Le jeune socialiste Zohran Mamdani, élu maire de New York, a estimé que la ville, dont est également originaire le président américain, pouvait “montrer à une nation trahie par Donald Trump comment le vaincre”.
Dans son discours de victoire, Zohran Mamdani, le premier maire musulman de la plus grande ville des Etats-Unis a estimé que son élection marquait la victoire de “l’espoir sur la tyrannie” et qu'”en cette période d’obscurité politique, New York sera la lumière”. Celui qui doit entrer en fonction le 1er janvier a aussi qualifié Donald Trump de “despote”.
Interpellant directement le président américain sur sa politique anti-immigration marquée par des raids parfois violents, Zohran Mandani a lancé: “New York restera une ville d’immigrants (…) Pour atteindre l’un d’entre nous, vous devrez d’abord passer à travers nous tous”.
L’ascension fulgurante d’un outsider
D’élu local largement inconnu à premier maire musulman de New York: Zohran Mamdani, 34 ans, issu d’une famille d’intellectuels de la diaspora indienne et classé à gauche du Parti démocrate, s’est imposé en quelques mois dans le paysage politique américain.
Socialiste revendiqué et opposant résolu à Donald Trump, le vainqueur surprise de la primaire démocrate en juin, élu mardi à la tête de la plus grande ville des Etats-Unis, est né en Ouganda et est arrivé dans le pays à l’âge de sept ans.
Souvent rappelé à son statut de “nepo baby” (“fils de”), ses parents sont Mira Nair, réalisatrice renommée (“Salaam Bombay!”, Caméra d’or à Cannes, “Le mariage des moussons”, Lion d’Or à Venise), et Mahmood Mamdani, professeur d’anthropologie et sciences politiques à l’université Columbia, spécialiste reconnu de l’Afrique. Son parcours est celui d’une certaine jeunesse dorée de la mégalopole de la côte est: lycée d’élite (Bronx High School of Science) puis université progressiste (Bowdoin College, dans le Maine).
Sous l’alias Young Cardamom, il se lance dans le rap en 2015, influencé notamment par Das Racist, groupe new-yorkais innovant et potache dont deux des membres sont d’origine indienne. L’expérience ne dure pas – il se qualifie lui-même d'”artiste de seconde zone”. Mais lorsqu’il lit que le rappeur Heems (Himanshu Suri) soutient un candidat au conseil municipal, Zohran Mamdani rejoint sa campagne comme militant. Le virus de la politique ne le quittera plus.
“Affordability”
Il devient conseiller en prévention des saisies immobilières, aidant des propriétaires modestes en difficulté financière à éviter de perdre leur logement. Puis il est élu en 2020 représentant à l’Assemblée de l’Etat de New York du quartier où il travaille, Astoria, dans le Queens, creuset des vagues migratoires les plus récentes. Réélu par deux fois, il s’est forgé sur le terrain l’image qui fait sa force: celle d’un musulman progressiste, aussi à l’aise à une marche des fiertés qu’à une rupture du jeûne de l’Aïd.
S’y ajoute un programme en forme de credo: “affordability”, rendre cette ville parmi les plus chères du monde “abordable” pour tous ceux qui ne sont pas riches, c’est-à-dire la majorité de ses 8,5 millions d’habitants. Pour cela, il promet plus de loyers encadrés, des crèches et des bus gratuits, des épiceries gérées par la ville.
Défenseur de la cause palestinienne depuis ses années étudiantes, ses prises de position sur Israël (qualifié de “régime d’apartheid”) et la guerre à Gaza (un “génocide”) valent à Zohran Mamdani l’hostilité d’une partie de la communauté juive. Pour tenter de rassurer, il n’a eu de cesse ces derniers mois de se montrer ferme contre l’antisémitisme. Le candidat a aussi dénoncé ces derniers jours des attaques “islamophobes” de la part de certains soutiens de son principal adversaire, Andrew Cuomo.
“Petit communiste”
Ce fan de cricket et de football, récemment marié à l’illustratrice américaine Rama Duwaji, a su mettre à profit ses qualités de militant, avec une campagne de porte-à-porte et de tractage efficace, et une utilisation massive, innovante et souvent drôle, des réseaux sociaux. Pour Lincoln Mitchell, professeur à l’université Columbia, “il a incarné une sorte d’hybride entre une campagne à l’ancienne des années 1970 et une campagne ultra-moderne de 2025”.
Celui qui prendra son poste à partir du 1er janvier a promis de s’opposer “farouchement” à la politique anti-immigration de Donald Trump et à sa guerre judiciaire contre ses “ennemis politiques”.
Menace de couper les vivres
Mais le bras de fer entre les deux hommes avait commencé bien avant le résultat de cette élection.
“Si le candidat communiste Zohran Mamdani remporte l’élection pour devenir maire de New York, il est très peu probable que je continue à accorder plus que le strict minimum de financement fédéral”, avait déclaré Trump, qualifiant le démocrate de 34 ans de “communiste “qui laisserait la ville “SANS aucune chance de réussite, ni même de survie”, sur sa plateforme Truth Social.
Que peut faire Trump ?
La question que tous les New-Yorkais se posent désormais : le président peut-il effectivement « couper les vivres » à la ville suite à cette élection ? Pour cela, resituons les fonds fédéraux et les compétences de Trump. Effectivement, la ville de New York reçoit chaque année une part importante de fonds fédéraux, qui lui servent à financer subventions, programmes sociaux, et autres programmes de logement ou d’éducation.
Le pouvoir de l’exécutif (c’est-à-dire celui du président) est plutôt limité quand il s’agit de bloquer ou de conditionner ces fonds fédéraux. Selon la jurisprudence américaine, un président ne peut pas refuser de verser des fonds, simplement pour des motifs purement politiques ou idéologiques et sans base légale claire, alors que ceux-ci ont été approuvés par le Congrès.
De plus, une décision de justice récente a interdit explicitement à l’administration Trump de priver de fonds fédéraux certaines « villes sanctuaires » en raison de leur politique d’asile. En effet, ces villes ont fait le choix de ne pas appliquer strictement les directives fédérales sur l’immigration. Elles limitent volontairement la collaboration de leur police ou de leurs services municipaux avec les services fédéraux chargés d’expulser les sans-papiers, afin de protéger les immigrés en situation irrégulière.
Finalement, l’Office of the New York State Comptroller rappelle que « moins de 9 % du budget de la ville de New York provient de l’aide fédérale » hors cas d’urgence.
Des paroles en l’air ?
Concrètement, il n’y a aucune certitude que cela puisse arriver, car même si Trump souhaite le faire, il se heurte à des contraintes légales. Premièrement, une tentative purement politique de blocage ou de conditionnement de fonds pourrait être jugée inconstitutionnelle.
Deuxièmement, si les fonds sont effectivement gelés ou retranchés, cela dépendra de la législation, des programmes concernés, et d’éventuels recours judiciaires. Et non d’un message impulsif de Donald Trump sur son réseau social.
Enfin, troisièmement, même en cas de coupure, l’impact global pourrait être modéré, vu la part de ces fonds dans le budget de la ville (9%). Mais il est vrai que certains services dépendants de subventions fédérales spécifiques pourraient être affectés.
Sources de fonds — New York City (FY2017)
Répartition du budget municipal par source — données : budget en millions USD et part (%)
| Source | Budget (M$) | Part |
|---|---|---|
| Fonds municipaux | 59,166 | 70.9% |
| Autres catégories | 972 | 1.2% |
| Revenus inter-fonds | 655 | 0.8% |
| Aide catégorielle de l’État | 14,130 | 16.9% |
| Aide fédérale – CDBG-DR | 1,376 | 1.6% |
| Aide fédérale – Autres | 7,158 | 8.6% |
| TOTAL | 83,457 | 100.0% |
Source : budget NYC FY2017.
A surveiller…
Dans les prochains mois, plusieurs éléments devront être tenus à l’œil. D’abord, il faudra observer quels sont les programmes fédéraux qui pourraient être visés par d’éventuelles mesures de « rétorsion politique ». Une part non négligeable du financement de la ville de New York provient de fonds fédéraux liés au logement, à l’éducation, à la sécurité publique ou encore aux subventions d’urgence. Si ces fonds représentent moins de 9 % du budget total de la ville, leur suppression partielle pourrait affecter certains services essentiels, notamment ceux destinés aux populations les plus vulnérables.
Ensuite, il conviendra de suivre de près les conditions que l’administration Trump pourrait tenter d’imposer aux municipalités qu’elle juge trop progressistes. Lors de son premier mandat à la Maison-Blanche, Donald Trump avait déjà cherché à restreindre les aides fédérales à certaines « sanctuary cities » qui refusaient de coopérer avec les autorités migratoires. Cette initiative avait été jugée inconstitutionnelle par plusieurs tribunaux fédéraux, au motif qu’un président ne peut pas suspendre des fonds votés par le Congrès pour des raisons politiques ou idéologiques. Toute tentative similaire à l’encontre de New York risquerait donc de se heurter à une bataille judiciaire immédiate.
Anticiper d’éventuelles réductions
Par ailleurs, la réaction de la ville elle-même devra être observée à la loupe. L’équipe du maire élu, dont l’entrée en fonction est prévue pour le 1er janvier 2026, devra élaborer une stratégie budgétaire capable d’anticiper d’éventuelles réductions des fonds fédéraux. Sur le plan politique, Zohran Mamdani devra également gérer la communication face à un président hostile, tout en rassurant les marchés locaux et les agences de notation sur la solidité financière de la ville.
Finalement c’est sans doute le calendrier législatif fédéral qui pèsera le plus lourd dans l’équation. Le Congrès reste la seule autorité capable d’adopter ou de bloquer des fonds. Mais si les républicains maintiennent leur majorité à la Chambre, le rapport de force entre Washington et New York pourrait devenir un terrain d’affrontement politique au cours de l’année 2026.