Fox News et le prix du mensonge
787,5 millions de dollars. C’est ce que va devoir payer la sulfureuse chaîne Fox News pour ses mensonges. Les intox proférées pendant le chaos de la présidentielle de 2020 vont donc lui coûter très cher. Si la somme faramineuse ne met pas cette chaîne incontournable en faillite, la pilule n’en reste pas moins amère à avaler. D’autant plus que d’autres soucis obscurcissent son horizon. De quoi aider la lutte contre la désinformation et les théories du complot ? Les experts restent prudents.
Mardi, l’annonce d’un accord à l’amiable prévoyant que Fox News verse la somme faramineuse de 787,5 millions de dollars (718 millions d’euros) au fabricant de machines de vote électronique Dominion Voting Systems, a été rapportée sobrement dans les flashes d’information de la chaîne la plus regardée du câble américain. Il n’a ainsi été couvert que trois fois par Fox News dans les quatre heures qui ont suivi sa publication. Ce qui représente un total d’environ six minutes d’antenne. Pourtant c’est une information de taille. Il s’agirait, selon les médias américains, de l’une des sommes les plus élevées déboursées par un accusé dans une affaire de diffamation. Une somme qui représente tout de même un peu plus que deux fois les profits de l’ensemble du groupe Fox au quatrième trimestre 2022.
Pas de procès trash ni d’excuses publiques
Cette transaction financière couteuse permet cependant à Fox News d’éviter un procès retentissant de six semaines. Voire « le procès en diffamation du siècle », comme l’a qualifié le New York Times. Il épargnera aussi au magnat des médias Rupert Murdoch (92 ans), propriétaire de sa maison mère, Fox Corporation, un probable témoignage à la barre. Cet accord offre aussi le gros avantage d’épargner à la chaîne des excuses publiques pour avoir offert du temps d’antenne à la théorie, fausse, d’une présidentielle de 2020 truquée en faveur des démocrates, grâce aux machines de Dominion Voting Systems. L’entreprise, dont les machines fonctionnaient dans 28 États pendant la présidentielle remportée par Joe Biden, était la bête noire de Donald Trump. Lui et sa garde rapprochée accusaient, sans preuve, l’entreprise d’avoir servi à truquer le scrutin.
Pas la faillite, mais une punition de taille
Il n’empêche que l’addition que Fox News devra régler est “sans précédent”. Elle représente “à elle seule une punition de taille”, explique toutefois à l’AFP Mark Feldstein, professeur de journalisme à l’université du Maryland. L’analyste de Morningstar, Neil Macker précise cependant que “l’entreprise dispose de ressources suffisantes pour couvrir le paiement (dû à Dominion), avec plus de 4 milliards de dollars en liquidités au mois de décembre 2022. Nous considérons Fox News comme le joyau de la couronne parmi les actifs” de sa maison mère Fox Corporation, poursuit-il, ajoutant que la chaîne “a bénéficié de l’atmosphère controversée de l’administration Trump et du fossé politique grandissant entre” républicains et démocrates. La somme représente un peu plus que deux fois les profits de l’ensemble du groupe Fox au quatrième trimestre 2022.
Neil Macker nuance pourtant : “bien sûr, même cette énorme somme ne mettra pas Fox News en faillite, et la chaîne pourrait recommencer à répandre des mensonges, en considérant cette pénalité comme un coût d’exploitation. Mais il est tout aussi probable que Fox News soit plus prudente à l’avenir”. D’autant plus que la chaîne et sa maison mère voient se profiler une autre affaire à l’horizon. En parallèle de Dominion, une société similaire, Smartmatic, elle aussi dans le viseur du camp Trump en 2020, poursuit Fox News en diffamation à New York et réclame 2,7 milliards de dollars de réparations (2,4 milliards d’euros). “Dominion a révélé une partie des méfaits et des dommages de la campagne de désinformation de Fox. Smartmatic exposera le reste”, a promis l’entreprise mardi.
Et Dominion ne compte pas s’arrêter là. Après Fox, la société poursuit Mike Lindell, un magnat de la literie et ami de Donald Trump. Lindell est aussi l’un des principaux financeurs des mensonges sur les machines électorales piratées. Et il se trouve qu’il a aussi été l’un des plus gros annonceurs de la Fox.
Si on ajoute à cela l’amende record de 965 millions de dollars infligée à Alex Jones, l’animateur de la chaîne de fausses nouvelles Infowars, il y a de quoi encourager d’autres médias à diffuser les théories du complot avec moins d’empressement.
Une chaîne incontournable
La chaîne, lancée en 1996 pour concurrencer CNN, reste solidement installée à la première place du câble. Le modèle de la chaîne repose justement sur une offre alternative proposée aux conservateurs américains, qui jugent ses concurrentes CNN ou MSNBC trop modérées ou trop à gauche.
Or, “on a vraiment l’impression que Fox News est en sursis auprès d’un grand nombre de ses téléspectateurs, à l’affût de signes indiquant que la chaîne les trahira ou trahira Donald Trump”, explique Nicole Hemmer, professeure associée d’histoire à l’université Vanderbilt. “L’effet le plus probable de cette situation sera que la chaîne veillera à ne pas trop s’écarter des souhaits de son public”, ajoutait cette spécialiste des médias conservateurs.
Selon la plainte de Dominion Voting Systems, c’est aussi parce qu’elle craignait d’être débordée sur sa droite, par des concurrents comme One America News ou Newsmax, qu’elle a donné du crédit à la thèse de l’élection volée en 2020. Ce que Fox News dément, affirmant avoir donné la parole au camp Trump parce que c’était légitime pour un média d’information.
Néanmoins, selon des messages internes que Fox a dû publier dans le cadre du procès, le patron de Fox, Rupert Murdoch, et ses vedettes de la télévision savaient parfaitement qu’ils propageaient des mensonges. En coulisses, ils qualifiaient les théories du camp Trump de “folles”, “dérangées” et de mensonges “préjudiciables”. Ce qui ne les a pourtant pas empêchés de continuer, à l’écran, à colporter les allégations infondées de fraude électorale et dans l’espoir de maintenir l’audimat. Un audimat qui s’est d’ailleurs effondré après que la chaîne a déclaré Joe Biden vainqueur dans l’État crucial de l’Arizona le soir de l’élection. Pourtant, plus de deux ans plus tard et malgré la défaite de Trump, Fox News n’a pas implosé. Et les réseaux sociaux ou chaînes pro-Trump stagnent. Ainsi la chaîne News Max reste loin derrière les 2,1 millions de Fox News. Et Truth Social, le réseau social de Donald Trump n’affiche lui « que » 513 000 utilisateurs actifs quotidiens.
Une chose surprenante est cependant sortie du rapport. Il existe même chez un puissant magnat des médias une certaine peur de contrarier Trump. Rupert Murdoch a pourtant été qualifié par Joe Biden « d’homme le plus dangereux du monde».
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