Les droits de douane américains coûteront-ils vraiment 4,2 milliards à la Belgique ?

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

C’est une première estimation du SPF économie, mais en réalité le coût des tarifs est difficile à estimer. D’un côté, les consommateurs américains assumeront le gros du fardeau. De l’autre, les entreprises belges ressentiront des effets indirects variables : la baisse du dollar, le choc sur la chaîne de valeur, l’arrivée de davantage de concurrence….

Selon une étude interne, demandée par le ministre David Clarinval, réalisée par le SPF Economie et révélée par L’Echo, les droits de douane de 15% imposés par l’administration Trump coûteraient à la Belgique entre 4,2 et 4,4 milliards d’euros par an. On arrive en effet à cet ordre de grandeur en appliquant un taux de 15% aux montants des exportations belges vers les États-Unis (27,4 milliards l’an dernier). Basique.

Stratégies d’éviction

Mais on ne peut pas simplement faire une règle de trois. En réalité, l’impact des droits de douane dépendra de plusieurs facteurs pour lesquels il est difficile aujourd’hui de donner une estimation.

Les entreprises non américaines cherchent en effet des moyens de contourner ces tarifs, un peu partout dans le monde. Beaucoup ont accumulé des stocks avant la mise en œuvre de ces barrières douanière. Par ailleurs, des pays comme la Chine font passer leurs produits via des pays moins imposés pour contourner une partie des tarifs douaniers.

Modification de la chaîne de valeur

De même, en Europe, des entreprises modifient leur chaîne de valeur pour l’optimiser en fonction des droits de douane. Certaines réalisent désormais un assemblage aux Etats-Unis afin d’y échapper, d’autres passent par un sous-traitant logé dans un pays où les droits sont plus faibles. D’autres encore séparent, quand c’est possible, le côté matériel et le côté immatériel d’un produit, puisque les droits de douane ne s’appliquent qu’aux biens, pas aux services. Ainsi, pour un appareil contenant des logiciels, on peut très exporter le simple matériel, et n’ajouter le logiciel qu’ensuite.

Le coût est supporté par les Américains

Dans les faits, et un nouveau rapport de Goldman Sachs vient le confirmer, ce sont surtout les Américains qui vont supporter ces charges.

L’étude publiée par la banque d’affaires américaine montre que les consommateurs américains supportent 55 % des droits. Les entreprises américaines en absorbent 22 %, les exportateurs étrangers 18 %, et 5 % sont éludés. Contrairement à 2018-2019, le transfert des coûts aux consommateurs est plus progressif, mais les entreprises attendent pour ajuster les prix face aux incertitudes judiciaires. Les consommateurs américains pourraient devoir assumer l’an prochain 70% de ces tarifs, avertit Goldman Sachs.

Effets indirects

De ce qui précède, l’impact des tarifs douaniers pourrait donc être mitigé. Mais attention aux effets indirects, négatifs, qui pourraient venir peser sur la marche des affaires des entreprises belges exportant aux Etats-Unis.

Premier impact indirect : le dollar. Face à l’euro, la devise américaine a cédé 15% depuis le premier janvier. C’est un impact sur la compétitivité de nos produits aussi importants, sinon plus, que les tarifs douaniers.

L’incertitude réglementaire relative au marché américain constitue également un handicap et freine certainement le commerce entre la Belgique et les Etats-Unis, d’autant qu’une grande partie de nos exportations concerne les produits pharmaceutiques, et que le marché des soins de santé aux Etats-Unis est pour le moment en plein chaos.

Et puis, avec un marché américain qui se ferme partiellement, la concurrence entre entreprises non américaines s’exacerbe, et l’on voit davantage de produits chinois refluer chez nous, avec évidemment un impact pour nos entreprises.

Résilience et fragilité

En résumé, l’impact direct des tarifs douaniers sera certainement plus bas que si ces droits de douane avaient dû être assumés intégralement par les entreprises belges.  En revanche, l’impact indirect, via le cours du dollar et l’adaptation du marché mondial, amènera une baisse de l’activité. Mais ce choc est difficilement quantifiable aujourd’hui.

On l’observe d’ailleurs dans les prévisions du Fonds monétaire international. Le rapport que le FMI vient de publier montre une économie mondiale  plus résiliente qu’attendu. Pierre-Olivier Gourinchas, le chief economist du FMI, souligne que l’impact des tarifs a été « plus bénin que prévu », grâce aux ajustements rapides des divers acteurs concernés. Le FMI a ainsi revu à la hausse ses estimations de croissance mondiale, qui devrait atteindre 3,2% cette année (l’estimation était de 3% en juillet et 2,8% en avril).

Les entreprises ont anticipé les tarifs en accumulant des stocks avant les hausses et en réorientant rapidement les chaînes d’approvisionnement. Mais le chief economist du FMI  ajoute que cela ne préjuge en rien de l’avenir et que les tensions commerciales fragilisent l’économie et pourraient réduire la production mondiale de 0,3 % l’an prochain.

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