Cette année à Marienbad
Des hôtels pimpants, de grosses villas somptueuses, des trésors d’architecture fin 19e, Art Nouveau ou Art Déco: les villes thermales de Bohême, dans l’Ouest de la République tchèque, sont un régal pour les yeux. Guy Legrand / Photos: Sylvie Bresson
On les méconnaît coupablement dans nos contrées, hormis par L’Année dernière à Marienbad, le film d’Alain Resnais sur un scénario d’Alain Robbe-Grillet, Lion d’or à Venise en 1961. Elles sont pourtant inscrites au patrimoine de l’Unesco depuis 2021, dans le cadre d’un dossier établi en commun par 11 cités européennes dont Baden-Baden en Allemagne, Montecatini Terme en Italie, Vichy en France, sans oublier notre Spa nationale. Elles, ce sont les trois villes thermales tchèques de Frantiskovy Lazne (Franzensbad), Karlovy Vary (Carlsbad) et Marianske Lazne (Marienbad), présentées sous la bannière du “triangle thermal de Bohême”. Ces trois cousines ont connu gloire et prospérité au tournant des 19e et 20e siècles, ce dont témoigne un patrimoine architectural exceptionnel. Elles valent le voyage, même si l’on ne s’y rend pas pour les traitements thermaux qui ont forgé leur réputation et dont il n’est pas possible de présenter la diversité ici.
Au fil de la Tepla
Karlovy Vary s’inscrit en tête du trio, avec près de 50.000 habitants, quelque 300 hôtels et plus de 10.000 lits. La clientèle y est plus internationale qu’ailleurs, trait accentué par les excursions organisées au départ de Prague.
Ici, les sources sont chaudes, ce dont on peut faire l’expérience en descendant le cours de la rivière Tepla, sur les rives de laquelle la ville s’est construite. Pour une promenade complète, de l’ordre de deux kilomètres, départ aux Bains de l’Empereur, palais dont on termine la restauration. Passé le coude de la Tepla, apparaît le bâtiment de verre entourant la source la plus spectaculaire de K. Vary, abréviation familièrement usitée dans la région: celle du geyser. Elle jaillit en effet sous cette forme, jusqu’à 12 mètres de haut, à 73 °C. On peut en goûter l’eau dans le hall voisin.
A un jet de pierre en aval se situe les colonnades Trzni (du Marché), charmante et vaste terrasse de bois blanc abritant trois sources, dont celle appelée Charles IV, en hommage au roi ayant fondé la ville au 14e siècle. Elle affiche 64 °C. Etape suivante: les colonnades Mlynsky (du Moulin), lourd édifice de pierre se déroulant sur 132 mètres et orné (ou plutôt encombré! ) de 124 colonnes de style corinthien. On peut y boire, à la source Skalni (de la Roche), une eau à 47 °C. Un peu plus loin enfin, quand on arrive en vue de l’hôtel Thermal, grand édifice moderne, on trouve sur sa gauche la jolie colonnade Sadovy (du Verger). Ce petit édicule tout en longueur est à chaque extrémité flanqué d’une source, dont la température ne dépasse plus guère les 40 °C.
Le départ des Russes inquiète
La colonnade Sadova voisine un quartier particulièrement cossu, témoin privilégié des fortunes investies à Karlovy Vary en hôtels et palais d’été. Il faut remonter l’avenue du même nom jusqu’à l’église orthodoxe des saints Pierre et Paul et redescendre sur l’autre versant, en passant devant le Bristol Palace, pour en prendre la mesure. Mais également comprendre l’inquiétude que suscite le départ forcé des Russes. Ils sont nombreux à avoir acquis des propriétés de prestige et à les mettre aujourd’hui en vente. Pourra-t-on aisément leur trouver de nouveaux propriétaires?
Une petite visite s’impose au départ de Karlovy Vary: Loket, village perché sur une colline encerclée par un méandre de la rivière Ohre. Sa rive offre une impressionnante vue du château, qu’on visite avec intérêt. Sinon pour les salles de torture reconstituées avec mannequins et sonorisation (! ), en tout cas pour sa structure féodale et ses nombreuses salles d’exposition.
Deux petites activités pour varier les plaisirs. A défaut d’y loger, une visite au célèbre et très luxueux Grandhotel Pupp s’impose… pour y déguster une pâtisserie. C’est, pour les fins becs, une étape aussi incontournable que chez Demel à Vienne ou Gerbeaud à Budapest. Juste à côté se trouve le départ du funiculaire menant au point de vue Diana, pour une vue très altière sur la ville. Notons enfin, à l’attention des cinéphiles: l’édition 2023 du festival international du film se déroule du 30 juin au 8 juillet.
Une colonnade grandiose
Proportionnellement plus touristique encore (7.500 lits pour 13.000 habitants! ), Marianske Lazne est une ville très aérée et plus dispersée, au niveau des hôtels comme des sources. Vers le Sud surtout, zone où l’on peut facilement accéder en voiture. Sa colonnade, cette galerie dont les villes thermales se dotèrent à la fin du 19e siècle, est sans conteste la plus grandiose et la plus célèbre. Et plus encore aujourd’hui, flanquée d’une fontaine dessinant une dizaine de figures et éclairée de diverses couleurs le soir. A son extrémité se situe le pavillon abritant la source de la Croix, qui coule dans plusieurs vasques.
Une boutique attire l’attention en face, à l’enseigne Lazenske Oplatky. C’est l’occasion de faire connaissance avec ces biscuits en forme de crêpe, à la pâte ultralégère, façon Cent Wafers. C’est la spécialité de la région, chaque ville ayant son fabricant attitré respectant la tradition. Même si celui-ci fait ujourd’hui partie du groupe Mondelez, comme indiqué sur les boîtes…
En visite chez Metternich
La plus modeste et la plus bucolique du trio Unesco est la ville de Frantiskovy Lazne (moins de 6.000 habitants), très proche de la frontière allemande. Introduite par deux fort belles avenues principales et un casino, la zone thermale s’égrène vers le Sud, de pelouse en bosquet d’arbres, tandis que d’immenses zones vertes la flanquent à l’Est comme à l’Ouest. Pas de relief, mais un décor vert à perte de vue. Qu’on ne s’y trompe cependant pas: les hôtels foisonnent partout.
Parmi les autres centres d’intérêt de ce triangle thermal de Bohême, outre la fort jolie et bien aménagée réserve naturelle de Kladsa, on ne peut manquer le château de Kynzvart, propriété de la famille Metternich jusqu’en 1945. Profondément transformé au 19e siècle par le chancelier autrichien Klemens Wenzel von Metternich, resté célèbre pour son rôle au Congrès de Vienne, qui suivit la chute de Napoléon. Fort sobre, le château recèle entre autres quelques étranges souvenirs de ce dernier. Ils furent confiés par sa seconde épouse Marie-Louise, Autrichienne et dès lors proche de Metternich…
Quelques adresses
– A Karlovy Vary.
Impossible de ne pas citer l’emblématique Hotel Imperial. Inauguré en 1912, ce bâtiment gigantesque est construit sur une colline dominant la ville. Il se singularise par son funiculaire (gratuit) qui mène directement au centre-ville. Notez que son altitude n’empêche pas son spa très moderne d’être approvisionné en eau thermale, comme les autres établissements. www.spa-hotel- imperial.cz.
Citons aussi deux restaurants très “ couleurs locales”, pour leur décor comme pour leur cuisine: le Diana, voisin du point de vue évoqué dans l’article ci-contre, et le Becherplatz (aussi appelé brasserie Karel IV), en sous-sol, dans une ancienne distillerie.
– ALoket.
Un repas au St-Florian vous plonge dans l’ambiance touristique de la localité et est l’occasion d’admirer l’étonnante collection de “tasses” réunie par la famille propriétaire.
– A Marianske Lazne
Fort bien situés face au parc qui borde les célèbres colonnades, les hôtels du groupe Ensana sont assez incontournables, du Hvezda (très chic, grande piscine) au Nove Lazne, en passant notamment par le Centralni. Un tunnel kilométrique (au sens propre!) donne à tous l’accès aux fameux “bains romains” du Nove Lazne. www.ensanahotels.com.
– A Frantiskovy Lazne.
Un restaurant sort du lot: presque en face de l’imposant hôtel Harvey, l’intimiste Rybarska Basta se situe en lisière de parc. Il propose la truite aussi en filets.
Une bricole à ramener?
Véritable emblème de ces villes thermales: la “tasse”, un mug en porcelaine comprenant un col de cygne destiné à refroidir les eaux trop chaudes. Eaux thermales que l’on recueille librement dans toutes les sources publiques. Alternative: les biscuits-crêpes en vente partout! Toutes les infos sur Karlovy Vary et les alentours: www.zivykraj.cz.
En pratique
– Au niveau touristique, la langue véhiculaire de la région est clairement… l’allemand. Même si la plupart des Sudètes, population germanophone qui servit de prétexte à Hitler pour l’annexer, furent expulsés après la guerre. C’est que les touristes allemands sont de très loin les plus nombreux! L’anglais suit bien entendu, et davantage à Karlovy Vary. Deux petites mises en garde pratiques. Pour les billets en couronne tchèque: les anciens ne diffèrent des nouveaux qu’avec une bande argentée plus mince et restent échangeables en banque, mais sont rarement acceptés par les commerçants. Pour les restaurants: certains ouvrent très tôt… et ferment de même.
– Moins de 800 km séparent la Bohême de Bruxelles, un trajet qui s’affiche à 90% sur autoroute. Alternative dès lors aisée à un vol sur Prague avec location de véhicule sur place. Le souci reste le même: la partie thermale et touristique de ces villes est largement piétonne et, dans les artères ouvertes au trafic, le stationnement est très limité. Il est donc prudent de se renseigner sur les possibilités de parking proposées par votre hôtel.
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