“Gilets jaunes”, cinq ans après: un mouvement à l’état de spectre

Cinq ans après la révolte des “gilets jaunes”, qui avait vu des centaines de milliers de personnes se soulever contre la politique d’Emmanuel Macron, la colère couve encore en France, mais le mouvement populaire s’est largement étiolé, laissant place à une certaine résignation.

Tout part d’un appel sur les réseaux sociaux, pour protester contre la hausse programmée d’une taxe sur les carburants: le 17 novembre 2018, la première mobilisation rassemble près de 300.000 personnes dans les petites villes et le monde rural, en dehors des partis et syndicats. Blocages de routes et ronds-points, manifestations tous les samedis… Rapidement, les revendications s’élargissent aux salaires, pouvoir d’achat, aux factures énergétiques et autres injustices sociales et fiscales, sur fond de crise de la représentativité politique.

C’est le début d’une vaste contestation qui va durer plus d’un an, et connaître plusieurs flambées de violences, ainsi qu’une brutale répression policière. La force du mouvement a été de “donner de l’espoir aux gens qui ne croyaient plus en rien, à un moment où il y avait un grand flop niveau syndical”, se souvient avec nostalgie une ex-“gilet jaune” de 57 ans, Hélène Elouard, alors accompagnante d’élèves en situation de handicap pour 600 euros par mois.

Macron cristalisse le ressentiment

Emmanuel Macron cristallise leur ressentiment. Issu de l’ENA, prestigieuse école de la technocratie française, et du monde très droitier de la banque d’affaires, il est le “président des riches”, selon ses détracteurs. Eux comptent beaucoup d’artisans, de salariés, hommes et femmes de toutes générations, souvent précaires et issus de cette France dite “périphérique”, en marge des élites urbaines. Le mouvement, hétéroclite, agrège également des figures controversées et complotistes.

Certains épisodes ont laissé des traces indélébiles. Comme cette visite crépusculaire du chef de l’Etat, hué et insulté par des manifestants début décembre 2018 au Puy-en-Velay (centre), où la préfecture avait été incendiée quelques jours auparavant. “Ca l’a changé, c’est certain”, constate Bruno Cautrès, chercheur à Sciences Po, pour qui “il y a un avant et un après”. M. Macron “n’a jamais retrouvé ce sentiment que tout lui réussissait “, insiste ce politologue, observant que ce “point de cassure” a été suivi d’un “enchaînement de crises sans fin”, du Covid-19 à l’Ukraine jusqu’au conflit au Moyen-Orient.

Après avoir dans un premier temps ignoré les revendications, le président français finit par abandonner la hausse de la taxe sur les carburants et consent à 10 milliards d’euros de réductions d’impôts et d’augmentations de revenus. Il sillonne aussi le pays pour écouter les frustrations des électeurs lors de débats publics, qui ne déboucheront finalement pas sur grand-chose.

“Menace latente”

Les protestations du samedi s’essoufflent à partir du printemps 2019. Si les “gilets jaunes” ne parviennent pas à s’inscrire dans la durée, c’est notamment parce qu’ils n’ont pas réussi à “trouver ou construire un prolongement institutionnel à leur mobilisation”, analyse Stéphane Sirot, historien des mouvements sociaux.

“On les voit ressurgir ici ou là dès lors qu’il y a des manifestations mais ils se sont quand même largement évaporés et ne constituent pas un contre-pouvoir pérenne”, observe-t-il. Exemple de cet échec cuisant, les listes estampillées “gilets jaunes” n’ont pas totalisé 1% aux européennes de 2019. Et Emmanuel Macron a été réélu en 2022.

Cinq ans plus tard, d’anciens “gilets jaunes” confient leur amertume et le sentiment de résignation qui domine, alors que les raisons de leur colère sont toujours là, entre inégalités et inflation record. “J’ai participé à tout, blocages, tractages, manifestations. J’ai espéré un avenir meilleur pour mes enfants, une retraite valorisée pour ma mère. J’ai sacrifié beaucoup de temps et d’argent”, raconte Stéphane Gonzalez, un ancien auto-entrepreneur du bassin d’Arcachon (sud-ouest). Pour lui, “la situation est aujourd’hui plus catastrophique qu’en 2018, sauf que plus personne ne bouge. Les gens sont las, résignés, désabusés.”

La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, dont la mesure phare était le très impopulaire allongement de l’âge de départ, a de nouveau jeté des centaines de milliers de Français dans les rues cette année. Générant de brèves éruptions de violence, notamment suite au passage en force de l’exécutif à l’Assemblée sur ce sujet.

Signe que l’embrasement n’est jamais loin en France, le pays a aussi connu une semaine d’émeutes nationale l’été dernier après le meurtre par des policiers d’un jeune en banlieue parisienne. “Ce mouvement n’a pas disparu corps et âme”, souligne Jérôme Fourquet, de l’institut de sondage Ifop. “Il survit à l’état de spectre, de menace latente présente à l’esprit des responsables politiques.”

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