Chute du gouvernement Barnier

L’Assemblée nationale a fait chuter mercredi le gouvernement de Michel Barnier. Un geste inédit depuis 1962 et qui plonge le pays dans une période de fortes incertitudes politiques et financières.

Après trois heures et demie de débats très agités dans un hémicycle comble, le gouvernement français a été renversé par 331 députés. Deux motions de censure avaient été déposées après que le Premier ministre a déclenché mardi l’article 49.3 de la Constitution permettant de faire adopter un texte sans vote, sur le budget de la Sécurité sociale. Une seule aura suffi.

Les parlementaires de gauche et du parti d’extrême droite Rassemblement national, ainsi que ses alliés, ont voté ensemble pour censurer le gouvernement sur des questions budgétaires, alors que la France est très fortement endettée.

Une première depuis 1962

La motion de censure a donc été votée en soirée, une première en France depuis 1962. “En raison de la motion de censure, (…) le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement”, a déclaré au perchoir la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.

Tout juste rentré d’une visite d’Etat en Arabie saoudite, M. Macron, au plus bas dans les sondages, doit désormais désigner un nouveau Premier ministre. Son entourage a annoncé qu’il s’adresserait jeudi à 20H00 de Paris aux Français.

Pour ses dernières paroles de Premier ministre, Michel Barnier, 73 ans, avait appelé chaque député à la “responsabilité” dans un “moment de vérité”. “Ce n’est pas par plaisir que je n’ai présenté quasiment que des mesures difficiles”, la “réalité” budgétaire ne “disparaîtra pas par l’enchantement d’une motion de censure”, a-t-il déclaré, visiblement résigné, devant un hémicycle redevenu grave après des moments d’agitation.

En défense de la motion de censure, Eric Coquerel (LFI) a tancé l'”illégitimité” d’un gouvernement ne reflétant pas le résultat des législatives, et refusant de revenir sur la réforme des retraites. Boris Vallaud, patron des députés PS, accusant Michel Barnier de s’être “enfermé dans un tête à tête humiliant” avec la leader du RN Marine Le Pen. Malgré les nombreuses concessions obtenues dans la dernière ligne droite, la cheffe de file du groupe d’extrême droite a fustigé la politique proposée par le Premier ministre: “vous n’avez apporté qu’une seule réponse, l’impôt (…) la politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget”.- A l’inverse les soutiens du gouvernement ont tiré à boulets rouges contre les députés censeurs. “Qui allez-vous condamner ? La France”, a attaqué Gabriel Attal, patron des députés macronistes.

Dramatiser l’enjeu

Laurent Wauquiez, chef du groupe Les Républicains (LR) a tancé une “comédie d’une insoutenable légèreté” et accusé Marine Le Pen de “faire le choix du chaos”. Si Emmanuel Macron a appelé à “ne pas faire peur” en évoquant un risque de crise financière, Michel Barnier n’a pas hésité à dramatiser l’enjeu. Attendu à 6,1% du PIB en 2024, bien plus que les 4,4% prévus à l’automne 2023, le déficit public raterait son objectif de 5% en l’absence de budget, et l’incertitude politique pèserait sur le coût de la dette et la croissance. Malgré ces alertes, Michel Barnier quittera Matignon, 62 ans après le seul précédent sous la Ve République, la censure de Georges Pompidou alors Premier ministre du Général de Gaulle. Les regards qui s’étaient détournés de l’Élysée vont désormais se concentrer sur Emmanuel Macron.

Choisir rapidement un Premier ministre

Le chef de l’Etat pourrait choisir “rapidement” un Premier ministre, selon tous ses interlocuteurs. Un empressement inhabituel qui vise à limiter l’incertitude pesant sur les esprits et les marchés. Une nomination avant la cérémonie en grande pompe de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, samedi, est “possible”, estime un proche. Mais “rien n’est acté”, assure l’entourage présidentiel. Et l’équation Matignon semble toujours aussi complexe, avec l’impossibilité d’une dissolution et de nouvelles élections législatives avant sept mois. Le fragile “socle commun” qui a soutenu le gouvernement sortant pourrait se fissurer sur “l’après”.

Macron constitutionnellement pas concerné par la censure

Elu en 2017 et réélu en 2022, M. Macron, dont le mandat va jusqu’en 2027, n’est en effet constitutionnellement pas concerné par la censure du gouvernement du Premier ministre Micher Barnier. Il n’empêcehe que ette censure suit des mois de crise, déclenchée par la dissolution suprise de l’Assemblée nationale voulue par le chef de l’État après la déroute de son camp aux européennes face à l’extrême droite.

Les législatives anticipées qui ont suivi ont abouti à la formation d’une assemblée fracturée en trois blocs (alliance de gauche, macronistes et droite, extrême droite), dont aucun ne dispose de la majorité absolue. Après 50 jours de tractations, un gouvernement de droite et du centre avait finalement été nommé début septembre. La chute de l’exécutif après seulement trois mois aux affaires constitue un record de brièveté depuis l’adoption en 1958 de la Constitution française.

Le chef de l’Etat français doit désormais désigner un nouveau Premier ministre, sur fond d’endettement croissant du pays. Attendu à 6,1% du PIB en 2024, bien plus que les 4,4% prévus à l’automne 2023, le déficit public ratera son objectif de 5% en l’absence de budget, et l’incertitude politique pèsera sur le coût de la dette et la croissance.

Macron, un obstacle ?

Autant la gauche que le centre ou la droite paraissent désunis pour s’entendre sur un nouveau gouvernement de coalition. Ainsi Laurent Wauquiez a déjà rappelé que la coalition de septembre “ne valait que pour Michel Barnier”. Gabriel Attal propose lui un accord de “non censure” avec le PS pour échapper à la tutelle du RN. “Affranchissez-vous” de la France insoumise, a-t-il lancé dans l’hémicycle aux socialistes. Côté casting, les noms du président du MoDem François Bayrou, du ministre des Armées Sébastien Lecornu ou du LR Xavier Bertrand circulent. “On prend les choses à l’envers (…) la question des politiques menées doit être prédominante”, insiste Cyrielle Chatelain, cheffe des députés écologistes.

Dans le même temps LFI continue d’appeler à la démission d’Emmanuel Macron. Il “est aujourd’hui un obstacle, et en rien une solution”, a insisté Eric Coquerel. La petite musique résonne aussi sporadiquement dans d’autres camps, notamment chez des personnalités de droite. Marine Le Pen, si elle refuse d’appeler à la démission au nom du “respect pour la fonction suprême”, montre la porte : “c’est à sa raison de déterminer s’il peut ignorer l’évidence d’une défiance populaire massive que (…) je crois définitive”. Mardi, le chef de l’État a balayé les appels à la démission: ils relèvent selon lui de “la politique fiction”.

Marine Le Pen, triple candidate malheureuse à l’élection présidentielle, dont deux fois face à M. Macron, a, elle, les yeux rivés sur le prochain scrutin présidentiel prévu en 2027. Mais son destin politique est suspendu à une décision de justice attendue le 31 mars. Elle risque cinq ans d’inéligibilité avec effet immédiat pour un détournement de fonds du Parlement européen au profit de son parti.

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