La Banque du Japon en mode conducteur fantôme
La banque centrale japonaise a relevé son taux directeur, et ce alors que les banques centrales occidentales envisagent de baisser lentement les taux directeurs. En tentant de mettre fin à sa politique monétaire ultra-accommodante par de timides hausses de taux, elle adopte une attitude à contre-courant. De quoi provoquer des turbulences sur les marchés financiers.
Après plus de dix ans d’une politique monétaire ultra-accommodante, la BoJ avait entamé un lent resserrement monétaire en mars dernier avec une étape décisive: son premier relèvement en 17 ans (à entre 0% et 0,1%), qui signait la fin des taux négatifs en place depuis 2016. Son gouverneur, Kazuo Ueda, avait cependant soumis toute nouvelle hausse de taux à la réalisation d’une inflation stable autour de 2%, inscrite dans un cercle vertueux entre augmentations salariales, hausse de la consommation et croissance économique.Celle-ci est désormais davantage en vue, selon les nouvelles prévisions annoncées mercredi par la BoJ, qui a noté “un renforcement des mouvements visant à refléter les augmentations de salaires sur les prix de vente”.
“Dans la perspective de la réalisation de l’objectif de stabilité des prix d’une manière durable et stable, nous avons jugé appropriée” cette hausse de taux, a déclaré le gouverneur de la BoJ, Kazuo Ueda, lors d’une conférence de presse, estimant qu’elle n’aurait “pas d’impact négatif significatif sur l’économie”. “Si les perspectives de l’économie et des prix évoluent conformément à nos attentes, nous prévoyons de continuer à relever les taux d’intérêt”, a-t-il ajouté. Le calendrier “dépendra des données” et le seuil de 0,5% “n’est pas vu particulièrement comme une limite”, a encore précisé M. Ueda.
Pression pour agir face à la chute du yen
Pour Stefan Angrick de Moody’s Analytics, ce resserrement monétaire “tombe mal dans le contexte de la mauvaise série de données économiques” au Japon, avec notamment un recul du PIB au premier trimestre et des hausses de salaires annoncées qui peinent encore à toucher un grand nombre de Japonais. “Il y a de fortes chances que la décision d’aujourd’hui reste dans les mémoires comme l’une des plus controversées de la BoJ”, a-t-il ajouté. La Banque était notamment sous pression du gouvernement et de plusieurs ténors du parti au pouvoir pour agir afin d’enrayer la chute du yen, liée au grand écart persistant entre les taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (Fed) et ceux de la BoJ, et redevenue problématique ces derniers mois.
La devise nippone a atteint début juillet un nouveau plus bas face au dollar, avant de remonter nettement sous l’action combinée de spéculations sur une baisse de taux de la Fed dès septembre et un resserrement monétaire de la BoJ, et d’interventions supposées du gouvernement sur le marché des changes. Le yen s’appréciait légèrement face au dollar après l’annonce de la BoJ, largement anticipée par le marché, le billet vert s’échangeant pour 152,17 yens vers 07H30 GMT.
Vers des achats d’actifs divisés par deux
La BoJ a par ailleurs légèrement abaissé mercredi son objectif de hausse des prix à la consommation (hors produits frais) sur l’exercice 2024/25 entamé le 1er avril, à 2,5% contre 2,8% lors de ses dernières projections en avril. Elle a cependant annoncé tabler sur une inflation de 2,1% en 2025/26, contre 1,9% précédemment et maintenu son estimation de 1,9% d’inflation pour 2026/27.
L’institution a aussi abaissé sa prévision de croissance pour l’exercice en cours à 0,6% contre 0,8% jusque-là, la laissant inchangée à 1% pour les deux années suivantes. La banque centrale nippone a aussi détaillé son plan de réduction de ses massifs achats d’obligations publiques japonaises (JGB), actuellement autour de 6.000 milliards de yens par mois (36 milliards d’euros). Elle compte ainsi réduire son volume d’achats mensuels d’environ 400 milliards de yens par trimestre, pour arriver autour de 3.000 milliards de yens d’ici janvier-mars 2026, a-t-elle expliqué mercredi.
La BoJ avait annoncé le mois dernier vouloir sortir progressivement de ce programme dit d’assouplissement quantitatif, un moyen pour elle d’injecter des liquidités dans l’économie nippone pour stimuler l’activité et lutter contre le risque de déflation. L’institution détient plus de 50% des JGB en circulation, ce qui biaise le marché et complique la bonne transmission de sa politique monétaire. L’ensemble des actifs au bilan de la BoJ dépasse même le montant du PIB annuel nippon.
Risque de Turbulences
Il est donc plus probable que la Banque du Japon continue une normalisation très prudente et lente de sa politique monétaire. Cela pourrait provoquer des turbulences sur les marchés obligataires internationaux. Ces dernières années, les investisseurs ont emprunté en yens, profitant des taux bas et espérant une dépréciation continue du yen, pour investir ces fonds dans des obligations américaines à rendement plus élevé. Ces flux de capitaux pourraient se tarir, voire s’inverser, avec la hausse lente des taux directeurs au Japon et la baisse lente des taux directeurs aux États-Unis. Cela pourrait compliquer le financement des importants déficits budgétaires américains, ce qui pourrait faire grimper les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis. Et une hausse des taux d’intérêt américains a des répercussions sur tous les marchés financiers. Ainsi, la conduite fantôme de la banque centrale japonaise pourrait causer des dommages.