, les universités ont tenté de s’aplatir et d’espérer que Trump les laisse tranquilles. Les recteurs des Ivy se réunissent environ une fois par mois, mais n’ont pas encore trouvé d’approche commune. Pendant ce temps, Harvard remplace la direction de son département d’études moyen-orientales et Columbia en est à son troisième recteur en un an. Cette stratégie ne fonctionnera probablement pas. L’avant-garde MAGA n’en revient pas de voir à quelle vitesse les Ivy se sont couchées. Les universités sous-estiment aussi la ferveur des révolutionnaires auxquels elles ont affaire. Certains ne veulent pas seulement taxer Harvard, ils veulent la réduire en cendres.

Du courage est nécessaire

Résister à l’attaque du gouvernement demande du courage. Harvard, la plus riche des universités, a saisi la justice. La fortune de Harvard est à peu près équivalente au fonds souverain de l’État pétrolier d’Oman. Mais une telle taxe pourrait rapidement faire fondre cette montagne d’argent. Harvard reçoit chaque année plus d’un milliard de dollars de dons. Columbia a un budget annuel de 6 milliards de dollars et perçoit 1,3 milliard de dons. D’autres universités d’élite sont moins fortunées. Si même les Ivy ne peuvent pas se défendre contre le harcèlement, il n’y a guère d’espoir pour les universités publiques d’élite, qui dépendent tout autant du financement de la recherche, mais n’ont pas de gigantesques donations pour absorber la pression du gouvernement.

Quelle réponse adopter ?

Comment les universités doivent-elles réagir ? Certaines mesures que leurs recteurs voulaient déjà prendre répondent aux plaintes des républicains. Il s’agit de codes pour protéger la liberté d’expression sur les campus, de la réduction du personnel administratif, d’une interdiction des critères de diversité dans le recrutement, et de la promotion de points de vue plus divers parmi les universitaires. Mais les universités doivent tracer une ligne claire : c’est elles qui décident de ce qu’elles recherchent et enseignent, même si cela signifie perdre un financement public.

“Be like Ike”

Ce principe est l’une des raisons pour lesquelles l’Amérique est devenue, ces 70 dernières années, l’économie la plus innovante du monde, et non la Russie ou la Chine. Mais cela va même au-delà. La recherche libre est l’un des piliers de la liberté américaine, au même titre que la liberté de critiquer le président sans craindre de représailles. Les vrais conservateurs l’ont toujours su. “L’université libre, disait Dwight D. – Ike – Eisenhower dans son discours d’adieu en tant que président en 1961, est la source d’idées libres et de découvertes scientifiques”.

La recherche libre est l’un des piliers de la liberté américaine, au même titre que la liberté de critiquer le président sans craindre de représailles.

Eisenhower, qui fut recteur de Columbia avant de devenir président des États-Unis, avait averti que lorsque les universités deviennent dépendantes des subventions de l’État, le gouvernement peut contrôler les bourses. Longtemps, cet avertissement a semblé quelque peu hystérique. L’Amérique n’avait encore jamais eu de président prêt à exercer autant de pouvoir sur les universités. C’est désormais le cas.

The Economist

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