Les Cubains, réticents à mettre leur argent en banque
“C’est pas possible, le distributeur n’a plus d’argent”, peste Lisandra Pupo, une cubaine de 30 ans, qui rechigne à mettre son argent à la banque, alors qu’une nouvelle mesure sur l’île communiste vise a encourager les transactions électroniques.
“Il y a aujourd’hui un niveau important d’argent liquide en dehors du système bancaire, cet argent ne circule pas dans les circuits logiques de l’économie”, a expliqué cette semaine à la télévision d’Etat le président de la Banque centrale Joaquin Alonso, pour qui le niveau élevé d’argent en circulation hors du système bancaire “encourage la spirale inflationniste”.
Entrée en vigueur jeudi, dans un pays en proie à une inflation hors de contrôle et à une crise de liquidités, la mesure limite les paiements en espèces à 5.000 pesos (environ 21 dollars au taux officieux). Tout paiement d’un montant supérieur devra être effectué par un autre moyen, en privilégiant les transactions électroniques. Les sommes provenant de transactions en liquide devront par ailleurs être déposées sur un compte bancaire au plus tard le jour ouvrable suivant.
“L’accès aux canaux et moyens de paiement électroniques s’est développé ces dernières années. Cependant, les transactions en espèces ont augmenté dans une plus grande proportion en raison de facteurs inflationnistes et autres”, souligne la Banque centrale dans un communiqué. Néanmoins, de nombreux Cubains redoutent que les carences technologiques sur l’île, touchée par une profonde crise, rendent difficile l’accès à leurs dépôts, ainsi que les transactions électroniques.
Lisandra Pupo, une ingénieure en mécanique, souligne ainsi la difficulté de faire des retraits. “Si j’ai besoin demain (d’argent) et que le distributeur est vide et que je suis obligée d’attendre trois jours, c’est pas possible”, assure-t-elle. Ces derniers mois, retirer de l’argent aux distributeurs est devenu un casse-tête pour les Cubains, qui doivent effectuer de longues queues devant les rares appareils approvisionnés. Les retraits ne peuvent par ailleurs pas dépasser les 5.000 pesos. “A l’époque où nous vivons, 5.000 pesos, c’est tout simplement rien du tout”, peste la jeune femme.
“Hors de question”
“Hors de question de déposer mon argent à la banque”, lance Rossel Garcés, un imprimeur indépendant de 32 ans interrogé par l’AFP. “J’ai 20.000 pesos en liquide. Si je les dépose à la banque mais que je suis limité en retrait à 5.000 pesos après avoir fait la queue pendant trois heures, je fais quoi? Je vais dans une autre banque, je refais la queue pendant trois heures pour 5.000 pesos et ainsi de suite?” illustre-t-il. Les Cubains n’ont par ailleurs pas tous un téléphone portable qui pourrait leur permettre de réaliser des transferts bancaires et l’internet sur l’île est instable.
Les autorités reconnaissent être confrontées à des défis importants en raison du manque de ressources pour mettre à jour le réseau de distributeurs mais aussi pour installer des terminaux de paiement dans les établissements du pays. L’installation de terminaux “requiert un investissement (…). Cela demanderait beaucoup, mais nous ne disons pas que nous n’irons pas de l’avant”, a reconnu M. Alonso lundi.
L’économiste cubain indépendant Omar Everleny Pérez explique que “les prix élevés et le manque de grosses coupures” ont rendu “cette bancarisation nécessaire”. La hausse des prix a atteint 45,8% sur un an en mai, selon le ministère de l’Economie, mais les analystes estiment qu’elle est bien supérieure.
Cuba est confrontée à sa pire crise économique en trois décennies, sous l’effet conjugué des conséquences de la pandémie, du renforcement des sanctions américaines et de faiblesses structurelles internes, avec de graves pénuries de nourriture et de médicaments et une spirale inflationniste sans précédent.