Le mystère du Bayesian: Comment ce super yacht a-t-il pu couler si vite?
Une semaine après avoir coulé, le mystère entourant le naufrage du yacht du milliardaire de la technologie Mike Lynch semble s’épaissir un peu plus chaque jour.
Comment le «Bayesian», ce superyacht ultramoderne, l’un des plus grands voiliers du monde, a-t-il pu couler aussi rapidement au large de la Sicile? Une semaine après le drame, l’affaire semble loin d’être élucidée. Elle aurait même tendance à s’embourber dans une épaisse brume, donnant le champ libre aux théories les plus farfelues.
Une croisière de plusieurs jours pour fêter une victoire
Selon la version officielle, dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 août une tempête aussi soudaine que surprenante a fait sombrer en quelques minutes le Bayesian. À son bord, 10 membres d’équipage et 12 passagers dont des figures importantes du monde des affaires. Le plus connu d’entre eux est le multimillionnaire Mike Lynch, magnat de la tech britannique. Celui qui est surnommé “le Bill Gates britannique”, et dont la fortune avoisine les 500 millions de livres sterling, avait invité plusieurs associés et proches employés. Se trouvait également à bord du voilier, Jonathan Bloomer, président du conseil d’administration de Morgan Stanley International et son épouse Anne Elizabeth Judith Bloomer, Christopher Morvillo et Aya Ronald, les avocats de Lynch (avec leur conjoints respectifs Neda Morvillo et Matthew Fletcher). Mais aussi Charlotte Golunski, associée de l’homme d’affaires dans Invoke Capital avec son mari James Emsilie et leur bébé d’un an. Il y avait aussi la femme et la fille de Lynch âgée de 18 ans.
Plus d’une décennie de bataille juridique
Tout ce petit monde s’était réuni sur le voilier de luxe pour célébrer l’acquittement pénal de Mike Lynch en juin dernier après un long combat judiciaire avec l’américain Hewlett Packard (HP). Le géant américain avait racheté Autonomy pour 11 milliards de dollars en 2011. Mais un an plus tard, HP était contraint de dévaloriser l’entreprise de 8,8 milliards de dollars. L’entreprise technologique accusait dans la foulée Autonomy d’avoir trafiqué les comptes. S’est ensuivie une longue bataille juridique qui a délibéré, en 2022, au civil, que HP avait payé trop cher. Mais en juin 2024, Mike Lynch et son associé, Stephen Chamberlain, ex-vice-président d’Autonomy, étaient blanchis sur le volet pénal. Toutefois, les juges devaient encore se prononcer sur les dommages et intérêts réclamés par HP.
Une trombe marine
Le voilier, affirme la BBC, appartient à Revtom Ltd, une entreprise enregistrée sur l’île de Man dont l’épouse de Mike Lynch, Angela Bacares, serait l’unique actionnaire. Construit en 2008 en Italie, le luxueux yacht de 56 mètres de long battant pavillon britannique comptait trois ponts, six suites et cinq chambres pour l’équipage. Avec son immense mât de 75 mètres de haut, le plus haut du monde, il était reconnaissable de loin.
Si le voilier était ancré, le haut mât en aluminium aurait été pris dans la tornade. L’évènement météorologique se serait déclaré au large de la Sicile, à 15 km au large de Porticello, à l’est de Palerme. Dans un premier temps, on a cru que le yacht a été pris dans une trombe marine, une sorte de tornade très localisée avec des vents très violents et verticaux, un phénomène qui était autrefois limité aux Antilles. Aujourd’hui, la thèse la plus probable est ce qu’on appelle un vent de chute, une puissante rafale de vent qui peut se produire lors d’orages violents.
Un peu avant 5 heures du matin, un soudain orage réveille Charlotte Golunski et son compagnon et fait «danser le bateau». Ils sortent et assistent impuissant à l’imposant mât qui se brise en deux et qui fait chavirer le bateau. Il aura fallu moins de seize minutes aux éléments pour détruire ce bijou technologique réputé insubmersible. Ils parviennent à se hisser avec leur fille à bord d’un canot de sauvetage. Tout comme l’avocate Aya Ronald et son compagnon Matthew Fletcher, l’épouse de Mike Lynch, Angela Bacares. Le capitaine et huit autres membres d’équipage sont également en vie.
Manquent par contre à l’appel Jonathan Bloomer, de Morgan Stanley International, et son épouse Anne Elizabeth Judith, Chris Morvillo, l’avocat, et son épouse Neda, Mike Lynch et sa fille de 18 ans, Hannah. Le voilier coule à 50 mètres de profondeur. Une semaine plus tard, le corps des 7 personnes ont tous été retrouvés. A la suite d’une vaste opération de recherche, les plongeurs ont remonté les corps de quatre amis du magnat de la tech le mercredi, celui de Mike Lynch le jeudi et enfin celui de Hannah le vendredi. Les six corps ont été retrouvés dans les cabines les plus proches de la surface, cinq dans l’une et le corps d’Hannah dans l’autre, et les autorités estiment qu’ils s’y étaient probablement abrités en essayant de trouver des poches d’air. Mais si cette partie des recherches est terminée, l’enquête sur les raisons ne fait elle que commencer.
Ouverture d’une enquête
La justice italienne a ouvert une enquête pour homicide involontaire. Ambrogio Cartosio, chef du bureau du procureur de Termini Imerese, a souligné lors d’une conférence de presse que l’enquête ne visait aucune personne en particulier. Les questions sont, elles, nombreuses.
Comment le yacht a-t-il pu couler si rapidement, alors tous les autres bateaux, se trouvant parfois à proximité du yacht, ont résisté à la tempête et ont même réussi à secourir plusieurs passagers du voilier? La quille, la partie sous le bateau en forme d’aileron, était-elle rétractée ? Quand le bateau s’est-il rempli d’eau ? Pourquoi l’équipage n’était-il pas au courant de la tempête qui approchait alors qu’aucun pêcheur de Porticello n’était-il en mer cette nuit-là ? Pourquoi James Cutfield, le capitaine néo-zélandais de 51 ans, a-t-il pu se sauver lui et son équipage (à une exception près, le cuistot), mais pas les passagers alors qu’il y avait suffisamment de temps pour sécuriser le navire et sauver les passagers ?
Selon Giovanni Costantino, directeur de The Italian Sea Group – l’entreprise qui a construit le Bayesian en 2008 et connue mondialement pour la production de voiliers de luxe et de yachts extrêmement performants -des erreurs de jugement ont été commises. « Avant que la tempête n’éclate, le capitaine aurait dû fermer toutes les ouvertures, lever l’ancre, démarrer le moteur et abaisser la quille. Ce n’est pas ce qui s’est passé » dit-il à la BBC. Pour preuve, selon lui, « un autre bateau Perini, semblable au Bayesian, a résisté face à l’ouragan Katrina, catégorie 5. Ce genre de bateau ne peut couler que s’il prend l’eau. « Un scénario rendu plus crédible par la soudaine désactivation de toutes les lumières du mât.
Le capitaine du super yacht de luxe qui a coulé au large de la Sicile la semaine dernière fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, ont indiqué lundi les médias italiens.
D’étranges coïncidences
Ce qui aurait pû être qu’un simple drame d’ultra riche, va encore d’avantage basculer dans une autre dimension lorsqu’on va apprendre que Stephen Chamberlain, ex-associé et coaccusé au côté de Mike Lynch, est mort deux jours avant le naufrage. Il a été renversé par une voiture en Angleterre lorsqu’il faisait son jogging dans la région de Cambridge. Ces dernières années, Chamberlain s’est pris de passion pour le running et partage des photos de ses courses sur les réseaux sociaux. Le samedi 17 août, au matin, il part courir dans la campagne. Il parcourt 10 kilomètres avant d’être renversé par une automobiliste au bord d’une départementale. Il succombera à ses blessures à l’hôpital. Selon la police britannique, la mort de Stephen Chamberlain n’est pas suspecte et les deux événements à deux jours d’intervalle ne sont qu’une regrettable coïncidence.
La semaine dernière, le site d’information Politico en a cependant remis une couche en révélant que M. Lynch et M. Chamberlain auraient eu des liens avec les services de renseignement britanniques et américains. Après avoir vendu Autonomy en 2011, M. Lynch a fondé, avec d’anciens officiers de renseignement britanniques, la société de cybersécurité Darktrace. M. Chamberlain y est devenu directeur financier. L’entreprise, basée à Cambridge, lutte contre les cyberattaques à l’aide d’un logiciel qui apprend les modèles de comportement de toutes les personnes impliquées dans une organisation et détecte les activités inhabituelles.
De quoi faire gronder un peu plus les tam-tams conspirationnistes. Au point que ce week-end la police italienne a expressément demandé de ne pas tirer de conclusions hâtives. « Il faut du temps pour comprendre comment cette catastrophe a pu se produire ». Mais le silence imposé aux différents acteurs de l’enquête semble avoir l’effet opposé.
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