La Birmanie, repartie comme en 49 ?
La junte en Birmanie pourrait-elle tomber en 2025? Son armée n’a en tout cas jamais été aussi durement touchée depuis ses débuts, au milieu du siècle dernier.
Un an seulement après que le Myanmar ait déclaré son indépendance de la Grande-Bretagne en 1948, l’autorité du nouveau gouvernement ne s’étendait guère plus loin que les banlieues de Rangoon (aujourd’hui Yangon). Bien qu’en proie à des insurrections et à des défections, l’armée s’est battue pour sortir de la capitale et conquérir la majeure partie du pays. Depuis 75 ans, aucune autre institution n’a eu cette ampleur ou cette résilience.
Mais en 2024, la Tatmadaw, comme on appelle l’armée, a subi ses pires revers sur le champ de bataille depuis ses premières années. Elle a d’abord perdu le contrôle de la plupart des points de passage de sa frontière avec la Chine. Puis, elle a perdu la majorité des routes nécessaires au commerce avec ses voisins. De plus en plus, elle se trouve en position de faiblesse dans le centre du pays. Les combats ont même atteint l’arrière-cour du régime militaire : la région de Pyin Oo Lwin, où l’armée forme son corps d’officiers.
Pour la première fois depuis 1949, une défaite de la Tatmadaw ne semble pas impossible. Ce dernier soulèvement a commencé après le renversement par l’armée du gouvernement démocratiquement élu d’Aung San Suu Kyi ,en février 2021. L’ethnie majoritaire des Bama (ou Birmans), qui vit principalement dans les basses terres du centre du pays, est descendue dans les rues afin de protester. Lorsque l’armée a commencé à les abattre, ils ont riposté en s’entraînant et en s’équipant auprès de groupes armés ethniques.
La Chine a contribué à affaiblir la Tatmadaw afin d’éradiquer ses centres d’escroquerie en ligne, mais elle ne veut pas pour autant que l’armée s’effondre.
Alliance des trois confréries
Les plus grands gagnants de 2024 n’ont toutefois pas été les jeunes manifestants courageux. Ce serait plutôt l’Alliance des trois confréries, une coalition de groupes armés ethniques, qui gouverne désormais des pans entiers des collines de Shan, entre Mandalay et la Chine, et la quasi-totalité de l’État de Rakhine, dans l’ouest du pays. Il s’agit de combattants disciplinés et expérimentés, mais qui n’ont que peu de temps à consacrer à la démocratie. Un groupe, l’armée d’Arakan, est accusé d’atrocités à l’encontre des Rohingyas, une minorité musulmane du Rakhine.
La Chine soutient depuis longtemps les groupes de l’Alliance des trois confréries. Elle leur fournit indirectement des armes et en leur donnant accès au territoire et aux marchés chinois. En 2023, le géant asiatique a donné son feu vert à l’offensive de l’Alliance, exaspéré par les centres d’escroquerie en ligne, ciblant les citoyens chinois, qui étaient gérées depuis le territoire de forces alliées à la junte près de la frontière. Selon les analystes, la Chine a contribué à affaiblir la Tatmadaw afin d’éradiquer ces usines de cyberfraude. Mais le pays ne veut pas pour autant que l’armée s’effondre. Maintenant que les groupes de l’Alliance contrôlent une part significative du territoire et de l’activité économique, la Chine dispose de moins d’influence et pourrait commencer à soutenir la junte pour empêcher son effondrement.
Enfin, le régime subit également d’autres pressions. Il a perdu des sources de revenus et sa monnaie se déprécie. La cohésion au sein de la Tatmadaw dépend désormais de la coercition. Certains officiers murmurent qu’ils pourraient faire défection s’ils parvenaient à faire partir leur famille. Défections et ingérence chinoise avaient déjà conduit l’armée au bord de l’effondrement en 1949. La question qui se pose pour l’année à venir est de savoir si une telle chose pourrait se reproduire.
Par Aaron Connelly, rédacteur en chef diplomatique pour l’Asie de “The Economist”
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