L’Otan fête ses 75 ans: “Sans les Américains, nous aurions un énorme problème pour nous défendre”
L’organisation militaire serre les rangs, dans les mots, face à la dégradation de la situation en Ukraine. Mais les Européens ont fait preuve d’amateurisme, analyse Tanguy Struye (UCLouvain). “On tergiverse trop, et on donne la possibilité à la Russie d’agir”, dit-il.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) fête ses 75 ans ce jeudi 4 avril, dans un contexte géopolitique tourmenté, après l’agression russe de l’Ukraine. Ses membres serrent les rangs et veulent “institutionnaliser” le soutien militaire à Kiev. La Finlande et la Suède ont rejoint l’alliance. Mais qu’en est-il vraiment, alors que les Russes ont repris l’initiative? Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, livre une analyse critique pour Trends-Tendances.
L’Otan vit-elle un moment charnière de son existence?
Je n’aime pas utiliser ce genre de concept. C’est un moment important, c’est vrai, mais il ne faut pas oublier que l’alliance a été confrontée à de nombreux défis, ces dernières années. La Finlande et la Suède ont rejoint ses rangs, mais ces deux pays étaient déjà fortement intégrés à l’Otan. Symboliquement, cela la renforce, mais les défis auxquels elle est confrontée aujourd’hui sont présents depuis une quinzaine d’année. On a d’ailleurs pris beaucoup trop de temps à en prendre la mesure. L’enjeu russe date de 2008 avec la Géorgie et certainement de 2014 avec la Crimée. Tous ces sommets de l’Otan donnent surtout l’impression que l’on doit relégitimer en permanence l’organisation, alors qu’il est bien tard.
Le président français, Emmanuel Macron, avait déclaré il y a cinq ans que l’Otan était “en état de mort cérébrale”. Cela a changé, non?
Certes, on voit qu’il a dû revenir sur ses paroles. Mais les pays de l’Est, certainement depuis 2014, ont toujours considéré que l’Otan était fondamentale. On s’est un peu trop fixé sur cette déclaration du président français, qui a un agenda très européen et qui y voyait la possibilité de renforcer l’Union européenne. Depuis la fin de la guerre froide, l’Otan a survécu, a été confronée à de nouvelles menaces comme en Afghanistan et, depuis 2014 et 2022, est revenu à la menace russe. Sans s’y préparer assez.
L’Otan n’est-elle pas sous pression avec le possible retour de Trump au pouvoir aux Etats-Unis et la volonté de développer un pilier européen au sein de l’alliance?
L’élargissement à la Suède et la Finlande renforce l’Otan et affaiblit la perspective, souhaitée par certains, d’une armée européenne indépendante et autonome. Ce qui pose problème depuis des années, c’est préisément ce débat entre les transatlantiques qui veulent un pilier européen fort au sein de l’Otan et ceux qui espéraient cette armée européenne. Ils ne le disent pas explicitement, mais on voit bien que le PS, chez nous, est dans cette logique-là au vu de son programme, et que la France privilégie une option européenne également. Or, sans les Américains, nous avons un énorme problème parce que nous ne pouvons pas défendre le nouveau rideau de fer. Les Etats-Unis sont indispensables dans la projection de puissance, le renseignement, le bouclier de protection… En raison de nos débats internes, on perd du temps à réer ce pilier européen au sein de l’Otan. De toute façon, une armée européenne, aujourd’hui, c’est exclu! Qui est prêt à investir des milliards et des milliards supplémentaires pour remplir le vide laissé par les Américains? L’Europe doit prendre ses responsabilités d’accord, mais au sein de l’Otan.
Etes-vous de ceux qui pensent que Vladimir Poutine pourrait tester l’Otan, d’ici 2026 ou 2028?
Le problème est celui-là: on tergiverse tellement que l’on donne l’opportunité à l’adversaire de tenter des choses. Nous ne sommes pas passés en économie de guerre, nous n’avons pas augmenté suffisamment nos investissements, les politiques n’ont pas réfléchi à l’armée dont on a besoin au vu de ce qui se passe en Ukraine ou au Pansahel. Nous nous retrouvons dans une situation assez problématique: on sait qu’il y a une menace russe, mais en raison de notre manque de réaction, on va inciter notre adversaire tenter ce que l’on veut éviter. Si on avait investit davantage depuis 2014, on aurait incité Poutine à réfléchir plutôt deux fois qu’une. Aujourd’hui, les Russes n’ont pas encore suffisamment reconstitué leur armée, mais ils sont passés en économie de guerre et ils pourraient être tenté de nous tester, oui. A l’été 2022, quand les Ukrainiens ont réussi à repousser les Russes, nous avons rapidement fait l’erreur de penser: ‘Game over, les Ukrainiens ont résisté et ne vont pas s’écrouler’. Mais depuis les Russes sont monté en puissance et nous avons un problème. La guerre est ce que l’on appelle la dialectique des volontés. Quel manque de professionnalisme de notre part! Quel amateurisme!
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