Suicide, scandale et secret. Le sort des titres de M. Puech, 83 ans, un des arrière-petits fils du fondateur de Hermès, est au coeur d’une longue et complexe affaire aux multiples rebondissements.
Il n’y a encore pas si longtemps, Nicolas Puech, 83 ans, n’était qu’un riche, mais relativement discret héritier qui coulait des jours heureux en Suisse. Ce célibataire sans enfant semblait personnifier l’archétype du rentier qui ne cherchait qu’à profiter de la vie. Mais tout change fin 2023. Il décide alors de chambouler sa succession pour adopter son domestique hispano-marocain et lui léguer sa fortune.
Une succession atypique qui va attirer l’attention des médias et réveiller une rancœur familiale que l’on pensait apaisée. Car si l’héritage est colossal (selon le magazine Bilan sa fortune est estimée entre 9,4 à 10,4 milliards d’euros en 2024), le vrai enjeu n’est pas là. L’héritage de Nicolas Puech, c’est surtout une montagne d’action Hermès héritée en partie par sa mère et par sa sœur. Il détiendrait à lui seul 5,76% du capital d’Hermès, ce qui au cours actuel (2025)représente un montant de près de 14,5 milliards d’euros.
L’une des plus riches familles au monde
Il se trouve que la famille Hermès est devenue la plus riche d’Europe et la troisième plus riche du monde. Seules deux familles font mieux dans le monde : la dynastie Nahyans qui contrôle Abu Dhabi et les Waltons de la chaîne de supermarchés américaine Walmart.
La famille doit sa fortune au fait que le groupe s’est mué en la plus importante machine à profit dans le secteur du luxe. Elle s’est spécialisée dans des produits destinés au segment des ultra-riches en misant sur l’exclusivité, l’artisanat d’exception et une réputation vieille de plus de 180 ans. Un pari osé, mais payant. La famille Hermès détrône même depuis peu Bernard Arnault dans le classement des grandes fortunes françaises. Une centaine de descendants de Thierry Hermès (1801-1878), détenant 66,7 % du groupe de luxe, voient leur patrimoine grimper à 163,4 milliards d’euros, soit une hausse de 5 % par rapport à 2024. En comparaison, la fortune de M. Arnault et de sa famille, qui contrôlent 48 % de LVMH, chute de 38,6 %, à 116,7 milliards d’euros.
Ce renversement symbolique illustre les mutations à l’œuvre dans le secteur du luxe, qui connaît un ralentissement depuis mi-2024. Or Hermès a tiré son épingle du jeu avec un bénéfice net en hausse de 6,8 %, tandis que LVMH a vu son résultat chuter de 17 %. Résultat : en un an, l’action Hermès a gagné 2,5 %, tandis que LVMH a perdu 25 % de sa valeur boursière, malgré un chiffre d’affaires huit fois supérieur (85 milliards contre 15,2 milliards d’euros).
De quoi faire grincer des dents un certain Bernard Arnault. D’autant plus que les actions Hermès ont un parfum de scandale.
Une guerre feutrée dans l’industrie du luxe
Elles ont même sérieusement fait trembler le petit monde de l’industrie du luxe il y a près de quinze ans. En 2010, Arnault a tenté en vain d’acheter son rival français. La famille refuse fermement, mais Arnault rachète en douce des actions. En octobre de cette même année, LVMH sort du bois et annonce avoir pris le contrôle de 14,2 % du capital. Cela ira même jusqu’à dépasser largement les 20 %. Poussant Patrick Thomas, le PDG de l’époque a déclaré avec colère : “Si vous voulez séduire une belle femme, vous ne la violez pas par derrière. Il n’y a pas d’interaction entre Hermès et LVMH aujourd’hui, et il n’y en aura jamais.” Mais en coulisse, c’est la panique. La famille n’a rien vu venir.
La surprise est d’autant plus amère que, rapidement, le groupe apprend que cette attaque a été fomentée avec l’aide d’un membre de son propre clan. Ce serait Nicolas Puech, avec l’aide de son conseiller Eric Freymond qui aurait entrouvert la porte du groupe pour permettre au rival LVMH de rentrer au capital. La famille se lance ensuite dans une contre-attaque. Avec succès puisque Hermès et LVMH finiront par signer un accord de paix en 2014. Un peu contraint et forcé, Arnault n’aura d’autre choix que de se retirer petit à petit du capital. En faisant, au passage, tout de même une plus-value de 2,4 milliards d’euros. La trahison ne sera, par contre, jamais oubliée ni pardonnée à Nicolas Puech . Lui et Eric Freymond seront considérés comme deux hommes « à abattre » par la famille.
Le mouton noir de la famille Hermès
Un fossé qui se creuse encore quand, à la surprise du clan, il est le seul à ne pas apporter ses actions à l’holding H51. Un holding qui contrôle 66 % du capital et verrouille l’emprise familiale sur Hermès. Une véritable forteresse qui donne un droit de préemption pour les autres membres de la famille, de sorte que les actions sont toujours transmises au sein de la holding familiale.
Nicolas Puech préfère faire cavalier seul en créant, en août 2011, une fondation dans le Valais (baptisée plus tard « Isocrates ») et à laquelle il s’engage à léguer ses actions. Exilé en Suisse depuis la fin des années 1990, cela lui permet de contourner les 60% de droits de succession, mais aussi de mettre les actions définitivement hors de portée de sa famille.
Si depuis le calme semblait revenu, la réalité serait nettement plus trouble au regard des derniers développements de l’affaire. Autrefois relativement mondain, l’homme s’est replié sur un très petit cercle composé de son ancien jardinier et sa compagne qu’il appelle ses enfants. Et depuis le départ forcé en septembre 2022 de l’ancien gestionnaire de fortune, Eric Freymond, tout s’accélère. En juillet 2023, son nouvel l’avocat Jörn-Albert Bostelmann chamboule le premier pacte successoral. Dans la foulée Nicolas Puech annonce qu’il souhaitait faire de son ancien « jardinier » (en réalité d’homme à tout faire, voire plus selon les mauvaises langues) son unique héritier en l’adoptant.
Une adoption pas si simple
Cet hispano-marocain et sa femme (qui ont deux enfants) auraient pourtant déjà reçu des biens immobiliers (une cinquantaine en tout) estimés à 60 millions. Une somme rondelette, mais rien d’extravagant au regard des avoirs de l’héritier. Selon Jörn-Albert Bostelmann interviewé par l’Express, «ce ne serait là qu’1% de la fortune de Nicolas Puech ». Mais l’adoption d’un adulte de plus de 50 ans est plus vite dit que fait et a tout d’un véritable casse-tête. Et le droit suisse exige que la fondation, dotée de la personnalité juridique, soit d’accord (sans surprise ce n’était pas le cas). Beaucoup se demande alors si Nicolas Puech ne serait pas un homme sous influence. Ou a-t-il simplement fait preuve de légèreté ?
Quoiqu’il en soit ses tentatives pour sortir du pacte successoral qui le lie à la fondation pour donner sa fortune à ceux qu’ils considèrent comme ses enfants risquant de tourner court, il tente alors de vendre ses actions.
Le mystère des actions
C’est à ce moment-là, affirme-t-il, que Nicolas Puech aurait pris conscience de ce que sa famille redoutait depuis longtemps : ses actions Hermès se sont volatilisées. Pour comprendre comment de tels titres peuvent ainsi disparaître des radars d’une entreprise, il faut rappeler qu’il s’agit d’actions au porteur, c’est-à-dire anonymes. Leur particularité ? L’identité du détenteur n’est connue ni de l’entreprise ni des autres actionnaires, à moins qu’une demande formelle ne soit adressée à la banque dépositaire. Mais dans certains pays, notamment les paradis fiscaux, les établissements financiers refusent de coopérer.
En quête d’un héritage introuvable, l’héritier s’inquiète. Les actions de Nicolas Puech, détenues au porteur, auraient progressivement disparu des radars entre 1999 et 2020, sans qu’il en ait été informé. En 1999, il détenait encore ses 6 millions d’actions. En 2012, il n’en restait que 140 000, puis plus aucune en 2020. Nicolas Puech aurait été “la victime d’une escroquerie organisée”. On est pas loin du casse du siècle.
L’octogénaire n’a peut-être pas grand-chose à donner en fin de compte à son jardinier. Bien qu’Éric Freymond, son ancien homme de confiance, nie toute implication, Puech dépose trois plaintes contre lui. Toutes seront classées sans suite par la justice suisse, faute de preuves. Depuis, l’intéressé et ses avocats gardent le silence. Tous les protagonistes de cette affaire s’accordent cependant sur un point : ce bloc d’actions existe encore quelque part. Mais où ? Et surtout, au profit de qui a-t-il été vendu ? Mystère.
Suicide
La famille Hermès continue néanmoins d’exiger que les établissements bancaires retracent les actions manquantes, tout en se voulant rassurante : avec ses nouveaux statuts et une valorisation boursière exceptionnelle, le groupe Hermès se dit désormais à l’abri d’une nouvelle OPA hostile.
“J’ai depuis longtemps la conviction que Nicolas Puech n’a plus ses actions”, a déclaré le gérant du groupe Hermès, Axel Dumas, interrogé il y a quelques jours sur l’affaire de la disparition des actions de l’un des héritiers du groupe. “Et c’est la raison pour laquelle nous avons engagé une action judiciaire”, a déclaré le gérant du sellier-maroquinier. “J’attends l’action judiciaire. Je ne crois pas que ces actions sont retrouvables”, a-t-il ajouté.
La semaine passée, la Tribune de Genève et le Point avaient rapporté qu’Eric Freymond, avait mis fin à ses jours, «brisé par la violence du soupçon». Ce lundi 28 juillet juillet Nicolas Puech a encore appelé à faire la lumière sur la mystérieuse disparation de ses actions. “On a appris cette nouvelle que je qualifie personnellement de tragique”, a déclaré Axel Dumas de son côté en marge de la présentation des résultats du groupe. “On ne peut être qu’affligé et triste pour ça”, a-t-il ajouté.