Ce que l’on sait sur l’entreprise à l’origine des bipeurs explosifs du Hezbollah
Les choses commencent à se clarifier, après l’explosion simultanée des bipeurs du Hezbollah, ce lundi. Ils auraient été produits par une société hongroise, et c’est le service secret israélien qui aurait placé les explosifs. L’attaque a dû être précipitée et n’aurait pas été prévue de la sorte.
Spectaculaire, digne d’un film d’espionnage, et donc quelque peu surréaliste. C’est en ces termes qu’on pourrait décrire ce qui s’est passé ce mardi après-midi au Liban. Les “bipeurs”, “beepers” ou “pagers” – des outils de communication qui permettent de recevoir des messages sous format texte – de milliers de personnes ont explosé en même temps. Bilan : onze morts, dont une enfant de dix ans, et 3.000 blessés, dont 400 graves.
Ces appareils étaient équipés par des membres du Hezbollah (mais des passants ont également été blessés), groupe terroriste qui est en conflit avec Israël. Les deux s’échangent des tirs de roquettes ou autres missiles très régulièrement depuis le 7 octobre (et avant aussi, mais cela s’est intensifié depuis le conflit à Gaza). Les doigts ont donc rapidement été pointés vers Israël et son service secret, le Mossad. Les théories sur l’explosion se sont vite enflammées : piratage menant à la surchauffe et à l’explosion de la batterie ? Placement d’explosifs dans les appareils ?
D’où viennent ces appareils ?
D’abord pour l’origine des appareils. Le Hezbollah en a commandé 5.000, explique une source du renseignement libanais à Reuters, et ils auraient été livrés plus tôt cette année. L’organisation espérait pouvoir éviter que ses messages soient interceptés par Israël et a opté pour la low-tech.
Ils sont de la marque taïwanaise Gold Apollo. Mais le fondateur de la marque, Hsu Ching-Kuang, explique que ce n’est pas Gold Apollo qui a produit ces appareils. C’est une entreprise appelée BAC qui les fabrique, sous licence de Gold Apollo (pour le logo et le nom de marque, mais BAC conçoit ses propres appareils), en Europe. Hsu n’indique pas où exactement, mais BAC est une entreprise hongroise, précise l’AFP ce matin.
Une seule employée
“Fondée en 2022, la compagnie BAC Consulting est enregistrée à Budapest, dans un bâtiment de deux étages situé en périphérie de la capitale hongroise appartenant à une entreprise qui fournit des adresses de domiciliation, selon une femme présente sur les lieux mercredi matin. La PDG de BAC, Cristiana Barsony-Arcidiacono n’a pas répondu aux requêtes de l’AFP dans l’immédiat. Elle apparaît comme la seule employée, selon les documents légaux consultés par l’AFP qui font par ailleurs état d’un chiffre d’affaires annuel de 210 millions de forints (530.000 euros) pour des bénéfices de quelque 45.000 euros”, selon l’Agence France-Presse.
Hsu explique aussi que le transfert de fonds cette entreprise est étrange et qu’il passe par le Moyen-Orient. Sans donner plus de détails. Il ignore complètement comment les explosifs auraient pu être placés dans ces appareils.
Comment ont-ils pu être trafiqués ?
Ensuite, pour le placement de l’explosif. La source du renseignement libanais explique à Reuters que le Mossad aurait modifié ces appareils “à niveau de la production“. “Le Mossad a injecté une carte à l’intérieur de l’appareil qui contient des matières explosives recevant un code. Il est très difficile de le détecter par quelque moyen que ce soit. Même avec n’importe quel appareil ou scanner”, explique-t-elle. Environ 3.000 appareils ont alors explosé simultanément lorsqu’un message spécifique, contenant le code, a été reçu. A 14h30 (heure belge), pour être précis.
Une autre source indique qu’il pouvait y avoir jusqu’à trois grammes d’explosif et que le Hezbollah n’a rien détecté, pendant des mois.
Dans le New York Times, on peut lire qu’Israël serait plutôt parvenu à intercepter les appareils sur la chaîne d’acheminement vers le Liban, et aurait alors placé cet explosif.
Il n’est donc pas encore sûr comment l’explosif a été placé dans ces appareils. Mais toutes les sources disent que c’est Israël qui est derrière la manipulation. Selon les informations d’AP, les États-Unis n’étaient pas au courant de la manoeuvre et n’ont été informés par Israël qu’après. Israël ne s’est pas encore prononcé de manière officielle sur le sujet.
On apprend aussi que l’opération a dû être avancée. Deux membres du Hamas auraient levé le lièvre, et Israël a rapidement dû passer à l’action pour que le plan ne tombe pas à l’eau. Mais ces explosifs étaient en réalité destinés à seulement être déclenchés dans le cas d’une guerre ouverte avec le Hezbollah. C’est ce qu’apprend Al Monitor ce mercredi.
Ce que cela signifie
L’attaque est en tout cas un fameux revers pour le Hezbollah, son “plus grand échec en matière de contre-espionnage depuis des décennies”, selon Jonathan Panikoff, ancien gradé américain responsable de l’espionnage dans la région, cité par Reuters. Même une source officielle du Hezbollah confie qu’il s’agit de la “violation de la sécurité la plus importante” depuis le 7 octobre et le début du conflit de Gaza. Avec tous ces blessés, dont certains sont à l’hôpital, une partie de ses ressources humaines ne sont plus disponibles pour mener des attaques contre Israël. Le groupe a en tout cas promis de répliquer.
Là où l’histoire prend un tournant géopolitique et où des risques d’escalade se profilent, c’est que l’ambassadeur iranien à Beyrouth portait également un bipeur et a été blessé durant l’attaque. Il aurait perdu un oeil. L’Iran pourrait vouloir répliquer, comme après la frappe aérienne sur des bâtiments appartenant à l’ambassade iranienne en Syrie qui avait tué des Gardiens de la Révolution, en avril.
En matière d’espionnage, cette attaque sera sans doute unique. La Terre entière l’aura vue, et les personnes utilisant ce type d’appareils seront plus vigilantes lorsqu’elles en commandent.
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