Une chronique d’Amid Faljaoui.
On parle beaucoup de chars, de drones, de lignes de front. Mais le vrai rapport de force, aujourd’hui, ne se joue pas dans les tranchées ou dans les airs. Il se joue dans les comptes européens. En effet, depuis 2022, l’Union détient près de 200 milliards d’euros appartenant à la banque centrale russe, gelés au lendemain de l’invasion. C’est un trésor colossal. Un levier historique. Une arme financière sans équivalent. Et pourtant… l’Europe n’en fait rien.
Pourquoi ? Parce que 90 % de cet argent est logé chez la banque Euroclear, à Bruxelles. Et la Belgique a peur. Une peur rationnelle. Imaginez : si un tribunal, un jour, donne raison à Moscou ou si les sanctions contre la Russie tombent demain ou après-demain, Euroclear – et donc l’État belge – pourrait devoir rembourser la Russie. Autrement dit : la Belgique craint de se retrouver seule, exposée, condamnée à payer une note qui n’est pas la sienne. Et ça, aucun gouvernement responsable n’accepte cela les yeux fermés. Et voilà pourquoi Bart De Wever tient tête aux autres pays européens. Il ne veut pas que la Belgique soit le dindon de la farce !
Dans le même temps, les Etats-Unis, eux, avancent sans timidité. La dernière proposition dans le cadre du plan de paix de Donald Trump voulait récupérer la majorité des avoirs pour créer deux fonds d’investissement… mais sous contrôle américain. Les profits auraient bénéficié à Washington et pas à l’Europe, alors même que l’argent se trouve ici, à Bruxelles. Donc, si on laisse faire Trump, c’est l’Europe qui a les avoirs russes, mais ce sont les Etats-Unis qui pourront l’utiliser. Ce serait un drame pour l’Europe.
Justement, de son côté, l’Union européenne refuse de confisquer purement et simplement l’argent russe. Et elle a raison : saisir des avoirs souverains serait un précédent bancaire très dangereux. Motif ? Mais parce que cela enverrait le signal au monde entier que laisser son argent en Europe est dangereux car à tout moment il peut être confisqué en cas de guerre ou de litige.
Mais c’est vrai qu’entre l’inaction totale et la confiscation brutale, il existe une voie médiane. Une voie intelligente : utiliser ces avoirs russes comme garantie, et donc, sans toucher à la propriété.
En clair : avancer maintenant 140 milliards à l’Ukraine, avec les revenus et la valeur des actifs gelés comme couverture, comme garantie. Techniquement, les fonds restent russes. Mais ils deviennent un outil de financement massif et stable pour Kiev.
Voilà pour la solution préconisée par certains experts. Mais alors, comment débloquer la situation ? Deux solutions simples existent:
D’abord, l’Union européenne doit s’engager à indemniser la Belgique en cas de problème. Pas par bonté d’âme, mais par simple justice : si les avoirs sont européens, les risques doivent l’être aussi. La Belgique ne peut pas être le seul pare-feu juridique d’un continent entier. Inutile de vous dire que pour le moment, cette garantie, aucun pays d’Europe ou presque ne veut la donner à la Belgique
D’où la deuxième solution préconisée : on transfère ces avoirs russes dans une structure européenne dédiée et située dans un autre État membre, pour gérer ces actifs hors du territoire belge.
Une sorte de coffre-fort juridique où l’argent russe serait logé, sécurisé, mutualisé. C’est techniquement faisable. C’est légal et c’est réaliste. Au fond, ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la solution, elle est connue, elle est prête, elle est praticable.
Ce qui manque, c’est la décision européenne.
Disons-le clairement : notre pays, la Belgique n’est pas le problème. La Belgique signale juste le problème : l’Europe doit agir ensemble, et ne pas laisser un État membre porter seul le risque du continent.
Mais pour l’instant, même ça, l’Europe n’arrive pas à le faire. Et pendant ce temps, Trump lui agit et nous risquons de voir cet argent russe servir uniquement les intérêts américains.