De l’argent russe pour l’Ukraine? Qu’est-ce que cela signifie pour Euroclear et les contribuables européens?

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Dès le mois de juillet, les États membres de l’Union européenne utiliseront les intérêts des avoirs russes, qui ont été gelés, pour apporter un soutien militaire à l’Ukraine. Pour ce faire, l’UE s’appuiera sur Euroclear le géant financier belge. “Il ne s’agit pas de confisquer les titres. Cela aurait des conséquences désastreuses pour la crédibilité de l’UE et de l’euro”.

Euroclear est la plus grande chambre de compensation d’Europe. Basée à Bruxelles, Euroclear avait en dépôt 39.000 milliards d’euros de titres à la fin du mois de mars 2024. Sur cette somme, environ 200 milliards d’euros sont des actifs russes. Des actifs russes qui ont été gelés par l’Occident en représailles à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et depuis plus de deux ans, ces titres génèrent des revenus sous forme d’intérêts et de dividendes.

Euroclear a placé cet argent auprès de la BCE, bénéficiant ainsi d’une hausse des taux d’intérêt. Au premier trimestre 2024, la société a réalisé un bénéfice net de 1,2 milliard d’euros sur ces titres. Sur base annuelle, il s’agirait plutôt de 3 à 4 milliards d’euros. L’Europe veut maintenant utiliser cet argent pour acheter des armes et des munitions pour l’Ukraine et la soutenir militairement dans cette guerre contre la Russie.

Notre collègue Patrick Claerhout de chez Trends nous explique cela.

Quel est le plan de l’Europe concernant ces avoirs russes gelés et en quoi menace-t-il le commerce international ?

PATRICK CLAERHOUT. “Les ministres européens ont décidé que 90 % des bénéfices réalisés par Euroclear sur les actifs russes gelés iront dans un fonds que l’Europe utilisera pour financer la production et l’achat d’armes et de munitions pour l’Ukraine. Il s’agit donc bien d’une utilisation des bénéfices et non d’une confiscation des titres.

“C’est cette dernière qui aurait eu des conséquences désastreuses pour la crédibilité de l’UE et de l’euro. Une saisie des actifs conduirait inévitablement à une rupture de confiance dans le système financier mondial. De nombreux pays n’accepteraient pas que l’Occident joue ainsi le rôle de juge. Il y a de fortes chances qu’ils déplacent alors leurs avoirs hors de l’Europe et cherchent d’autres voies pour leurs transactions de titres. Si cela se produisait, l’euro risque de s’effondrer, car son rôle de monnaie de réserve dans le commerce mondial des changes s’effriterait”.

Qu’est-ce que cela signifie pour Euroclear ?

CLAERHOUT. “Pour Euroclear et le gouvernement belge, la confiscation des actifs russes n’est pas envisageable. Après tout, Euroclear a des clients dans le monde entier, y compris en Chine et au Moyen-Orient. Si les actifs russes étaient confisqués, ces pays se demanderaient s’ils ne feraient pas mieux de placer leurs propres actifs ailleurs plutôt qu’auprès d’Euroclear. La chambre de compensation pourrait ainsi perdre un grand nombre de clients.

“L’utilisation des bénéfices générés par les actifs russes n’est pas non plus sans risque. Les propriétaires russes s’y opposent. Ils estiment que ces revenus leur appartiennent. Ils saisissent les tribunaux russes, qui souvent leur donnent raison. Pour Euroclear, cela entraîne des frais de justice importants. Le plan européen prévoit que 10 % des bénéfices “russes” restent dans les mains d’Euroclear et ce afin qu’elle puisse se prémunir contre ces actions en justice. La question est de savoir si cette somme est suffisante pour permettre à Euroclear de constituer des réserves et des fonds propres suffisants.

Où est le bénéfice pour l’Europe ou pour le contribuable européen ?

CLAERHOUT. “Si l’Europe utilise une partie des intérêts des avoirs russes gelés chez Euroclear pour acheter des armes et du matériel de défense pour l’Ukraine, les pays européens ne devront pas financer cela eux-mêmes. L’argent qui transite par Euroclear vers le soi-disant Fonds européen pour la paix fera diminuer les contributions des États membres.

“C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les États-Unis préféreraient confisquer tous les actifs russes. Ainsi, près de 200 milliards d’euros seraient disponibles pour soutenir l’Ukraine. Cela libérerait les Américains des querelles politiques internes entre républicains et démocrates pour débloquer de l’argent pour l’Ukraine. Au début de l’année, par exemple, il a fallu des mois au Congrès pour approuver un programme d’aide de 60 milliards de dollars”.

Certaines banques enregistrent-elles encore des intérêts sur l’argent russe déposé chez elles ?

CLAERHOUT. “Il y a une grande incertitude à ce sujet. Néanmoins, un tribunal russe a récemment gelé des milliards d’actifs des banques Commerzbank, Unicredit et Deutsche Bank en Russie. Il semblerait qu’il s’agisse d’une riposte russe, car ces banques elles-mêmes bloquent les actifs russes en Europe.”

Qu’est-ce que cela signifie pour les contribuables belges ?

“Euroclear a payé 400 millions d’euros d’impôts au cours du premier trimestre”, explique Patrick Claerhout. “Cet argent va au Trésor belge. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v) a toujours affirmé que tous les impôts payés par Euroclear sur les avoirs russes gelés bénéficieraient à l’Ukraine. Mais très concrètement il est difficile de le vérifier.”

Par Laurens Bouckaert

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