France : “C’est le symptôme d’une crise majeure”

François Bayrou © ©PHOTOPQR/LE PARISIEN/Olivier CORSAN ; ; 25/08/2025 ; Paris, France, le 25 août 2025.
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour l’économiste Christian Saint-Etienne, la politique d’Emmanuel Macron, qui a mobilisé l’argent public pour soutenir la consommation et la protection sociale, et plus largement la paresse intellectuelle de la classe politique sont les causes des problèmes budgétaires du pays.

Nous voilà à quelques heures du vote de confiance qui va fixer en France l’avenir du gouvernement de François Bayrou. L’Assemblée nationale se réunit en effet ce lundi 8 septembre. Tout laisse penser que le gouvernement actuel n’obtiendra pas la confiance. En coulisses, des jeux multiples se déroulent pour tenter de reconstruire une majorité. Ou? En tout cas un bloc suffisamment fort pour porter un nouveau gouvernement. Le camp du Président Emmanuel Macron essaie d’amadouer une partie de la gauche (le PS). Elle sonde aussi les intentions de l’extrême droite et du Rassemblement national de monter au pouvoir.

Christian Saint-Etienne est économiste. Il a enseigné notamment à Sciences Po, à l’université de Paris-Dauphine ou au Conservatoire national des Arts et Métiers. Il vient de publier chez Odile Jacob un essai (Trump et nous). Nous lui avons demandé ce que lui inspirait cette crise politique et budgétaire.

Une idéologie radicalement fausse

« C’est le symptôme d’une crise majeure, structurelle en France, sur la qualité de la dépense publique d’une part, et sur le rôle de cette dépense. Par idéologie, la gauche, mais aussi une large partie de la droite, a considéré depuis 50 ans que la dépense publique pouvait créer de la richesse. Si c’était le cas, la France, qui a le ratio de dépenses publiques au PIB le plus élevé au monde, serait le pays le plus développé de la planète. Ce n’est pas le cas. La dépense publique ne crée pas la richesse. Elle peut certes la permettre, par l’éducation de la population, si cette éducation est de haut niveau, par les infrastructures et par l’encouragement à l’innovation. Mais elle ne crée pas la richesse. »

Pour l’économiste, la classe politique française a donc construit depuis un demi-siècle une armature idéologique « radicalement fausse ». « Et nous ne sommes pas aidés en France par la nature des médias, poursuit Christian Saint-Etienne. Nous avons des journalistes en France qui sont très majoritairement à gauche, alors qu’actuellement, les sondages et les analyses montrent que la France est au moins à droite à 55 %, voire plus. Les médias non seulement ne représentent pas les attentes de la population, mais continuent de déstructurer la compréhension des problèmes dans la mesure où ils partagent cette vision d’une dépense publique qui crée la richesse et d’un déficit qui n’est jamais vraiment grave. »

Les médias français, pas tous gauchistes

Bon, on pourrait rétorquer qu’avec Europe 1, CNews, ou Valeurs Actuelles, ou avec, dans un camp plus classique, Le Figaro, Le Point, Challenges ou Les Echos, les médias français ne sont pas tous gauchistes.

« Si vous prenez les grands médias, la télévision et la radio publique, les grands journaux dits de référence comme Le Monde ou Libération, il y a certes une petite évolution depuis dix ans, parce que les faits finissent toujours par s’imposer, répond Christian Saint-Etienne. Mais quand vous lisez les textes, vous voyez qu’il y a toujours une réticence à reconnaître que seules les entreprises créent la richesse marchande. Que si nous voulons un pays qui fonctionne bien, il faut des services publics qui soient très efficaces et notamment, c’est fondamental, dans l’éducation et la santé. Nous avons besoin d’une population très bien éduquée et en très bonne santé pour pouvoir fonctionner dans une économie extrêmement mobile », souligne-t-il.

Les Etats-Unis financent leurs visées impériales

On pourrait observer aussi que la France n’est pas le seul pays très endetté. Les finances publiques de la Chine, des Etats-Unis, et de nombreux pays européens, dont le nôtre, ne sont pas florissantes.

« Sans doute, mais le déficit budgétaire aux Etats-Unis, en France ou en Allemagne n’a pas les mêmes origines », explique l’économiste. Le déficit américain vise entre autres à financer un changement radical de doctrine géopolitique, depuis l’arrivée de Donald Trump, d’abord en 2016, puis à nouveau en 2025.

« Dans sa nouvelle approche, Trump promeut une vision impériale. Il dit : «  le Canada est à moi, le Groenland est à moi, le Panama est à moi…. » C’est la négation absolue de tout ce que les Américains ont voulu construire pendant le XXᵉ siècle. Ce qu’on ne sait pas à ce stade, c’est si ce changement va être encouragé ou sanctionné par les électeurs américains aux élections de mi-mandat de novembre 2026. On ne sait pas non plus si ce changement majeur sera durable. »

Comment réagira le bloc « géostratégique » ?

Comment réagiront en effet les entreprises, les électeurs, et le bloc « géostratégique » dirigé par le Pentagone et les commissions de la défense du Sénat et de la Chambre ? « Ce dernier bloc sait que la destruction du rôle des États-Unis dans le développement d’un Etat de droit mondial, qui servait les intérêts américains et qui avait été bâti depuis la déclaration de San Francisco de 1945,  est catastrophique pour les États-Unis. Cet Etat de droit mondial sous contrôle américain était un moyen de contrôle, y compris des ennemis des Etats-Unis. En adoptant une politique impériale, Trump se met au même niveau de moralité et de bassesse que ce qu’on peut attendre de Poutine ou de Xi Jinping. Le déficit américain vise désormais à financer cette évolution impériale catastrophique pour les États-Unis et pour le reste du monde. De ce point de vue, MAGA (Make America Great Again) va devenir MASA (Make America Small Again). »

Emmanuel Macron a gonflé la dette de mille milliards

Le déficit en France est d’une autre nature. « Il est, poursuit Christian Saint-Etienne, lié à l’excès de protection sociale et aux mauvaises décisions prises sous Emmanuel Macron qui est quand même largement responsable de l’augmentation de la dette publique de 1.000 milliards d’euros à lui tout seul (la dette publique française atteint 3.300 milliards, NDLR). »

Mais cette dette n’a pas été mobilisée au service d’une politique de réarmement, d’innovation pu de réindustrialisation. « Essentiellement, le déficit français finance la consommation et la protection sociale, déplore l’économiste. C’est désastreux. En Allemagne, le retour du déficit va financer le réarmement et l’innovation. On ne peut pas se contenter de regarder les ratios de déficits. Il faut regarder la nature des dépenses ».

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