La Chine veut devenir le nouveau coffre-fort de l’or mondial

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Comme toujours, dans les stratégies chinoises, le premier mouvement est discret, hors des radars et paraît anodin. Mais il cache une stratégie bien plus ample visant à créer un système financier concurrent du système occidental.

L’agence Bloomberg rapporte que la banque centrale de Chine, la « People’s Bank of China » (PBOC), en collaboration avec le marché de Shanghai, le Shanghai Gold Exchange (SGE), inviterait discrètement les banques centrales des pays « amis » – principalement en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et en Afrique – à acheter et stocker leur or à Shanghai, plutôt qu’à New York, Londres ou Zurich, hubs traditionnels détenant la majeure partie des réserves mondiales de métal fin.

Opportunité en or

Ce mouvement, à première vue technique, pourrait s’inscrire dans une stratégie bien plus large, visant à remodeler l’ordre financier mondial. L’idée est de défier la suprématie du dollar en offrant à la Russie aujourd’hui, et à d’autres pays peut-être demain, un moyen d’échapper aux sanctions occidentales et en promouvant le rôle du yuan renminbi dans les échanges internationaux.

Alors que le dollar perd de sa superbe, en raison à la fois de la politique commerciale de Donald Trump et de l’endettement massif de l’État fédéral américain, l’or, valeur refuge par excellence, vole sur un petit nuage. Le prix de l’once, en hausse de plus de 40 % sur un an,  frôle désormais les 3.800 dollars, porté par l’achat d’investisseurs désireux de se protéger contre l’inflation importée par les tarifs douaniers et l’érosion du dollar, mais aussi soutenu par les achats de certaines banques centrales qui veulent solidifier leurs réserves de change.

Depuis le gel des avoirs russes frappés par les sanctions prises à la suite de l’invasion de l’Ukraine, en février 2022,  de nombreux pays, notamment dans le Sud global, cherchent en effet à diversifier leurs réserves pour diverses raisons, dont celle de réduire leur vulnérabilité aux sanctions occidentales. La Chine voit là une opportunité « en or » de renforcer son influence financière et géopolitique.

La Chine et le métal fin

Pékin met donc en place une stratégie pour devenir un nouveau hub pour le métal fin. La Banque de Chine accélère ses propres achats d’or, portant ses réserves à 2 298 tonnes au deuxième trimestre de cette année, soit 5,9 % de ses réserves totales. Ces chiffres officiels peuvent même être sous-évalués, certains estimant que les autorités chinoises cachent une partie de leurs achats  afin d’éviter de déstabiliser un marché déjà fiévreux.

Parallèlement, le marché de Shanghai, le SGE, créé en 2002, désire occuper une place de plus en plus importante : son stock de 59 tonnes est encore modeste face à la montagne de lingots logés à  Londres, qui abrite  environ 80 % des réserves mondiales, appartenant non seulement aux banques centrales mais aussi aux banques commerciales, aux fonds et aux autres investisseurs institutionnels.

Fin août, les coffres londoniens contenaient 8 831 tonnes d’or,  soit près de 710.000 lingots, selon les statistiques officielles de la London Bullion Market Association, pour une valeur qui approche les 1.000 milliards de dollars.

Mais les autorités chinoises ne veulent pas en rester là. L’initiative de la PBOC consiste à encourager les banques centrales étrangères à acheter de l’or via la SGE et à le stocker dans des coffres à Shanghai. Selon Bloomberg, au moins un pays d’Asie du Sud-Est a manifesté un intérêt, bien que l’identité de ce pays reste confidentielle.

Combattre le privilège exorbitant

Les pièces d’un puzzle se mettent en place. En mai dernier, la Banque de Chine a annoncé son intention d’« internationaliser » les contrats d’or de la SGE, afin de faciliter les transactions en yuan  renminbi, la devise chinoise. En avril, des discussions sur des entrepôts à l’étranger ont émergé, suivies en juin par l’ouverture d’un premier coffre (vault) offshore à Hong Kong, géré par la SGE.  Des négociations sont également en cours pour établir des coffres en Arabie Saoudite. Stocker l’or à Shanghai pourrait ainsi offrir une protection contre d’éventuelles saisies occidentales, puisque, contrairement aux devises ou aux obligations détenues dans des banques occidentales, l’or physique à Shanghai serait hors de portée des juridictions américaine et européenne.

Et puis, en liant le stockage d’or à des règlements en yuan, la Chine éroderait le « privilège exorbitant » du dollar, qui représente encore plus de la moitié % des réserves chinoises et domine les échanges mondiaux.

On le voit, l’initiative chinoise n’est pas un big bang, mais le début d’une guerre d’usure. En positionnant Shanghai comme un coffre-fort alternatif, la Chine capitalise sur la méfiance envers l’Occident et la hausse des prix de l’or pour renforcer son influence. Et une fois que les coffres de Shanghai détiendront suffisamment de lingots, ils pourraient devenir le pivot d’un système financier parallèle, centré sur le yuan et les devises des principaux pays du « Sud global ».

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