L’attaque du Rwanda sur la RDC a aussi des raisons économiques

Deux soldats montent la garde dans le territoire de Lubero, dans la province du Nord-Kivu (est), en République démocratique du Congo (RDC). Environ 200.000 personnes ont été déplacées dans l'est de la RDC, en raison des combats intenses entre l'armée de la RDC et les groupes armés depuis novembre 2024, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). © Belga

Derrière le conflit entre la RDC et le Rwanda, l’une des tragédies de notre époque, il y a l’inextinguible soif de terres rares nécessaires à la révolution technologique et à l’avènement de l’intelligence artificielle.

Depuis la reprise des combats du M23 (un mouvement créé par des officiers des forces armées de la république démocratique du Congo entrés en rébellion), toutes les tentatives diplomatiques pour mettre fin au conflit entre la RDC et le Rwanda ont échoué, culminant avec la prise de Goma par les rebelles du M23. La capitale de la province du Nord-Kivu compte tout de même 1 million d’habitants, auxquels s’ajoute presque autant de réfugiés. On parle du M23, mais il ne fait guère de doute que, derrière ce groupe, on retrouve la main du Rwanda. Cependant, bien que suspecté de soutenir le M23, le Rwanda n’a jamais été officiellement désigné comme agresseur par l’ONU et les organisations régionales, malgré des preuves accablantes. Une énième illustration du fait que, de façon générale, la communauté internationale – ayant d’autres crises à traiter – ne s’intéresse que très peu à ce conflit.

Comment un si petit pays peut-il attaquer un pays aussi grand que la RDC ?

Lorsqu’on regarde la carte du monde, on peut se demander comment le Rwanda peut attaquer un pays aussi vaste que la RDC et prendre possession de villes comme Goma (et probablement bientôt Bukavu). Pour donner un ordre de comparaison, c’est comme si le Luxembourg décidait d’envahir l’Allemagne et de conquérir des villes comme Cologne ou Dortmund. Les événements des derniers jours montrent donc bien que, dans la mécanique de l’ordre mondial, tout n’est pas qu’une question de taille.

Le Rwanda a ainsi connu un impressionnant redressement économique depuis le génocide, alors que la RDC n’est plus que l’ombre d’un État, gangrené par une corruption systémique. L’autre facteur ayant rendu cette situation possible est l’affaiblissement de plus en plus visible du principe de souveraineté et d’intégrité territoriale. Suite à l’invasion russe en Ukraine et aux guerres à Gaza et au Liban, le peu de réactions internationales a montré que toute invasion n’entraîne pas forcément de conséquences. Plus que le droit international, c’est le plus souvent la réalité économique qui prime. Ici aussi.

Malgré une levée de boucliers internationale massive et des réactions outrées, il ne risque pas de se passer grand-chose. Car le véritable moteur de ce conflit est principalement économique. Un avis partagé par le Congolais Denis Mukwege (Prix Nobel de la paix 2018), qui précise que l’exploitation ou le commerce illicite des minerais est reconnu comme une cause majeure de la violence.

Le chaos peut être bon pour les affaires

De façon cynique, ce conflit implique trop d’acteurs qui n’ont aucun intérêt à une paix durable dans la région. Il y a les Rwandais, les entreprises étrangères, mais aussi certains Congolais privilégiés. Ce chaos, voire cette balkanisation de l’Est congolais, permet à tous ces acteurs de mener plus tranquillement leurs petites affaires. Autrement dit, l’exploitation – le plus souvent illégale – des terres rares. Le sol de l’Est du Congo est en effet riche en métaux précieux. Le Nord-Kivu et l’Ituri regorgent de minerais stratégiques comme l’or, le coltan et la cassitérite, essentiels aux industries électroniques mondiales.

De son côté, le Rwanda, bien que dépourvu de réserves significatives de minerais, s’est pourtant imposé comme un important exportateur de terres rares et de minerais stratégiques. Le fait qu’une partie des minerais congolais soit exportée vers le Rwanda, avec ou sans l’intervention du M23, est un secret de Polichinelle, selon Gregory Mthembu-Salter, ancien expert de l’ONU chargé d’enquêter sur l’exploitation illicite des minerais. Le Rwanda exporterait ensuite ces minerais congolais sous un label rwandais, leur donnant ainsi accès au marché international.

L’importance planétaires des métaux rares

Or, l’importance stratégique de ces minerais est aujourd’hui telle pour les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, que l’on ferme encore plus facilement les yeux sur le fait que le Rwanda exploite illégalement les terres rares de son voisin. Cela permet aussi d’ignorer que le Rwanda de Kagame est un pays dirigé principalement par des militaires où les droits de l’homme ne sont pas respectés et où il n’existe aucune opposition politique interne.

Ainsi, il y a un an, le 19 février 2024, un accord de coopération sur les matières premières a été signé entre le Rwanda et l’Union européenne. Il concernait notamment le tantale et le niobium, deux métaux autrement appelés coltan, stratégiques pour la fabrication des technologies modernes, dont les smartphones et les ordinateurs. L’union Européenne a aussi versé 40 millions d’euros de subsides à l’armée Rwandaise pour lutter contre les milices islamiques, mais nul ne sait si l’argent a effectivement servi à cela. Elon Musk a aussi conclu un accord pour Starlink avec le Rwanda. Il y a donc peu de chances que Trump réagisse avec fermeté.

Enfin Apple, Intel, Samsung, Nokia, Motorola et la plupart des géants des nouvelles technologies reconnaissent eux aussi se fournir indirectement en RDC et au Rwanda en étain, en tantale et en tungstène. Ces métaux dits “3T”, très utilisés dans les équipements électroniques, transitent par des intermédiaires, tels que des raffineries ou des négociants, qui ne sont pas toujours scrupuleux quant à leur provenance.

Au point que fin 2024, la République démocratique du Congo ira jusqu’à déposer plainte contre Apple pour recel de crimes de guerre au profit du Rwanda, accusant le géant de la tech de dissimuler le rôle des « minerais de sang » dans sa chaîne d’approvisionnement. Une action plus symbolique qu’autre chose dans ce monde en pleine révolution numérique, tellement affamé de terre rares qu’il en est devenu, à minima, peu regardant.

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