Alors que Washington réduit ses financements et durcit ses contrôles, Pékin attire un nombre croissant de scientifiques de haut niveau. Un « exode inversé » qui pourrait rebattre les cartes de la compétition mondiale en matière d’innovation.
Depuis début 2024, au moins 85 chercheurs installés aux États-Unis ont rejoint à plein temps des institutions chinoises, dont plus de la moitié en 2025, selon un décompte établi par CNN. Parmi eux figurent des spécialistes de l’intelligence artificielle, des mathématiciens de premier plan, ainsi qu’un physicien nucléaire issu de Princeton.
Pour Pékin, cette politique d’attraction de talents s’inscrit dans une stratégie de souveraineté scientifique. Les secteurs prioritaires – semi-conducteurs, IA, biotechnologies, technologies quantiques – sont au cœur de la rivalité économique avec Washington. Elle s’accompagne de l’ambition affichée par Xi Jinping de faire de la Chine une puissance scientifique autosuffisante d’ici 2035.
Washington, entre restrictions et incertitudes
Ce « reverse brain drain » illustre un basculement qui pourrait peser sur la capacité américaine à conserver son avance technologique. Il faut dire que le contraste est saisissant.
L’administration Trump a multiplié les coupes budgétaires dans la recherche fédérale, durci l’octroi de visas H1-B et renforcé la surveillance des chercheurs étrangers, notamment d’origine chinoise. La résurgence du controversé programme « China Initiative » – visant à limiter les transferts technologiques – a accentué le climat de suspicion dans les laboratoires.
Même si le Congrès s’apprête à rejeter les coupes les plus sévères, ces incertitudes fragilisent déjà le recrutement de talents étrangers.
Pékin, une stratégie offensive
Et, pendant ce temps, la Chine déploie une politique méthodique pour séduire les chercheurs internationaux : salaires compétitifs, accès privilégié aux financements nationaux, aides au logement et bourses pouvant atteindre 3 millions de yuans (plus de 400 000 dollars, soit environ 372 000 dollars).
Le lancement du « K visa », destiné aux jeunes talents scientifiques étrangers, illustre cette volonté d’ouverture. Parallèlement, des programmes comme « Qiming » ciblent les experts en semi-conducteurs, IA et sciences quantiques, en provenance notamment des États-Unis et d’Europe.
« Les universités chinoises considèrent la politique américaine comme un cadeau inespéré », observe Yu Xie, professeur de sociologie à Princeton toujours à CNN.
Un rapport de forces en mutation
En 2023, la Chine a consacré plus de 780 milliards de dollars (environ 725 milliards d’euros) à la recherche et au développement, contre 823 milliards de dollars (environ 766 milliards d’euros) pour les États-Unis, selon l’OCDE. Dans certains domaines – énergies renouvelables, communications quantiques, exploration spatiale – les chercheurs chinois sont déjà en position de pointe.
Cette montée en puissance se reflète également dans l’académie : les universités chinoises figurent désormais parmi les cinquante meilleures au monde, et la production scientifique du pays dépasse celle des États-Unis dans plusieurs disciplines clés.
Pour autant, le chemin vers une suprématie incontestée de la Chine reste long. Le ralentissement économique, les contraintes politiques et des conditions de vie moins attractives que dans les pays occidentaux freinent encore ce mouvement. Un chiffre en témoigne : 83 % des doctorants chinois en sciences et ingénierie formés aux États-Unis entre 2017 et 2019 y résidaient toujours en 2023.