Guerre commerciale : pourquoi la Chine ne lâchera rien

La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s’annonce comme une épreuve d’endurance financière et géopolitique sans précédent. Pékin refuse tout diktat et ne cille pas. Qui craquera le premier ?
Malgré les coups de boutoir de Trump, la Chine, contrairement à certains qui ont déjà mis genou à terre, ne bronche pas. Elle l’a encore dit froidement cette semaine : « L’intimidation ne fonctionnera jamais sur nous. Nous nous battrons jusqu’au bout. » Et même si ce « bout » est une donnée hypothétique, Donald Trump aurait tout intérêt à comprendre que ce bout peut signifier aller loin, très loin.
Une surenchère des deux camps
En réaction à la surtaxe monumentale à 145% imposée par les États-Unis, la Chine a annoncé ce vendredi porter ses droits de douane supplémentaires sur les produits américains à 125%.
«Les droits de douane exorbitants» des États-Unis contre la Chine «ne sont plus qu’un jeu de chiffres dénué de sens économique» et «sont devenus une farce», a affirmé ce vendredi le ministère chinois du Commerce. La Chine a également déclaré qu’elle «ignorera» toute nouvelle hausse de droits de douane américains et annonce le lancement d’une procédure auprès de l’OMC contre les nouvelles surtaxes américaines. Le président chinois Xi Jinping a également appelé vendredi l’Union européenne à se joindre à Pékin pour «résister» à la «coercition».
La Chine promet également un système de licences pour les livraisons de certaines terres rares et la suspension d’achats de sorgho et de volaille de certains fournisseurs. Elle envisagerait aussi de suspendre totalement la coopération sur la lutte contre le fentanyl, de restreindre les achats de produits agricoles américains, de cibler le secteur des services et de limiter le nombre de films américains. Enfin, elle n’exclut pas d’ouvrir des enquêtes sur des entreprises américaines pour violation de la propriété intellectuelle.
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Les droits de douane gelés, sauf pour la Chine
Mercredi 9 avril, alors qu’il a fait volte-face et gelé toutes les nouvelles mesures, il a pris soin de préciser que ce gel ne concernait pas la Chine.
Pas certain que cela soit la bonne technique, puisque la Chine a les moyens, et surtout la détermination, de continuer la loi du talion. Œil pour œil. Dent pour dent. Et ce sont celles de Trump qui risquent de grincer en premier.
Des données récentes de l’agence Bloomberg confirment que Pékin se prépare ardemment pour le combat. Cela fait même six ans qu’elle se prépare à cette éventualité selon Victor Shih, directeur du 21st Century China Center de l’Université de Californie à San Diego, sur CNN.
Ainsi, le gouvernement chinois a limité ses dépenses en début d’année afin de s’assurer un peu de marge. Pékin a également débloqué plusieurs dizaines de milliards pour racheter des actions chinoises en bourse. La Chine a fixé plus bas, et à plusieurs reprises, le cours du yuan. Soit deux manœuvres qui ont pour but d’atténuer l’effet des taxes américaines sur les exportations chinoises.
Prudente, la Chine avait, ces dernières années, pris soin d’élargir son réseau de partenaires commerciaux pour moins dépendre des États-Unis. Les exportations vers les États-Unis représentent aujourd’hui moins de 15 % des exportations chinoises. Elle a aussi réduit les importations américaines, notamment en soja.
La Chine a en outre modernisé sa production industrielle avec l’intelligence artificielle et des robots humanoïdes, et accéléré ses capacités en technologies de pointe, notamment dans les semi-conducteurs.
Une arme de destruction économique massive
Trump aurait également tort d’oublier que la Chine a une arme de destruction économique massive. Elle peut restreindre l’exportation de métaux critiques et de certaines productions sur lesquelles elle a des positions de quasi-monopole. Elle a même une arme atomique d’un point de vue économique : elle détient une partie importante (près de 1 000 milliards de dollars) de la dette américaine. Si elle décide de s’en séparer brutalement, cela ferait grimper les taux payés par l’État fédéral. Une arme qui ne sera cependant utilisée qu’en dernier recours, puisque si elle vend ses bons du Trésor, elle ferait chuter les cours et perdrait beaucoup d’argent.
Qui supportera le mieux la douleur ?
Malgré cela, nul doute que la guerre commerciale va faire mal des deux côtés. On parle tout de même d’une relation commerciale de évaluée à environ 500 milliards de dollars. Et si la relation est certes déséquilibrée, elle est aussi fortement intégrée.
Déjà avec l’augmentation des droits de douane au-delà de 125 %, les exportations chinoises vers les États-Unis pourraient être réduites de plus de moitié dans les années à venir, selon CNN. Or beaucoup de produits chinois ne pourront pas être facilement remplacés, ce qui entraînera une hausse des prix pour les consommateurs américains. Cela pourrait se traduire par une augmentation d’impôts indirecte de près de 860 milliards de dollars pour les Américains, selon les analystes de JP Morgan.
En Chine, une grande partie des fournisseurs pourrait voir leurs marges déjà faibles s’évaporé complètement. De quoi entraîner délocalisation des usines, faillites et perte de millions d’emplois à travers la Chine, selon Victor Shih, directeur du 21st Century China Center de l’Université de Californie à San Diego. La Chine pourrait ainsi perdre jusqu’à 3 % de son PIB.
Beaucoup va dépendre de quel pays saura le mieux gérer la grogne de sa population. Et autant dire qu’à ce niveau, la Chine a d’autres « techniques » que les USA. La propagande d’État a ainsi réussi à faire adhérer une grande partie de la population chinoise à l’idée que les États-Unis veulent empêcher la Chine de se développer. À cela s’ajoutent aussi des lobbys économiques moins puissants. De façon cynique, elle a donc une longueur d’avance. Ce qui ne la rend pas invulnérable pour autant.
Une Chine déterminée, mais pas invulnérable
La crise immobilière, une mauvaise gestion de la crise du Covid et des marchés qui souffrent ont fait que le gouvernement a du mal à stimuler une consommation intérieure atone. Une consommation pourtant essentielle pour rendre l’économie chinoise plus résiliente aux aléas économiques.
Ensuite, trouver d’autres débouchés pour les exportations risque de ne pas être si simple. L’Europe, et même la Russie, sont peu enclines à ouvrir encore plus leurs marchés aux produits chinois. « Nous ne pouvons pas absorber la surcapacité mondiale, et nous n’accepterons pas non plus le dumping sur notre marché », a ainsi rappelé Ursula von der Leyen.
Enfin, si la Chine dévalue trop le yuan pour booster ses exportations, cela risque de provoquer une fuite des capitaux et de se mettre ses autres partenaires commerciaux à dos.
Sauf que si les faiblesses de la Chine sont réelles, elle ne peut être complètement étouffée economiquement. “Les États-Unis ne pourront pas, à eux seuls, pousser l’économie chinoise au bord de la destruction”, selon Scott Kennedy, conseiller principal au Center for Strategic and International Studies, un think tank américain toujours sur CNN. .
Pas vraiment le choix
De toute façon, la Chine n’a pas le choix. Elle doit tenir bon. À cause de son déficit commercial, mais pas seulement. Il y a aussi une question de dignité. L’attitude américaine, qui souhaite mettre en scène une forme de soumission, rend tout compromis tout simplement inconcevable pour Xi Jinping.
« Ils m’embrassent les fesses », a ainsi dit Trump lors d’un gala en parlant des pays auxquels étaient imposés les nouveaux droits de douane. Ce n’est effectivement pas le meilleur moyen d’entamer une négociation avec un pays où garder la face n’est pas qu’un vague concept.
D’autant plus que Pékin a attisé un nationalisme fervent autour de sa riposte. Une stratégie que le régime prépare discrètement depuis plus de quatre ans et le premier mandat de Trump. Trump fait donc presque le jeu de Xi, puisque, selon plusieurs observateurs, la Chine ne se contente pas de répliquer. Elle entend utiliser le chaos commercial semé par Trump pour renforcer sa propre position.
Quoi qu’il en soit, avec cette nouvelle escalade, la rupture entre la Chine et les États-Unis semble consommée. La Chine se dit désormais prête à un découplage presque total avec les États-Unis. Ou tout du moins, elle parraît déterminée à le faire. Car la Chine reste persuadée que Trump bluffe. Peut-être. Mais en attendant, la pression monte.
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