Giorgia Meloni : miracle économique ou mirage ?

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Muriel Lefevre

Derrière la « Meloni mania », les dettes abyssales, la précarité sociale et la population vieillissante rappellent que le succès italien pourrait n’être qu’un feu de paille.

Giorgia Meloni est au pouvoir depuis bientôt trois ans. Ce qui relève déjà d’un exploit en Italie. À son arrivée à la tête du gouvernement, il paraissait statistiquement improbable qu’elle tienne plus de deux ans : depuis la Seconde Guerre mondiale, les exécutifs italiens ne survivent en moyenne qu’un an.

La Meloni mania

Portée par sa coalition avec la Lega et Forza Italia, la cheffe de Fratelli d’Italia a déjoué les statistiques conservé une assise solide. Élue en septembre 2022, elle a franchi le cap des mille jours avec une popularité oscillant entre 34 et 46 %. Jouant à fond la carte de l’italianité, Meloni séduit en interne et à l’international. Mais elle divise aussi. Héroïne d’un redressement budgétaire pour les uns, illusionniste d’une économie sous perfusion pour les autres.

Un déficit en baisse

Réduire le déficit tout en baissant les impôts : telle a été la stratégie atypique du gouvernement Meloni. Et les chiffres, à première vue, sont flatteurs.

Le déficit public est passé de –8,1 % du PIB en 2022 à –3,4 % en 2024. À titre de comparaison, le déficit belge devrait passer de 4,5 % du PIB en 2024 à 5,4 % en 2025, selon le Bureau fédéral du Plan.

Ce petit miracle n’a pas pour unique crédit les mesures de Meloni. Il doit beaucoup au fait qu’une grande partie de la dette italienne est détenue par les ménages eux-mêmes, dont le patrimoine net représente 216 % du PIB. Grâce à cet excédent d’épargne, à ses excédents commerciaux, au dynamisme de son tourisme et à ses investissements extérieurs, l’Italie reste un créancier net à hauteur de 225 milliards d’euros (10 % du PIB).

Le pari du “Made in Italy”

Avec pragmatisme, Meloni a valorisé le « made in Italy », séduisant artisans, commerçants et industriels, en combinant protectionnisme et ouverture ciblée aux marchés étrangers. Les petites et moyennes entreprises, colonne vertébrale de l’économie italienne, ont ainsi bénéficié d’allègements fiscaux et de dispositifs incitatifs à l’investissement.

Merci Draghi… et Bruxelles

Meloni a tendance à minimiser cet aspect, mais l’Italie profite aussi largement de l’héritage de Mario Draghi, dont les réformes ont relancé la machine après le Covid. Et surtout des 200 milliards d’euros du plan de relance européen, qui ont alimenté croissance et influence diplomatique.

Le feuilleton de la taxe bancaire

Parmi les mesures emblématiques lancée par Meloni, on pointera la taxe de 40 % sur les superprofits bancaires. Annoncée en août 2023, elle a marqué les esprits. Mal préparée, elle a déclenché une panique à la Bourse de Milan avant d’être amendée deux fois en 24 heures. Finalement édulcorée, elle n’a rapporté qu’une fraction des 3 milliards d’euros initialement annoncés.

Loin d’être morte et enterrée, l’idée refait surface ces derniers jours. Le gouvernement envisage de nouveau de mettre les banques à contribution pour boucler son budget. Matteo Salvini et Giancarlo Giorgetti ont confirmé l’idée : chacun devra participer à l’effort national. Avec 25 milliards d’euros de bénéfices combinés pour les sept plus grandes banques en 2024, le secteur reste une cible privilégiée.

Un bilan en clair-obscur

Derrière l’indubitable embellie économique sous Meloni, les fragilités de l’Italie sont bien présentes. La croissance a ralenti en 2025, et le deuxième trimestre a même enregistré une contraction. Le chômage, tombé à 6,3 % en juin, est reparti à la hausse. La dette publique, colossale, atteint 137,9 % du PIB (plus de 3 000 milliards d’euros), derrière la Grèce (153,6 %), mais devant la France (113 %). La Belgique, avec 104,7 %, figure aussi parmi les pays les plus endettés de la zone euro.

Le vieillissement accéléré et la faible natalité aggravent le problème, tandis que les politiques migratoires restrictives de Meloni empêchent toute compensation démographique.

Sur le plan social, la situation reste tendue : en 2024, 23,1 % des Italiens étaient menacés de pauvreté ou d’exclusion, un chiffre en hausse. La suppression du revenu de citoyenneté, remplacé par un dispositif plus limité, fragilise encore les plus modestes.

Enfin, la dépendance vis-à-vis des fonds européens, qui prendront fin en 2026, laisse planer une incertitude sur la solidité du redressement.

Miracle ou mirage ?

Meloni avance avec prudence. Trop, disent certains. Elle engage des réformes ciblées, notamment dans la justice, mais retarde les changements institutionnels de fond. Soucieuse de préserver son image et de ménager l’influent président de la République, elle semble attendre les prochaines élections pour disposer d’une majorité renforcée et tenter des réformes de plus grande ampleur. Mais à trop miser sur des coups d’éclat budgétaires et des recettes temporaires, le « miracle » Meloni pourrait bien, demain, tourner au mirage.

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