Menace de shutdown aux Etats-Unis : cette fois, c’est différent

Trump
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Donald Trump pourrait profiter de l’occasion pour effectuer une grande purge administrative et réduire définitivement la taille de l’Etat.

Les Etats-Unis sont à nouveau menacés, à partir de ce 30 septembre à minuit, de « shutdown », c’est-à-dire d’une fermeture partielle de l’administration et des programmes publics en raison d’un désaccord budgétaire entre Républicains et Démocrates.

Une mécanique particulière

La mécanique budgétaire américaine est en effet particulière. L’année fiscale américaine court du 1er octobre au 30 septembre et «certaines dépenses publiques essentiellement liées à la sécurité sociale, ou bien couvertes par des recettes propres émanant des utilisateurs des services concernés, sont considérées comme obligatoires et donc automatiquement autorisées en permanence, explique Éric Dor, responsable de la recherche économique auprès de l’école de management IESEG.

Mais les autres dépenses sont considérées comme discrétionnaires et doivent, chaque année, être autorisées formellement par 12 lois de crédits à voter par le Congrès, poursuit-il. Ce sont les « appropriation bills ». Pour l’année fiscale 2026, qui commence le 1er octobre 2025, il faudrait donc que les lois de crédit, «appropriation bills», soient votées d’ici le 30 septembre 2024 .

«En l’absence de vote de ces lois de crédits, il y a « shutdown», qui est la mise à l’arrêt de la partie inessentielle des services publics discrétionnaires, à moins qu’à la place le Congrès vote au moins une résolution de continuité qui autorise temporairement certaines dépenses publiques discrétionnaires, pendant un temps déterminé », précise Éric Dor. 

Récurrent depuis quinze ans

Depuis une quinzaine d’années, le début de chaque année fiscale est émaillé de tensions : depuis la crise de 2008, en effet, le budget américain ne parvient plus à rentrer dans les clous : les déficits publics excessifs (plus de 6% du PIB aujourd’hui) ont eu pour effet de tripler l’endettement du pays, qui est passé de 10.000 milliards en 2008 à 33.000 aujourd’hui.

Par le passé, le shutdown a été plusieurs fois évité in extremis en ayant recours à ces résolutions de continuité, qui sont votées à la majorité simple à la Chambre des représentants mais qui doivent avoir l’accord de 60 sénateurs sur 100. En l’espèce, aujourd’hui, les Républicains ne contrôlent le Sénat qu’avec 53 sièges. Ils doivent donc faire basculer 7 sénateurs démocrates.

Climat de conflit exacerbé

On pourrait donc se dire que cette fois encore, c’est «business as usual» : des cris et des vociférations de la minorité politique du moment afin d’arracher quelques concessions à l’administration en place.

Mais cette fois, cela semble différent.

D’abord, parce que le climat politique sous Trump 2.0 n’est pas celui du Trump de 2016, ni celui sous Biden. Il y a dans le camp républicain une volonté de confrontation assumée et surtout, ils y voient l’occasion de purger l’Etat. Donald Trump a annulé plusieurs fois des réunions avec les leaders démocrates, le vice-président JD Vance accuse les démocrates de mettre « un pistolet sur la tempe des Américains ». La Maison Blanche ne voit pas d’un si mauvais œil l’occasion d’un shutdown pour poursuivre le travail du DOGE (département pour l’efficacité administrative piloté pendant six mois par Elon Lusk) et licencier définitivement jusqu’à 300 000 fonctionnaires fédéraux.

La purge ?

Le Bureau du budget a ordonné aux agences de préparer des plans de réduction des effectifs alignés sur les priorités présidentielles. Car ce bureau n’est pas un simple organe administratif. Il est dirigé aujourd’hui par Russell Vought, une figure centrale du Project 2025, cette feuille de route ultra-conservatrice visant à remodeler l’État fédéral et qui est suivie dans les faits par la Maison Blanche depuis le retour au pouvoir de Donald Trump en janvier.

Dans un portrait publié voici quelques jours, le New York Times décrit Russell Vought comme « l’homme derrière la volonté de Trump d’une présidence toute-puissante », ajoutant qu’il « a passé des années à élaborer des plans visant à accroître le pouvoir présidentiel et à réduire la bureaucratie fédérale. Aujourd’hui, il se rapproche de la concrétisation de cette vision, menaçant de fragiliser le système de freins et contrepoids. »

Ce shutdown potentiel n’est pas seulement une impasse budgétaire : c’est une crise institutionnelle aux implications profondes pour l’administration américaine.

Risques économiques

Parallèlement, il pourrait se muer en grave problème économique. « Une suspension des dépenses discrétionnaires, qui représentent 27% du total des dépenses publiques fédérales, rappelle Éric Dor. Cette baisse temporaire de dépenses publiques a de fortes conséquences. D’abord cela correspond à une diminution temporaire de la production de services publics qui est une composante du produit intérieur brut. Ensuite, la consommation des fonctionnaires mis en congé sans salaire diminue fortement, ce qui affecte la production d’autres secteurs, qui est aussi une partie du produit intérieur brut. »

De plus, «le shutdown impliquerait une suspension des paiements des administrations publiques à leurs fournisseurs. Beaucoup d’entreprises seraient en difficulté et pour certaines, l’emploi pourrait être compromis. Certaines faillites seraient même possibles si le shutdown durait longtemps. Tout cela aggraverait la diminution du produit intérieur brut. »

Autre impact souligné par Éric Dor : « le shutdown empêcherait le fonctionnement du programme national d’assurance contre les inondations, National Flood Insurance Program, géré par l’administration publique et qui fournit la moitié des contrats d’assurance contre les inondations aux Etats Unis. Tous les acheteurs potentiels de logements, qui ont besoin d’une telle assurance pour obtenir leurs prêts, en seraient empêchés. Cela déprimerait encore davantage le marché immobilier, et aggraverait l’impact négatif sur le produit intérieur brut. »

Et risques financiers

Mais les effets financiers ne sont pas négligeables et nous affecteraient aussi : un shutdown fragilisant l’économie américaine, on s’oriente vers une nouvelle baisse du dollar et une hausse des taux américains, qui risque de se propager au reste du monde occidental.

Et le shutdown pourrait également retarder la publication de données économiques clés, comme le rapport sur l’emploi, crucial pour les décisions de la Réserve fédérale. Les marchés financiers réagissent déjà avec nervosité, l’or atteignant des records.

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