La mort, ce choix économique (ou quand un Russe mort est plus rentable qu’un Russe vivant)

Cérémonie en l'hommage du correspondant de guerre de RIA Novosti news agency Rostislav Zhuravlev © getty

Quand on n’a pas peur de mourir, servir dans l’armée russe peut rapporter gros. Le Kremlin paye bien. Et la famille gagne encore plus en cas de décès. Les dessous de la « deathonomics », un business au cynisme redoutable. «Une façon rentable de mettre fin à ses jours », selon un économiste russe.

Dans la Russie de Poutine, il existe un lien étrange entre le culte de la mort (thanatopathie) et le culte de l’argent. Ce lien expliquerait que malgré un carnage de plus en plus difficile à masquer, l’armée russe ne manquerait pas de candidats.  Car « la mort à la guerre dans la Russie contemporaine n’est pas seulement un ‘destin honorable’, mais aussi ‘une façon rentable de mettre fin à ses jours’ », explique Vladislav Inozemtsev, économiste russe, dans Atlantico.

L’économie de la mort

Il a calculé ce qu’il appelle l’économie de la mort. Prenons un exemple concret. Un russe de 30 ans qui vit dans une région reculée du pays gagne en moyenne 40.000 roubles par mois (près de 390 euros). S’il rejoint l’armée ou est mobilisé, il va gagner d’un coup 195.000 roubles par mois (plus ou moins 1 890 euros), soit trois fois le salaire moyen officiel de 47.000 roubles. A cela vient s’ajouter une “prime à la signature” de 195.000 roubles supplémentaires. Il va donc gagner en un mois 10 mois de salaire. Et c’est encore plus intéressant si le soldat meurt relativement rapidement. S’il meurt après 5 mois, la famille va ainsi recevoir plus que ce que l’homme aurait pu amasser avec son salaire jusqu’à la retraite. Ses proches devraient recevoir environ 15,7 millions de roubles dans les trois ans suivant sa mort.

Voici ce qui est versé aux familles par proche mort:

  • 5 millions de roubles (48.500 euros) au nom du président.
  • L’indemnisation « régulière » en cas de décès d’un militaire participant à des opérations militaires (au 1er janvier 2023, elle s’élevait à 4,698 millions de roubles).
  • De 1 à 3 millions du gouvernement régional.
  • Un minimum de 2,96 millions de roubles versés par l’assurance obligatoire pour tout militaire.
  • Une pension de veuve de militaire d’au moins 21.000 roubles (204 euros) par mois plus une allocation pour les enfants de 2800 roubles par mois.

Par ailleurs l’hypothèque de la maison est souvent remboursée et la veuve a une réduction de 60% sur les factures d’énergie et les transports en commun.

Les primes sont, pour l’instant, effectivement payées

Si les estimations ukrainiennes sont exactes, des centaines de Russes meurent chaque jour sur les lignes de front. Au total plus de 200.000 Russes auraient déjà perdu la vie, toujours selon des sources ukrainiennes. Malgré le carnage, l’armée ne manquerait pourtant pas de candidats. Dmitri Medvedev a révélé la semaine dernière que 231.000 personnes avaient conclu des contrats avec l’armée depuis janvier. Les militaires enrôlés ainsi sont de facto des militaires réguliers sous contrat, ayant droit au salaire minimum et aux indemnités en cas de blessure et de décès. Or ces primes sont effectivement versées si l’on trouve le corps et que le décès est officiellement établi.

Des motivations économiques

La motivation de rejoindre l’armée serait donc surtout économique. Un constat qui se vérifie aussi dans l’origine des soldats. Ces derniers seraient principalement issus des régions les plus pauvres. Ainsi parmi les 26 régions où les taux de conscription sont les plus élevés, 23 ont des niveaux de revenus inférieurs à la moyenne nationale.

La Russie aurait dépensé 1000 milliards de roubles (9,7 milliards d’euros) pour les salaires des militaires par an. «Le gouvernement devra allouer à peu près le même montant pour les indemnisations en cas de soldats tués ou blessés, même s’il y en a 50.000 ou 100.000 par an. Ces sommes représentent près de 10% des dépenses fédérales d’avant-guerre », toujours selon Inozemtsev.

Un choix rationnel

Et malgré les sanctions, la Russie a encore de quoi payer pendant un certain temps. « S’il n’y a pas de chute brutale des prix du pétrole ou une autre catastrophe du même acabit, la Russie a suffisamment d’argent pour soutenir les dépenses courantes pendant environ deux ans”, écrit Alexandra Prokopenko, journaliste pour le média russe The Bell.

En attendant, le régime de Poutine fait également un choix rationnel en glorifiant et ennoblissant la mort. Toujours selon Inozemtsev, en Russie, “si un homme part en guerre et meurt entre 30 et 35 ans, sa mort sera plus rentable économiquement que sa vie future”.

Pour ceux qui ne sont pas tentés par la carotte, il y a aussi le bâton. Le gouvernement a également augmenté les amendes pour tous ceux qui essayent de se soustraire à la mobilisation. Les hommes peuvent être appelés de 18 à 55 ans. 

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