“ C’est Nicolas qui paie” : un mème devenu symbole de la colère française

Bloquons tout © Getty
Muriel Lefevre

De « C’est Nicolas qui paie », symbole de la colère générationnelle face à la pression fiscale et aux inégalités, à « Bloquons Tout », mobilisation citoyenne contre la précarité et le coût de la vie, la France exprime ce mercredi 10 septembre une frustration profonde et multiforme.

Il n’existe pas, et pourtant, toute la France parle de lui : Nicolas. Ce trentenaire fictif, diplômé et blanc, est devenu l’archétype du citoyen qui « paie pour tout le monde ». Depuis quelques semaines, ce personnage, né sur Internet sous forme de mèmes, est repris par des politiciens de droite et d’extrême droite, surfant sur la frustration fiscale des Français. Et mercredi 10 septembre, cette colère numérique pourrait se traduire dans la rue avec une mobilisation nationale.

Un symbole générationnel et fiscal

Nicolas a 30 ans. Il est « en colère » parce que Thierry et Chantale, retraités, partent chaque année en croisière avec leur généreuse pension. Il est également en colère parce que Karim, jeune adulte, transfère une partie de son allocation à sa famille en Afrique. Chaque dépense, chaque faveur semble retomber sur Nicolas. Gratuité, aides sociales, prestations : tout, à ses yeux, passe par lui. Ce personnage incarne ainsi le trentenaire actif, travailleur et frustré, sacrifié économiquement au profit des baby-boomers et des bénéficiaires d’aides sociales.

Créé il y a quelques années à partir de photos générées par IA, Nicolas a explosé ces dernières semaines sur le compte X @NicolasQuiPaie. L’étincelle ? Les plans budgétaires du gouvernement Bayrou visant à économiser plus de 40 milliards d’euros en 2026. Des mesures qui ont attisé la colère d’une partie de la population et ravivé le sentiment d’injustice chez les jeunes actifs.

Du mème à l’hémicycle

Nicolas s’est même invité dans le débat politique. Des députés de droite, comme Bruno Retailleau (Les Républicains), s’en sont fait l’écho, dénonçant le poids des mesures d’austérité sur ce trentenaire fictif. Même le député Gérault Verny l’a évoqué dans l’hémicycle : « Chaque mois, c’est Nicolas qui paie ». L’extrême droite, elle, récupère le personnage pour souligner la charge fiscale et l’anti-immigration, tout en évitant de braquer les retraités, une catégorie électorale cruciale.

Mais derrière le mème, la réalité est plus nuancée. Selon La Croix, ce n’est pas vraiment Nicolas qui paie tout, mais Christophe, un quinquagénaire, qui supporte la plus grande part des impôts. Néanmoins, le symbole fonctionne et reflète un sentiment partagé de déclassement économique et d’injustice générationnelle.

La colère s’exprime dans la rue

Alors que la droite et l’extrême droite tentent de surfer sur la popularité de Nicolas, un autre mouvement social, Bloquons Tout, né sur les réseaux sociaux et récupéré cette fois par la gauche, appelle à un blocage national ce mercredi 10 septembre. Inspiré des Gilets jaunes, ce mouvement met en avant la précarité, la hausse des taxes et les conditions de vie difficiles pour les classes populaires et moyennes.

Pour de nombreux Français, la fin du mois rime encore avec arbitrages impossibles entre loyers, courses, assurances et abonnements. La baisse récente de l’inflation et la légère progression des salaires ne suffisent pas à compenser le poids des dépenses contraintes ni la précarisation de l’emploi, qui touche particulièrement les jeunes et les travailleurs à temps partiel. Cette situation creuse les inégalités entre ceux dont les revenus financiers augmentent et ceux dont le salaire stagne.

Le mouvement se structure autour d’un boycott citoyen visant à stopper la consommation et à bloquer les grandes plateformes logistiques. Au-delà de la protestation fiscale, il traduit une frustration sociale profonde face à un système économique jugé injuste, où les aides massives aux entreprises et l’optimisation fiscale profitent surtout aux plus riches. La mobilisation, ponctuelle mais symbolique, reflète le sentiment d’une population ignorée par les décisions politiques et pressée par la vie quotidienne.

François Bayrou sera parvenu à cristalliser une partie de la colère sociale, car ses plans d’économies ont directement touché les travailleurs et les classes moyennes. La mesure la plus symbolique, la suppression de deux jours fériés, a été vécue comme un signal d’injustice. Des annonces ont alimenté le sentiment que le gouvernement demande toujours plus à ceux qui ont le moins.

Vers une France fragmentée

Jérôme Fourquet, directeur opinion à l’Ifop, analyse dans Le Point ces colères dispersées et ce qu’elles révèlent d’une France en tension. « Comme pour les Gilets jaunes et comme pour ce 10 septembre, cette mobilisation s’était faite via les réseaux sociaux et en dehors des cercles militants. » Selon lui, ces mouvements illustrent la montée d’un individualisme consumériste et la défiance envers les élites. Les citoyens refusent désormais de s’engager sur le long terme et préfèrent des mobilisations ponctuelles, « à la carte », sur une cause précise, plutôt qu’adhérer à un corpus idéologique complet.

Ces initiatives citoyennes sans attache partisane témoignent de l’affaiblissement des partis politiques, qui peinent à toucher un public qui se mobilise ponctuellement autour d’un mot d’ordre ou d’une cause. À droite, le phénomène « C’est Nicolas qui paie » est récupéré pour peser sur le débat public et imposer une grille de lecture centrée sur le matraquage fiscal et la dénonciation de l’assistanat. Les mouvements comme « Bloquons Tout », eux, traduisent un autre type de mobilisation, plus transversal et ancrée dans l’idée d’un boycott citoyen. Il traduit aussi une contestation sociale plus large, ancrée dans le quotidien des Français confrontés à la précarité et à la hausse du coût de la vie.

Quoiqu’il en soit la France est aujourd’hui accro à la dépense publique : près de 56 % du PIB est absorbé par la sphère publique, un record mondial, difficilement contrôlable et réformable. Et la dette publique atteint 3 300 milliards d’euros, avec un coût de financement de plus en plus élevé. Et avec la valse des premiers ministres, rien n’indique que la situation s’améliore.

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