Hélène Latzer : “La Chine a beaucoup à perdre mais elle a d’autres moyens de faire pression sur les États-Unis”

Une guerre commerciale, c’est ce qu’a déclenché le président américain Donald Trump en introduisant des tarifs dits réciproques, qui imposaient des droits de douane excessivement élevés. Bien que Donald Trump ait depuis suspendu une série de ces tarifs – à l’exception de ceux appliqués à la Chine – les conséquences pourraient être sévères.
Trends Tendances a rencontré Hélène Latzer, professeure de macroéconomie à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de la communication de l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles.
Trends Tendances : C’est un véritable séisme qu’ont déclenché les droits de douane présentés initialement par le président américain Donald Trump, à quel point cette décision bouleverse ou va bouleverser le commerce mondial ?
Hélène Latzer : De manière assez significative. Cette décision marque le commerce international dans la manière dont ça s’organisait jusqu’à présent. Le premier point c’est que les tarifs réciproques qui ont été annoncés vont à l’encontre des règles traditionnelles de l’Organisation mondiale du commerce. Les États-Unis qui ont participé à la fondation de cette organisation sont en train de la détricoter. Deuxièmement, il y a la manière dont les États-Unis ont annoncé ces tarifs réciproques, avec une formule de calcul un petit peu étrange, pour ensuite, faire marche arrière, en suspendant les tarifs pendant un certain nombre de mois, et en annonçant une surenchère sur la Chine.
TT : Entre temps, Donald Trump a annoncé une pause des tarifs pour certains pays, ça vous surprend ?
H.L : Oui et non, ça montre surtout qu’il est imprévisible. On s’attendait à ce que Donald Trump revienne sur les montants qu’il avait annoncés, mais également le calendrier, puisque ce n’est pas la première fois qu’il fait volte-face. Donc ce n’est pas vraiment surprenant, mais le problème c’est que cela génère un fort climat d’incertitude. Quand le président américain annonce quelque chose, on ne sait jamais exactement s’il va s’y tenir ou pas. C’est un peu désespérant de devoir systématiquement faire face à cette imprévisibilité et à cette volatilité des décisions du côté américain.
TT : Est-ce c‘est une manière de négocier ?
H.L. : Beaucoup de gens qui disent que c’était effectivement l’objectif qu’il avait derrière la tête depuis le départ, à savoir ramener les pays à la table des négociations et commencer à obtenir un certain nombre de concessions sur des normes non tarifaires. Ça montre aussi que Donald Trump a une vision qui est extrêmement transactionnelle, et voit l’instrument commercial comme un instrument parmi d’autres en termes de négociation. En fait, il cherche à atteindre des objectifs qui ne sont pas forcément commerciaux, tout en utilisant l’arme commerciale.
TT : L’Europe a d’ailleurs annoncé suspendre sa riposte, est-ce une bonne idée ?
H.L : Lorsque votre partenaire commercial, annonce une suspension des mesures de rétorsion, cela fait sens de les suspendre également du côté l’Union européenne, sachant qu’en plus, Donald Trump agite toujours non seulement la carotte, mais aussi le bâton. L’Union européenne va surtout tenter d’utiliser ces trois mois de répit pour essayer de négocier en coulisses et essayer d’atteindre un accord qui permettrait sans doute peut être de repousser de façon définitive les tarifs à 20%
TT : La Chine en revanche a décidé de riposter et on assiste depuis à une escalade de la guerre commerciale.
H.L : Il y a effectivement une sorte de bras de fer qui se met en place entre ces deux puissances mondiales. La plupart des analystes sont d’accord pour dire qu’il n’y aura pas véritablement de gagnants qui en sortiront. Cette escalade peut être extrêmement délétère et néfaste pour les deux économies et pour le monde entier.
TT : Jusqu’où cette surenchère peut-elle aller ?
H.L. : C’est pour l’instant difficile de le prévoir, mais je dirais qu’à partir du moment où les conséquences se feront véritablement ressentir sur les deux économies, il y aura une nécessaire prise en compte de l’opinion publique, mais on en est pas encore là.
TT : Faut-il craindre une chute de la croissance mondiale ?
H.L. : En tout cas, il y a un climat d’incertitude qui s’est installé, ce qui n’est absolument pas bon pour la croissance économique. Il faut distinguer la santé financière sur les marchés d’action et la santé de l’économie mondiale qui elle, de toute façon, va pâtir de ralentissement des échanges. Les entreprises qui investissent recherchent de la certitude dans l’environnement dans lequel elles évoluent. Et cette certitude-là est extrêmement faible actuellement.
TT : D’autant que certaines entreprises sont assez exposées de par leurs chaines de valeur.
H.L : Oui, certaines ont des chaines de valeur qui impliquent soit les États-Unis, soit la Chine. Ces entreprises-là sont impactées fortement et de manière générale dans un climat d’incertitude. C’est aussi mauvais pour les comportements de consommation puisque les consommateurs ont tendance à augmenter leur épargne, donc véritablement je pense que Trump ne prend pas nécessairement la mesure de à quel ce climat d’incertitude peut être délétère à lui seul sur l’économie mondiale.
TT : Apple, Walmart, Ford, Tesla, sont le fruit de liens très forts qui ont été noués au plus fort de la mondialisation, qu’est-ce que ça veut dire concrètement pour ces entreprises ?
H.L : Un exemple relativement parlant, c’est effectivement l’exemple d’Apple avec son iPhone. Il y a déjà eu des tentatives de quantification afin de mesurer ce qu’impliquerait une augmentation des coûts de production puisque les 4/5 des iPhone qui sont consommés aux États-Unis sont fabriqués en Chine. Apple a essayé de se diversifier un peu ces dernières années en installant sa production en Inde et au Vietnam notamment. Mais reconstruire une chaine de valeur ça prend des années. Est-ce qu’ils vont rogner sur leurs marges ? Est-ce qu’ils vont augmenter leurs prix ? Est-ce qu’ils vont essayer de contourner ces droits de douane ? Un certain nombre de stratégies est possible pour ces entreprises, mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour elles.
TT : Ça veut dire que les entreprises américaines ont plus à perdre que la Chine ?
H.L. : Il faut nuancer, la Chine a beaucoup à perdre aussi puisqu’elle dépend tout de même fortement de ses exportations. Mais, la Chine a d’autres moyens de faire pression sur les États-Unis notamment parce qu’‘elle est détentrice de bons du Trésor américain. C’est aussi un fort moyen de pression puisque si la Chine vend massivement des obligations américaines, ça peut assez rapidement mettre ce marché de la dette américaine en à mal et ce qui ne serait vraiment pas une bonne nouvelle.
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