L’ambition commune de Close et Verhofstadt: “Davantage d’Europe, c’est la solution à tout”

Guy Verhofstadt et Philippe Close fêtent l’Europe ce 9 mai sur la Grand-Place. © Hatim Kaghat
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le président du Mouvement européen et le bourgmestre de Bruxelles veulent mobiliser les citoyens ce 9 mai, jour de la fête de l’Europe, pour soutenir une Union renforcée et inciter les dirigeants à avancer. Leurs ambitions ? Une défense européenne et un marché intérieur élargi aux domaines cruciaux comme le digital, les télécoms, l’énergie, le rail, etc. “Cette fête est l’occasion de dire que nous ne voulons pas de Trump, pas de Poutine, nous voulons une Europe unie”, disent-ils.

Le premier fut Premier ministre libéral au début des années 2000 avant d’être un protagoniste de premier plan du Parlement européen. Aujourd’hui, il est président du Mouvement européen, l’organe qui prolonge le rêve des pères fondateurs: Schuman, Monnet, Churchill aussi… Le second est bourgmestre socialiste de Bruxelles, capitale de l’Europe, et artisan d’un rapprochement entre capitales européennes, Kiev compris. Guy Verhofstadt et Philippe Close organisent un événement sur la Grand-Place de Bruxelles, ce 9 mai, pour fêter l’Europe. Ils échangent au sujet de leur ambition, en exclusivité pour Trends-Tendances.

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TRENDS-TENDANCES. Comment est née cette idée de fête du 9 mai à Bruxelles ?

PHILIPPE CLOSE. C’est Guy qui m’a appelé pour défendre cette idée d’organiser une célébration le jour de la fête de l’Europe, le 9 mai. Nous nous connaissons bien via Roger Lallemand, ancien sénateur socialiste, qui était mon premier patron et son ami intime. L’idée, c’est de faire un warm-up cette année.

GUY VERHOFSTADT. Quarante mille personnes ont manifesté à Rome le 15 mars dernier pour défendre la construction européenne telle que les pères fondateurs la voulaient. L’initiative avait été lancée par Michele Serra, un journaliste réputé de La Repubblica. J’étais présent Piazza del Popolo en tant que président du Mouvement européen et je me suis dit qu’il faudrait faire la même chose à Bruxelles.

P.C. L’Europe est présente partout à Bruxelles et très acceptée par les gens. Nous avons développé un réseau pour que les villes européennes, dont Kiev, profitent de notre ville comme vitrine. Nous essayons de faire des événements avec la Commission européenne. C’est bon pour notre économie et notre image. Nous ne sommes pas assez fiers de cette dimension européenne.

Guy Verhofstadt, votre quête des États-Unis d’Europe est un combat de longue date…

G.V. Oui, et il y a plus de raisons que jamais de mener ce combat au vu de la situation mondiale. Cette fête est l’occasion de dire que nous ne voulons pas de Trump, pas de Poutine, nous voulons une Europe unie. Le monde actuel n’est plus celui d’il y a 10 ou 15 ans : c’est une lutte brutale entre empires, voilà la réalité. Nous devons faire cette unité européenne, c’est le seul atout que nous avons pour nous défendre économiquement, militairement, technologiquement… Le peuple européen doit dire à ses leaders politiques qu’il faut faire ce pas que les pères fondateurs voulaient faire et que l’on n’a pas osé faire ces 50 dernières années : une Constitution européenne et une défense européenne.

“Le monde actuel n’est plus celui d’il y a 10 ou 15 ans : c’est une lutte brutale entre empires, voilà la réalité.” Guy Verhofstadt

P.C. C’est toujours à travers les crises que l’Europe a évolué. Aujourd’hui, même les nationalistes n’osent plus remettre en question la monnaie unique. L’Europe a montré qu’elle pouvait concrétiser des utopies. Le fait de faire sauter les frontières avec Schengen, d’étudier dans un autre pays, de pouvoir y travailler… Sans cela, nous sommes des nains au niveau mondial. Je trouve cela fort quand Guy dit qu’il y a des empires face à nous et que nous devons bouger plus vite. Les pays de l’Est qui ne sont pas encore dans l’Union – de l’Ukraine à l’Albanie en passant par le Montenegro – affichent fièrement ce drapeau européen. C’est leur rêve, qui n’est pas celui de rejoindre les États-Unis. C’est tout de même une force incroyable !

Il y a pourtant des pas que l’on ne parvient pas à franchir. Cela vous énerve-t-il ?

G.V. Cela m’énerve surtout parce que face à la menace de la Russie et l’imprévisibilité de Trump, cette unité européenne est la réponse. L’Europe de la défense doit être concrétisée rapidement en tant que pilier au sein de l’Otan : c’était le but initial, d’ailleurs. La Communauté de défense avait été bien préparée en 1954, il existe un document complet recensant le nombre de soldats, d’avions, de chars, etc. avec l’uniforme et la hiérarchie militaire. Il n’y aurait peut-être pas eu la guerre en Ukraine si on avait avancé dans ce sens-là. Nous serions une vraie puissance.

Nous dépensons beaucoup d’argent pour la défense au sein de l’Union, en tenant compte des Britanniques qui finiront bien par revenir : 330 milliards d’euros ! C’est 40% du budget américain, mais nous ne pouvons faire que 10% des opérations. Il y a un problème lié à l’inflation des systèmes d’armement : nous en avons 130, les Américains 25, les Russes une trentaine… Je ne suis pas contre des investissements supplémentaires, mais cela ne servira à rien si on n’a pas de défense européenne. On dit que cela se fait grâce à une crise. Mais un jour, ce sera la dernière crise et c’en sera fini de l’Europe !

Guy Verhofstadt © Hatim Kaghat

P.C. On moque toujours l’Europe pour sa normalisation, mais l’exemple que vient de donner Guy est éclairant : 130 systèmes, c’est impossible ! Prenons l’exemple des trains : nous avons un réseau ferroviaire n’existant nulle part ailleurs au monde, mais on ne sait pas acheter un billet pour trois pays, il faut passer par plusieurs agences. Souvent, les budgets sont là, mais il faut unifier.

G.V. C’est la même chose pour le digital : si vous avez une bonne idée de nouvelle application pour téléphones portables, vous devez avoir 27 autorisations des autorités nationales. Il n’y a pas de marché unique des télécoms : il existe 103 opérateurs, c’est incroyable ! Il est urgent de compléter le marché intérieur.

P.C. Il y a une série de domaines sur lesquels nous pouvons avancer: les droits d’auteur, les télécoms, le rail, la défense, etc. Cela montrerait aux gens que cela crée une dynamique vertueuse. C’est ce qui est arrivé avec l’enseignement supérieur, alors que certains mettaient en garde quand on a entamé le processus de Bologne. On peut désormais faire une partie de ses études dans un autre pays pour se spécialiser : sur un CV, c’est le jackpot ! Tout cela s’est mis en place relativement vite, en 10 ans.

Nous vivons un moment d’accélération, mais il reste des résistances nationalistes…

P.C. Les mouvements populistes font croire à la population que si l’on revenait en arrière, à l’État nation, tout irait mieux. Mais c’est loin d’être le cas. Les villes jouent un rôle particulier pour résister : à Budapest, Varsovie, Bratislava, Prague ou Tirana, les citoyens sont convaincus que l’Europe est une plus-value.

G.V. Nous n’avons pas le choix si nous voulons survivre dans le monde de demain. Ce que nous voulons organiser le 9 mai vise à montrer aux dirigeants européens que la population européenne les pousse en ce sens. Tous les sondages montrent qu’une majorité des Européens sont en faveur d’une construction renforcée, ce qui ne signifie d’ailleurs pas la fin des États nations : c’est la subsidiarité, on exerce les compétences au meilleur niveau pour le faire. Les gens voient ce qu’il se passe avec Trump, Poutine ou la Chine : ils ne veulent pas de cela ! Les extrémistes de droite voulaient sortir de l’Europe ou de la monnaie unique, ils n’en parlent plus.

“Peut-être n’avons-nous pas assez affirmé que l’utopie européenne était positive”

Philippe Close

P.C. Les citoyens doivent dire que l’Europe est le choix qu’ils privilégient. Nos enfants sont d’ailleurs complètement européens. Plus jamais ils n’imagineraient revenir en arrière. Peut-être n’avons-nous pas assez affirmé que l’utopie européenne était positive.

Le 9 mai, jour de l’Europe, est aussi celui de la grande fête de la victoire en Russie. Tout un symbole ?

P.C. Je n’oublierai jamais le sacrifice des Russes pour nous libérer durant la Seconde Guerre mondiale : 25 millions de morts. Ne mélangeons pas cela avec la politique de Poutine, qui engendra la guerre. Il y a également eu la division de l’Europe, durant la guerre froide, mais l’enjeu est désormais de montrer combien l’Union a créé de la richesse au niveau européen. Nous avons eu 80 ans de paix grâce à l’économie. Vers qui se dirige le Canada quand il y a une bagarre avec les États-Unis ? Vers l’Europe ! C’est tout de même un signal extrêmement positif.

Sommes-nous le dernier lieu qui incarne des valeurs ?

P.C. Notre modèle agrège et donne envie avec la liberté de circuler, la croissance, le vivre ensemble…

Un socialiste et un libéral pour le clamer, n’est-ce pas un symbole ?

P.C. Guy est le libéral préféré des socialistes. Le mariage Open Vld-PS du début des années 2000, quand il était Premier ministre, a généré des années de croissance, de dette réduite avec 84% du PIB et de libertés individuelles : euthanasie, mariage des couples du même sexe…

G.V. La meilleure notation que nous avons jamais eue, c’était durant cette période.

P.C. La croissance économique apporte la prospérité, nous nous retrouvions là-dessus. N’oubliez jamais que les socialistes sont des productivistes. Jacques Delors a énormément soutenu la liberté du marché, il venait des rangs socialistes. C’était un des derniers grands visionnaires de l’Europe, qui a agrégé beaucoup de libéraux. Je suis très engagé aux côtés de l’Ukraine, au niveau socialiste, il n’y a pas de doute en ce qui concerne la défense européenne ! C’est une façon de réindustrialiser l’Europe et d’établir des normes communes.

G.V. Il faut faire la communauté de défense et une industrie de la défense digne de ce nom suivra inévitablement. Aujourd’hui, plus de 60% de notre équipement militaire vient des États-Unis, sans oublier 15% venant d’autres pays hors de l’Europe. C’est épouvantable !

Philippe Close © Hatim Kaghat

L’Ukraine est un défi majeur qui nous est posé.

P.C. Jamais les gens n’auraient imaginé un retour de la guerre sur le sol européen. Kiev, c’est à 2.000 kilomètres, c’est comme s’il y avait la guerre à Malaga ! Le maire de Vilnius me racontait récemment comment ils expliquent à leurs enfants de se mettre à l’abri. L’inquiétude est réelle. Les Polonais savent ce que c’est d’être envahis par les Russes.
G.V. Avant le Donbass, il y a eu la Tchétchénie, la Géorgie, la Crimée…

Sommes-nous à un moment charnière de notre histoire ?

G.V. La priorité est de faire rentrer l’Ukraine dans l’Union européenne le plus vite possible, même si certains dossiers ne sont pas réglés. L’agriculture, par exemple, on la met de côté.

Mais ce sont Trump et Poutine qui négocient aujourd’hui…

P.C. Ils négocient, mais ils n’arrivent à rien.

G.V. Au contraire, Poutine a intensifié les bombardements sur les civils.

Mais où cela peut-il mener ?

P.C. Il est vital de ne pas lâcher ceux qui croient en notre idéal. D’où l’idée de cette fête du 9 mai. Je vais souvent en Ukraine, ces gens ont perdu des milliers de citoyens uniquement parce qu’ils croient en l’Europe. Ils n’ont jamais provoqué personne, ils veulent simplement faire partie d’un projet positif. Aujourd’hui, ils meurent pour nous, on leur doit cet avenir commun.

G.V. Il y a une crainte de la part de Poutine d’avoir une Ukraine démocratique aux portes de la Russie, une crainte de la contagion.

P.C. Affirmons notre idéal européen, osons-le ! Ne nous trompons pas, il y a une influence extérieure qui veut en permanence salir l’Europe.

L’économie est un enjeu majeur, aussi, avec notre compétitivité malmenée ces dernières années. Comment y répondre ?

G.V. Il faut compléter le marché intérieur. Voilà notre responsabilité. Les rapports Letta et Draghi exposent parfaitement les réponses que l’on peut apporter. Que l’on cesse de discuter, j’attends que la Commission dépose un paquet législatif traduisant ces propositions. Pour l’instant, le marché intérieur ne concerne que 35% ou 40% des services et des biens. C’est le chocolat ou la bière, ce qui est très bien pour nous, ou le champagne, ce qui est très bien pour les Français, voire les BMW, ce qui est très bien pour les Allemands. Mais ce n’est pas le digital, pas les capitaux, pas les télécoms…

Lorsque Jacques Delors avait lancé le marché unique, quand il était président de la Commission, il entendait bien l’ouvrir à tous les biens et les services. Ce sont les États qui ont fait prévaloir leurs intérêts dans certains domaines. Il faut en finir avec ça.

P.C. L’énergie est un autre exemple frappant. On sait que Poutine et Trump veulent nous tenir avec cela. Nous pourrions produire et négocier au niveau européen. Certains craignent le fait que l’on perdre notre autonomie, mais c’est tout l’inverse : on est en train de nous l’arracher, cette souveraineté. Le rail est un autre exemple : nous avons bien investi dans ce domaine, mais on peine à concrétiser l’essai au niveau européen.

G.V. Quand Alstom et Siemens ont voulu fusionner, c’est la Commission européenne qui l’a empêché en mettant en garde contre une position dominante. Entretemps, 60% des trains à grande vitesse sont produits en Chine. Il y a une vraie nécessité d’avoir des champions au niveau européen. Je suis favorable à la libre concurrence, bien sûr, mais cela ne doit pas empêcher les Européens de se mettre en ordre de marche comme on a pu le faire avec Airbus. C’est le plus bel exemple qui soit.

P.C. On a battu Boeing !

Pourquoi n’avance-t-on pas, si c’est si clair que cela ?

P.C. Les gens ont peur d’une dégradation du statut des travailleurs. Cela peut se comprendre, mais on connaît cela : il y aura un cadre d’extension et une phase transitoire. Il faut créer de grandes sociétés pour produire, par exemple, les trains à grande vitesse. Demain, on vendra hors d’Europe après avoir développé cette expertise. Les Canadiens sont toujours fascinés par nos TGV. Il peut en aller de même pour les télécoms.

G.V. Il y avait Nokia, Ericsson ou Motorola, mais on a laisser filer cela.

P.C. Nous avons des capitaux, mais nous les envoyons aux fonds de pension aux États-Unis. On parle de centaines de milliards qui sont mobilisables. Pourquoi ne crée-t-on pas un outil important d’investissements pour soutenir notre économie ? C’est d’autant plus vrai que le marché américain actuel est ultra instable. Il faut relire le rapport Letta dont personne ne fait rien. On commande des choses intelligentes à des gens intelligents, mais au moment d’appliquer ces recettes, on a peur.

A-t-on besoin de pionniers radicaux ou de pragmatiques ?

G.V. C’est un peu le problème, il y a trop de pragmatiques dans la politique, il faudrait davantage de visionnaires. Tout est devenu technique, alors que les gens demandent une direction claire et de l’espoir.

P.C. Les citoyens sous-estiment le pouvoir qu’ils ont. Certaines décisions majeures sont influencées par des mouvements populaires. Guy et moi, nous ne sommes pas des aristocrates de la politique, nous écoutons les gens.

G.V. La souveraineté ne peut être regagnée qu’au niveau européen.

Les dirigeants européens manquent-ils de clarté ?

G.V. Il y a surtout un problème au niveau institutionnel. Trop de compétences sont encore décidées à l’unanimité, ce qui fait que l’on manque de clarté dans les décisions et que l’on agit souvent trop peu, trop tard.

P.C. Pour en sortir, il faut oser avancer avec les pays qui ont envie de le faire.

G.V. Les Américains, en 1776, étaient une confédération qui fonctionnait à l’unanimité. Cela ne fonctionnait pas, ils perdaient la guerre contre la Couronne britannique. En 1787, ils ont créé une fédération avec une majorité qualifiée. Ce sera peut-être nécessaire en Europe de faire un traité avec ceux qui veulent avancer.

Guy Verhofstadt en quelques dates
• 1953 : Naissance à Termonde
• 1985-1987 : Vice-Premier ministre
• 1999-2008 : Premier ministre
• 2009-2019 : Président du groupe ADLE au Parlement européen
• Depuis 2023 : Président du Mouvement européen – International

Philippe Close en quelques dates

• 1971 : Naissance à Namur

• 2006-2017 : Échevin à Bruxelles

• Depuis 2017 : Bourgmestre de Bruxelles

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