Quand les investisseurs vendent leurs obligations américaines, les taux américains montent. Et cela signifie un problème de plus pour les finances publiques des États-Unis.
En gros, les obligations du Trésor américain représentent un paquet de 27 000 milliards de dollars. Si les taux montent d’un point de pourcentage, cela signifie en théorie que les États-Unis voient leur facture d’intérêt s’accroître de 270 milliards de dollars, si les États-Unis devaient refinancer d’un coup cette masse de dette. Évidemment, ce n’est pas le cas (les obligations du Trésor, les « Treasuries », arrivent à échéance à des dates diverses), mais une remontée des taux d’un point de pourcentage pourrait déjà coûter cette année une cinquantaine de milliards de dollars au Trésor américain.
Les taux montent
Les États-Unis regardent donc comme le lait sur le feu l’évolution de leurs taux d’intérêt à moyen et long terme. Or, le problème, c’est que les taux montent. Avant l’élection de Donald Trump, à l’automne dernier, le taux américain à 10 ans était à 3,6 %. Aujourd’hui, il est à 4,4 %. Et la pression continue.
Pourquoi ? Parce que la politique américaine fait montre les prix. Mais certains incriminent aussi les ventes de la Chine, qui possède encore un important portefeuille d’obligations américaines (environ 800 milliards). La Chine, depuis des années, s’est tranquillement désengagée et a discrètement cédé plus de la moitié de ses Treasuries. Toutefois, la hausse des taux actuelle ne vient pas de Pékin. La Chine ne semble pas avoir enclenché un mouvement de ventes massives. Non, aujourd’hui, la pression vient du Japon, qui détient 1 100 milliards de dollars d’obligations américaines.
Pression japonaise
Pourquoi ? Parce que les pressions inflationnistes créées par la politique tarifaire de Donald Trump ont réveillé les taux japonais, et il semble que la Banque du Japon ait du mal à les contenir. Le rendement des obligations japonaises à 30 ans a atteint ces dernières heures 2,845 %, son plus haut niveau depuis 2004.
Or, cette hausse des taux japonais entraîne des conséquences immédiates pour le système financier mondial, parce que, on l’a vu, le Japon est le plus grand détenteur étranger de bons du Trésor américain. Historiquement, les taux d’intérêt japonais ont été très bas (voire négatifs jusqu’en 2024), incitant les investisseurs à chercher des rendements plus élevés aux États-Unis. Mais aussi parce que les investisseurs japonais sont des spécialistes du « carry trade » : ils empruntent en yens à faible coût pour investir dans des actifs à rendement plus élevé, comme les Treasuries. Une hausse des taux japonais ou un renforcement du yen les force à dénouer ces positions, entraînant des ventes de Treasuries et une hausse des taux longs aux États-Unis.
Réinflation mondiale ?
Et c’est ce qui se passe. On l’a vu la semaine dernière, lorsqu’un fonds spéculatif japonais, qui avait un effet de levier de 60 (il investissait 1 dollar de fonds propres pour prendre, via des produits dérivés, une position sur 60 dollars d’actifs), a implosé. Il a dû, pour dénouer ses positions et rembourser ses contreparties, vendre un grand nombre d’obligations américaines. Cela a entraîné une flambée des taux américains et a forcé la Maison Blanche à décréter une pause de 90 jours sur ses tarifs douaniers.
Au-delà de ces turbulences techniques, cette flambée des taux japonais pourrait signifier un changement important : la fin du régime déflationniste qui a soutenu un peu partout les actifs à risque – autrement dit les actions – pendant des décennies dans le monde entier. Si le Japon ne peut plus contenir ses taux, cela signifie que la politique tarifaire des États-Unis pourrait lui revenir en pleine face et frapper à la fois le marché obligataire et la Bourse, comme un gigantesque boomerang.