“La Chine est la grande gagnante de la guerre douanière”

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Comment se porte l’économie chinoise, alors que l’excédent commercial du pays dépasse déjà les 1.000 milliards ? La réponse de la chief economist de Candriam, Florence Pisani.

C’est un fameux pied de nez : alors que les Etats-Unis sont entrés dans une guerre commerciale ciblant principalement la Chine et l’Europe, la Chine a dégagé au cours des 11 premiers mois de cette année un excédent commercial record, dépassant les 1000 milliards de dollars. C’est déjà 20% de plus que l’excédent de 2024.

Paradoxe douanier

Paradoxalement, la guerre commerciale qui était censée affaiblir la Chine l’a plutôt aidée : elle a ralenti les importations de produits étrangers en Chine (qui n’ont progressé cette année que de 1,9%), mais n’a pas affecté les exportations chinoises , qui ont augmenté de 5,9%. Certes, les produits chinois ont bien plus de mal à pénétrer le marché des Etats-Unis, mais ailleurs, ils font un tabac : les importations chinoises dans l’Union européenne sont en progrès de près de 15%.

Pourquoi cette performance? En premier lieu parce que l’impact des droits de douane américains est plus faible que ce que l’on avait craint. Quand on regarde ce que les États-Unis ont réellement perçu en droits de douane, on obtient un niveau certes significatif (l’administration américaine estime qu’elle aura des rentrées douanières cette année de 400 milliards), mais on est en dessous des 500 ou 1.000 milliards visés, car les taux réels des tarifs douaniers évoluent aux environs de 12 %, en-dessous des taux officiellement annoncés.

Une économie résiliente

« Il y a beaucoup d’exemptions, explique Florence Pisani, la chief economist de Candriam. Prenez simplement le cas de Taïwan : il n’y a pas de droits de douane sur les semi-conducteurs, or Taïwan exporte essentiellement des semi-conducteurs. Donc le taux réel est beaucoup plus bas que le taux théorique ».

Mais la performance chinoise est aussi aidée par la résilience générale de l’économie. « Les PMI (l’indice des directeurs d’achats, NDLR) au niveau mondial, aussi bien dans les services que dans l’industrie manufacturière, sont à un niveau assez élevé, exactement le même qu’avant la hausse des droits de douane décidée par Donald Trump, souligne l’économiste de Candriam. Et si l’on regarde les prévisions du Fonds monétaire international, elles n’ont été révisées à la baisse de quelques dixièmes pour cette année et 2026 ». La révision baissière est très modérée en effet : moins de 0,3 % sur deux ans, soit 0,15 % de moins par an environ.

Les raisons derrière cette résistance de l’économie mondiale sont multiples. « La première est que beaucoup de pays n’ont pas riposté, note Florence Pisani. Tout le monde s’attendait à des représailles généralisées ; or, seuls quelques pays ont riposté ». La deuxième raison est un effet d’anticipation. « Les entreprises et les agents économiques ont constitué des stocks. Cela signifie que nous n’avons  peut-être pas encore assisté à la totalité de l’impact des droits de douane, dit l’économiste. Nous chez Candriam nous anticipons davantage d’effets dans les trimestres qui viennent, notamment une inflation plus élevée, surtout aux États-Unis. Mais pour l’instant, l’économie mondiale a été résiliente. Les entreprises s’adaptent, réorganisent leurs chaînes d’approvisionnement ».

En terrain déflationniste

La résilience est particulièrement surprenante pour la Chine, mais il faut peut-être aller gratter en profondeur. « Si nous regardons le PIB chinois, rien n’a bougé : il continue de croître proche de 5 %. Si on s’arrête là, tout va bien, dit Florence Pisani. Mais si on regarde le déflateur du PIB, on observe une  différence : il est en territoire négatif ».

La Chine évolue donc en territoire déflationniste. « Nous n’avons pas changé notre vision sur la Chine. Le taux d’épargne des ménages est très élevé, la confiance des ménages est faible, ils subissent des pressions déflationnistes. Le gouvernement essaie de s’attaquer au surinvestissement. Il cherche à réduire les surcapacités dans de nombreux secteurs, ce qui signifie que l’investissement des entreprises va rester faible dans les années à venir. Consommation faible, investissement des entreprises faible, et par-dessus tout ça la guerre commerciale ».

La Chine gagnante

« Cela dit, la Chine est un des grands gagnants de cette guerre douanière, ajoute Florence Pisani. Elle a montré qu’elle pouvait être un rival à la hauteur des États-Unis, qu’elle pouvait leur résister, qu’elle avait les moyens de le faire. Et à la fin, si on regarde l’augmentation des droits de douane américain sur la Chine, elle a été de 20 %. C’est la même que pour de nombreux pays asiatiques. La Chine n’est donc pas désavantagée. »

Pour Candriam, l’économie chinoise va donc poursuivre sa croissance annuelle  de 4,5 ou 5%. « La Chine fera tout ce qu’il faut pour maintenir sa croissance. Les autorités sont parfaitement conscientes qu’il faut augmenter la part de la consommation. C’est la première fois qu’elles le mentionnent dans le plan quinquennal. Je pense donc qu’elles feront davantage pour stimuler un peu la consommation, mais juste assez pour compenser le choc externe qui pèse sur l’économie chinoise. »

Un parfum japonais ?

Certains estiment que les caractéristiques de l’économie chinoise -une déflation, une population qui vieillit, un taux d’épargne record, une crise immobilière qui dure- , font penser à la situation japonaise des années 90. Pour Florence Pisani, cependant, la comparaison n’est pas très pertinente.

«Si la Chine veut, elle sait ce qu’il faut faire, dit-elle. Il faut augmenter la part de la consommation. Mais les Chinois ne veulent pas aller dans cette direction. Le gouvernement souhaite garder le contrôle. Il ne veut pas que les consommateurs consomment autant que les Occidentaux. La sortie de déflation prendra donc des années. Mais ce n’est pas le vrai problème, ajoute l’économiste de Candriam ». »

 Le vrai problème, pour le gouvernement chinois, consiste à préserver la stabilité sociale, poursuit-elle. « Il faut donc maintenir la croissance, mais sans surchauffe. L’économie chinoise va digérer lentement les excès immobiliers. Cela prendra des années. C’est un peu comme le Japon à cet égard. Mais en même temps, les Chinois savent exactement quoi faire et ils en sont conscients. »

Les surcapacités auront du mal à disparaître

Si la Chine ne veut pas flatter sa classe moyenne et ses consommateurs, que va-t-elle faire ?  «  Elle va réorienter l’investissement vers certains secteurs. Mais la philosophie est totalement différente de celle du Japon. Le Japon a connu une bulle, la bulle a éclaté, puis il a fallu 20 ans pour la digérer, et ils en subissent encore les conséquences. La Chine elle poursuit une stratégie : le pays a un plan à long terme, celui d’être autosuffisants. Elle a donc construit des surcapacités partout : panneaux solaires, énergie nucléaire ». Et ces surcapacités, c’est nous, en Europe, qui allons contribuer à les résorber. En achetant chinois.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire