Derrière Trump, il y a la nostalgie du « Gilded Age » américain

US President Donald Trump speaks during a bilateral meeting with French President Emmanuel Macron on the sidelines of the United Nations General Assembly in New York City on September 23, 2025. Ludovic MARIN / AFP
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Anthropologue, Dominique Desjeux décrypte les logiques derrière les décisions apparemment chaotiques du président américain. Une de celles-ci est l’appel au retour de l’âge d’or de la seconde moitié du XIXe siècle, l’époque de la conquête de l’Ouest et des barons voleurs.

Y a-t-il quelque chose à comprendre du flot de décisions chaotiques qui coule de la Maison-Blanche?  « Comme anthropologue,  je cherche la rationalité de ce qui paraît irrationnel d’un point de vue économique, scientifique ou technique, répond Dominique Desjeux, professeur émérite d’anthropologie à la Sorbonne. Et dans le cas de Trump, nous pouvons repérer deux ou trois grandes logiques », dit-il.

Renverser la vapeur

La première repose sur une prise de conscience, aux États-Unis, d’un rapport de force économique et géopolitique devenu défavorable.

« Depuis l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, les Américains espéraient accéder à un marché de 1,4 milliard de personnes, avec une classe moyenne estimée entre 200 et 400 millions d’individus.  La logique est donc de dire : il faut renverser la vapeur par rapport à l’ordre mondial libéral mis en place par les Américains après 1945 avec le GATT, le FMI et toutes les institutions qui étaient favorables au développement de la croissance américaine,  mais qui devient défavorable à partir de 2000 », explique Dominique Desjeux.

Le temps des barons voleurs et des droits de douane

La deuxième logique s’ancre dans un imaginaire historique : celui du « Gilded Age », l’âge doré une période de croissance fulgurante aux États-Unis entre la fin de la guerre de Sécession (1865) et 1900. C’est la période des barons voleurs (les puissants industriels qui ont constitué en peu de temps des fortunes colossales dans le pétrole, les chemins de fer, l’immobilier…), qui se caractérise par la corruption, de fortes inégalités, des violences, le goût du clinquant pour ceux qui sont en haut de la hiérarchie sociale.

« Le Gilded Age est l’imaginaire central pour comprendre Donald Trump parce que c’est l’époque où il n’y a pas d’impôt sur les revenus : il n’y a que des droits de douane, souligne Dominique Desjeux. Pour Donald Trump, c’est donc un âge d’or. Le Gilded Age est pourtant une période humainement très dure,  fondée sur un génocide (celui des populations amérindiennes, NDLR), sur la corruption, sur le « spoil system », le clientélisme ».

Et il se caractérise par le goût pour le rococo, le même que l’on retrouve aujourd’hui dans le bureau ovale de Donald Trump ou dans son domaine de Mar a Lago. «  Ce qui est intéressant, c’est ce clientélisme que l’on retrouve aujourd’hui dans ce que l’on peut appeler un État patrimonial.  Avec Donald Trump, nous ne savons pas très bien où se trouve la différence entre l’État fédéral, son porte-monnaie,  celui de sa famille et celui de ses copains. Les  barons voleurs d’alors, concentrant pouvoir et influence, font penser aux GAFA aujourd’hui.  »

Un modèle tributaire

Une troisième logique est portée notamment par Stephen Miran, le principal conseiller économique de Donald Trump, qui siège désormais à la Réserve fédérale.

« Il considère que les États-Unis sont en position de faiblesse, et doivent capter les ressources des « périphéries » (pays alliés ou partenaires) pour renforcer leur position. Cette stratégie s’écarte de la tradition libérale ou libertarienne américaine, qui prône la libre circulation des biens et une limitation du rôle de l’État », constate Dominique Desjeux, qui poursuit : « Cette logique s’inspire de celle de l’Empire chinois historique, où les territoires périphériques offraient des « cadeaux » à l’empire. C’est un  modèle historique très connu qu’on appelle un modèle tributaire. Il n’est pas besoin d’avoir des colonies. On oblige simplement par la menace – menace d’augmenter les droits de douane, menace militaire… –  a ce qu’on vous apporte des cadeaux. L’Europe doit ainsi donner un tribut : payer 15 % de droits de douane,  investir 600 milliards… »

 Au-delà de ces logiques économiques et historiques, le phénomène Trump s’appuie aussi sur un populisme émotionnel puissant, ancré dans un imaginaire messianique. Trump se présente aux Américains comme un sauveur face à un monde perçu comme menaçant.

Vocabulaire émotionnel

« Il y a une espèce de mythologie ou un imaginaire religieux. Donald Trump est le futur messie, il a tenté un coup d’État,  il a perdu. Mais il va revenir. Et quand par un coup du sort il est victime d’un attentat, qui l’a juste blessé, il ressort encore plus fort », souligne Dominique Desjeux.

« Ce côté messie s’accompagne d’un côté show man. Il  utilise un vocabulaire purement émotionnel : je suis déçu, ce sont des méchants… Un vocabulaire qui parle à des gens qui sont eux-mêmes angoissés et qui renforce un sentiment de paranoïa. Et le sauveur, c’est Trump ». Ce n’est donc pas pour rien que Donald Trump  bénéficie du soutien des mouvements évangéliques.

Un messie américain

Pour l’anthropologue, ce mélange de messianisme et d’appel aux émotions « est la base des discours populistes. Le populisme a toujours deux faces. Il parle des vrais problèmes des gens. Mais il propose en général une solution qui n’est pas la bonne, en partant dans l’imaginaire et l’émotionnel, comme dans les religions. Pour moi, les religions resteront toujours parce qu’elles constituent une façon d’expliquer les bonheurs et les malheurs du quotidien. Chez Donald Trump, ce populisme émotionnel, extrêmement autoritaire, fonctionne très bien. C’est assez violent, mais ça plaît. Il y a aussi une révolution conservatrice derrière ça, une révolution familiale que l’on retrouve dans de très nombreux pays, parce que les gens ont la nostalgie d’une famille qui probablement n’a jamais existé ».

 Enfin, un autre discours utilisé par le président américain est celui de l’homme d’affaires. « Quand il parle de l’occupation de l’Ukraine en Crimée ou de Gaza comme une future Riviera, on se dit que nous ne vivons pas dans le même monde, mais cela parle, explique Dominique Desjeux. Car les deux grands pôles qui  soutiennent culturellement Donald  Trump sont la fraction religieuse et le monde des affaires. »

Optimiste malgré tout

Le régime mis en place par Donald Trump n’est pas un accident momentané. « Bolsonaro jusqu’il y a peu au Brésil, Modi en Inde, Xi Jinping en Chine, Poutine en Russie…la tendance, si on la regarde sur 25 ans, est plutôt à la fin à la diminution des régimes démocratiques et à une montée des régimes de type autoritaires ou totalitaires, avec des variations, tout cela soutenu par la technologie numérique (reconnaissance faciale, empreintes biométriques…) » avertit Dominique Desjeux. La subsistance d’un régime parlementaire démocratique nous protège encore un peu. Mais les techniques sont là, il suffit que le régime change. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé aux États-Unis avec Elon Musk et son équipe de geeks qui ont pu réaliser un coup d’État numérique.

La peinture est sombre. Mais paradoxalement, Dominique Desjeux se dit « plutôt optimiste ». « Malgré cette analyse un peu catastrophiste, j’ai espoir qu’on trouvera des solutions, dit-il. Car lorsque l’on se plonge dans l’histoire, à chaque fois qu’arrivent des périodes de grand changement, nous voyons émerger de multiples initiatives. Aujourd’hui, nous voyons surgir des innovations autour du réchauffement climatique pour essayer de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Les Chinois font par exemple d’énormes efforts pour décarboner leur activité alors qu’ils ont d’immenses réserves de charbon. Il y a des essais de systèmes plus démocratiques, davantage participatifs. De nouvelles technologies vont permettre de résoudre certains problèmes.  Oui, il y a une crise mondiale, et oui, nous allons plutôt vers des régimes autoritaires, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de solution pour contrer cette tendance qui paraît inéluctable. »

La Masterclass de Trends Tendances, entretien avec Dominique Desjeux, à écouter ici :

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