Bousculée par Trump, la Fed sur un fil

La Réserve fédérale (Fed) américaine devrait opter mercredi pour le statu quo sur ses taux d’intérêt, tiraillée entre le risque de rebond de l’inflation et les premiers signes de vacillement de l’économie, quelques semaines seulement après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Depuis l’avalanche de nouveaux droits de douane déclenchée par le président américain, “incertitude” est devenu le maître-mot pour les marchés, les entreprises, et désormais le président de la banque centrale des Etats-Unis, Jerome Powell. Se gardant de toute critique, le patron de la Fed a répété le terme à de nombreuses reprises le 7 mars, lors de sa dernière intervention publique avant la période de réserve qui précède la prochaine réunion du comité de politique monétaire (FOMC), les 18 et 19 mars.
Dans l’immédiat, “nous n’avons pas besoin de nous presser, et sommes bien placés pour attendre plus de clarté” sur les changements politiques en cours, a déclaré M. Powell, fermant la porte à toute variation des taux à court terme.
Depuis ces propos, la température est encore montée.
Le flou d’une réponse de Donald Trump à une éventuelle récession et la mention par le ministre des Finances Scott Bessent d’une “période de détox” ont effrayé les marchés financiers, qui ont plongé après le pic atteint mi-février.
Les investisseurs ont revu à la hausse la probabilité d’une récession aux Etats-Unis, pourtant encore en croissance soutenue, de 2,3% en rythme annuel, au dernier trimestre 2024.
L’hypothèse étant que, dans une époque imprévisible, avec des droits de douane exponentiels, les entreprises réduisent leurs investissements et les ménages leurs dépenses alors que l’Etat fédéral connaît une cure d’amaigrissement à marche forcée sous la houlette du milliardaire Elon Musk.
“Délicat”
En quelques semaines, le panorama a donc radicalement changé pour la banque centrale de la première économie mondiale.
Elle avait commencé en septembre dernier à détendre ses taux d’intérêt après avoir jusque-là surtout cherché à ramener l’inflation vers sa cible de 2%, après le choc inflationniste qui a suivi la pandémie de Covid-19.
La Réserve fédérale approchait du but avec une inflation de 2,5% en janvier 2025 en rythme annuel, par rapport au pic de 7,2% en juin 2022.
Désormais, les spécialistes anticipent un rebond de l’inflation – ce qui implique en principe que la Fed augmente ses taux d’intérêt pour la freiner – en même temps qu’un essoufflement de l’économie – ce qui plaide pour une baisse de taux afin de relancer la machine.
“C’est un environnement qui est très délicat à gérer pour la Fed”, dit à l’AFP le chef économiste d’EY, Gregory Daco.
“Aucune banque centrale, poursuit-il, n’est équipée pour répondre de manière idéale à une guerre commerciale, parce que celles-ci entraînent d’une part une augmentation de l’inflation et d’autre part une réduction de la croissance.”
Pour la Fed, “il y a à la fois le désir d’éviter que l’inflation s’ancre, et celui de supporter l’économie à travers un choc de croissance”, ajoute-t-il.
“Dilemme”
“Ce sera un dilemme pour la Fed”, estime aussi Michael Pearce, spécialiste de l’économie américaine chez Oxford Economics.
“A mon avis, l’économie américaine est toujours assez solide pour résister au repli lié aux droits de douane, et on ne verra pas grimper le taux de chômage au point que la Fed doive réagir” en baissant rapidement ses taux, déclare-t-il à l’AFP.
Il ne s’attend qu’à une seule baisse des taux directeurs en 2025, à l’issue de la réunion monétaire de décembre.
“Si la Fed en fait davantage, pense-t-il, ce sera en raison des craintes sur la croissance, et non parce que des progrès réguliers ont été enregistrés sur l’inflation.”
Lors de sa dernière réunion, en janvier, la Fed a laissé ses taux inchangés, dans une fourchette comprise entre 4,25% et 4,50%.
Gregory Daco estime que “le plus sûr” pour elle est désormais d’attendre des données économiques concrètes “plutôt que d’anticiper les potentielles conséquences de potentielles politiques de l’administration américaine…”