Comment la Chine “protège” l’Europe de l’inflation

Koen De Leus, BNP Paribas Fortis Chief Economist © BELGA PHOTO DIRK WAEM
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour l’an prochain, BNP Paribas Fortis prévoit un atterrissage en douceur de l’économie américaine, une reprise de l’économie allemande, et donc de la zone euro, et une inflation qui, en Europe, tomberait en dessous de 2%. La raison : les effets déflationnistes du dumping chinois.

Que nous réserve l’an prochain sur le front économique ? Beaucoup d’incertitudes et une série de défis à relever, dans le monde et en Belgique. En présentant ses prévisions économiques pour l’an prochain, le chief economist de BNP Paribas Fortis, Koen De Leus, a brossé le portrait d’un monde chahuté et fragmenté. D’un côté, les États-Unis, qui perdent de l’altitude en raison de la politique protectionniste et tarifaire de Donald Trump,  se préparent à un atterrissage en douceur, avec une croissance qui tournera autour de 1,9% cette année et l’an prochain.

L’inflation américaine, en raison des tarifs, sera toujours plus élevée que 2%, qui reste l’objectif de la Réserve fédérale. La hausse des prix à la consommation serait de 2,8% sur l’ensemble de cette année 2025 et de 3,1% en moyenne l’an prochain, mais avec un pic pouvant attendre 3,3 ou 3,4% dans le courant de l’année.  Dans ce contexte, malgré le débat de plus en plus vif au sein du conseil des gouverneurs de la Fed, les taux directeurs américains devraient baisser encore une fois à la fin de cette année, et sans doute deux fois l’an prochain, pour atteindre 3,25% fin 2026, prévoit BNP Paribas Fortis.

L’Allemagne sort de récession

L’Europe serait dans un autre scénario : celui d’une reprise progressive, grâce notamment à l’Allemagne qui, portée par son vaste plan d’investissement, devrait enfin sortir de récession. Le plan allemand, qui prévoit d’investir 500 milliards en dix ans dans les infrastructures environ autant dans la défense, « équivaut à peu près à la taille du plan Marshall qui avait soutenu l’économie européenne après la Seconde Guerre mondiale », souligne Koen De Leus. Grâce à ce coup de pouce, la zone euro afficherait une croissance de 1,4% l’an prochain, soit le même niveau que cette année. La croissance belge serait un peu moins forte (un peu plus de 1%), mais, ces dernières années, notre pays avait connu une croissance plus importante que celle de la moyenne de la zone euro.  Et sur le plan des taux d’intérêt, la BCE maintiendrait l’an prochain son taux directeur à 2%.

Une des raisons du statu quo est que l’inflation passerait sous les 2% en 2026, en raison de deux éléments. D’une part, la force de l’euro, qui mécaniquement abaisse les prix des biens et services libellés en dollars : BNP Paribas Fortis prévoit qu’à la fin de l’année prochaine, l’euro se négociera aux alentours de 1,22 dollar. Et puis, il y a la Chine. « Sans la Chine, nous aurions 0,2 point de pourcentage d’inflation supplémentaire l’an prochain », estime Koen De Leus.

Et la Chine?

La Chine, surtout depuis que le marché américain lui ferme ses portes, exporte désormais massivement ses technologies vers l’Europe : véhicules électriques, panneaux solaires, batteries, principes actifs de médicament… Et l’on voit que les dépendances stratégiques, dans les terres rares par exemple, deviennent de véritables armes commerciales.

« La Chine exporte vers l’Europe sa baisse des prix, qui résulte des difficultés économiques que le pays connaît en raison de l’implosion de la bulle immobilière, souligne Koen De Leus. La durée de cette situation – et la durée pendant laquelle la Chine restera un frein à la croissance mondiale plutôt qu’un stimulus – dépendra du délai avant l’éclatement définitif de cette bulle immobilière » poursuit l’économiste de la banque, qui ne s’attend toutefois pas à une répétition en Chine de la longue crise déflatoire qui avait terrassé le Japon dans les années 90. La réaction des autorités est plus rapide, et la crise se cantonne à l’immobilier résidentiel.

Un effort important, mais réalisable

Le grand sujet de l’an prochain, pour la Belgique, tournera cependant autour des finances publiques.  Certes, on sait depuis ce lundi que nous avons un accord, qui devrait réaliser sur la législature, donc d’ici 2029, un effort de 9,2 milliards d’euros, ce qui correspond à environ 1,5% du PIB et respecte plus ou moins la trajectoire sur 7 ans que la Commission européenne attend de nous.

Koen De Leus, à qui nous avons parlé avant l’annonce de cet accord budgétaire, nous disait en tout cas que l’effort n’était pas insurmontable pour la Belgique : « On nous demande au niveau européen de réduire notre déficit primaire (donc hors charge d’intérêt) de 0,7 point de PIB si l’on désire étaler notre effort sur 4 ans, ou de 0,5 point si l’on veut l’étaler sur 7 ans. Ce sont des efforts importants, mais pas impossibles à réaliser si l’on se reporte aux efforts qui ont été effectués dans le passé », dit l’économiste.

Koen De Leus rappelle que notre pays a en effet connu dans l’histoire récente deux périodes de sérieux assainissement budgétaire : celle de 1982-1987 et celle de 1992-98. « Entre 1982 et 1987, nous avons assisté chaque année à une diminution de la balance primaire de 1,2 point de pourcentage, ce qui est énorme. Pour les six années comprises entre 1992-98, l’effort a été de 0,7 point de PIB par an. »

500.000 emplois ? Un objectif très difficile

Aujourd’hui, avec l’accord de lundi, le pays s’engage dans un effort de grosso modo 0,5 point sur la législature. Mais rien n’est gagné pour autant, car une partie de la trajectoire vertueuse des finances publiques dépendra des effets retours, notamment des réformes sur le marché de l’emploi.  « Par le passé, sur une période de quatre ans, la Belgique n’a jamais réussi à dépasser 300.000 créations d’emplois, souligne Koen De Leus. Or, pour arriver à l’objectif du gouvernement, un taux d’emploi de 80% d’ici 2030, nous devons créer 500.000 emplois. Il sera très difficile d’atteindre cet objectif ».

Et rien n’est gagné non plus parce que, sur le plan international, des sources majeures d’incertitude demeurent. Des incertitudes sur le calendrier et l’ampleur des investissements allemands, sur la guerre en Ukraine, sur l’issue de la bataille juridique, actuellement devant la Cour suprême des États-Unis, sur les tarifs américains, sur les réactions de l’administration qui, si elle perd cette manche juridique, pourrait convoquer des lois d’exception, avec le risque que des secteurs importants pour notre économie, comme le secteur pharmaceutique, se voient soumis à des tarifs bien plus élevés que les 15% négociés cet été.

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